In SGEN-CFDT – le 3 mars 2014 :
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Version complète et bibliographie de l’interview parue dans Profession Éducation n° 226.
Roger-François Gauthier est inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (IGAENR). Il est aussi un expert international en éducation, consultant à l’Unesco, membre du Comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Promotion Louise Michel de l’ENA, agrégé de lettres classiques, il est chargé de cours à Lyon 2 et Paris V. Enfin, il est membre du Conseil supérieur des programmes.
Vous faites partie du Conseil supérieur des programmes (CSP) qui doit, d’après la commande ministérielle, « proposer une nouvelle architecture pour le socle commun et une charte des programmes »… vaste programme justement !?
Je crois qu’il n’est pas sans intérêt que ce Conseil, mis en place à la suite de la loi de refondation, soit peu à peu connu des enseignants eux-mêmes, car il a pour mission centrale de tirer les programmes d’enseignement hors de ce statut bizarre et tellement français qui fait qu’ils sont à la fois quasi sacrés, et dans une étrange clandestinité : qui les fabrique ? En fonction de quoi ? Qui décide d’en changer ?
Et le problème majeur, c’est que ce sont des questions dont, au fond, l’institution et ses acteurs se moquent ! Faisons-nous les avocats du diable : ce n’est bien sûr jamais dit comme cela, mais, dans les faits, ce que l’école enseigne, est-ce si important ? l’école n’a-t-elle pas d’abord toujours, dans les faits, à sélectionner ? Ceux qui iront dans les meilleurs lycées, puis dans les filières sélectives ?
une perspective radicalement inverse et bien sûr dérangeante
Justement, ce que j’aimerais faire valoir, c’est que ce conseil, qui va produire peu à peu, et dont les acteurs verront peu à peu la logique, est dans une perspective radicalement inverse et bien sûr dérangeante : ce que l’école enseigne est en soi important ! Les questions posées sur les savoirs, sur l’apprentissage de la liberté de penser, sur la définition d’une culture commune, sur ce qui est indispensable à tous, sur le type de profil des élèves en sortie doivent, pour nous, reprendre plus de force que les procédures d’évaluation et de sélection. Ce que les élèves savent a plus de valeur que leurs moyennes !
Disons-le clairement : pour nous, ces réflexions-là, sur les savoirs, sur les programmes, il nous semble nécessaire de les creuser, parce qu’un immense travail est à faire, et de les diffuser, de faire d’une réflexion sur les programmes une partie essentielle de la maitrise professionnelle des maitres. C’est pour cela que nous proposerons bientôt, sous le nom de Charte des programmes, un texte consacré à cet objet, le programme d’enseignement. Pour qu’un consensus soit recherché sur des questions aussi importantes que le lien des programmes aux savoirs savants, leur rythme de renouvellement, l’évaluation de leur prise réelle sur les élèves dans leur diversité, la part à faire entre prescription et liberté des acteurs, la recherche de la meilleure évaluation des élèves, etc.
faire d’une réflexion sur les programmes une partie essentielle de la maitrise professionnelle des maitres
Quelles sont, de votre point de vue, les pistes de travail qui permettront d’aller vers une conception plus « curriculaire » des contenus d’enseignement en France ?
Pourquoi parle-t-on de curriculum ? Non pas pour céder à un effet de mode, mais parce qu’on considère que, pour que les scolarités ne sécrètent pas autant d’échec qu’elles le font, il faut se préoccuper beaucoup plus que ce n’est traditionnellement le cas des cohérences effectives entre les savoirs des différentes disciplines et niveaux, entre les programmes et les évaluations, entre les programmes et l’équipement initial et continu des maitres, etc.
Et les éléments de blocage inhérents à notre système scolaire ?
Oui, bien sûr ! Car en touchant aux programmes, on est conduit non seulement à modifier un paysage normatif, mais aussi à reconsidérer certains rituels sociaux, à remettre en cause les intérêts toujours dominants de l’immobilisme, à interférer avec un paysage intellectuel préexistant qu’il s’agit en effet d’améliorer et d’enrichir. On n’est pas en surface.
interférer avec un paysage intellectuel préexistant qu’il s’agit en effet d’améliorer et d’enrichir
Mais je suis personnellement très confiant dans la capacité et même dans le souhait des maitres de se saisir mieux de tout cela, et dans la maturité des acteurs, que nous rencontrons, à s’ouvrir à ces questions. À une condition, ne pas être pris pour des exécutants à qui le changement est prescrit à la hâte, ne pas se voir prescrire des mots gadgets ou des évolutions étrangères à adopter sans examen, comme ce fut parfois le cas ces dernières années.
Bibliographie
Rapports d’inspection générale (en collab.) :
« La formation initiale et continue des maîtres » (2003)
« L’évaluation des collèges et lycées en France, bilan critique et perspectives » (2004)
« Les acquis des élèves, pierre de touche de la valeur de l’école » (2005)
« L‘organisation des examens de l’Éducation nationale : mission d’audit de modernisation » (2005)
« L’évaluation des étudiants à l’Université : point aveugle ou point d’appui ? » (2007)
L’école et l’argent, quels financements pour quelles finalités ? (avec A. D. Robert). Paris, éditions Retz, 2005.
?Les contenus de l’enseignement secondaire dans le monde : état des lieux et choix stratégiques (en téléchargement). Éditions de l’Unesco, 2006. Version française et anglaise.
?« "Malgoverno" éducatif et questions curriculaires en France : fil rouge sur travaux (1985-2010) », thèse de doctorat sous la direction d’André Robert, université Lumière Lyon 2, janvier 2011.