INTERVIEW – En plein débat sur les programmes et l’école, l’auteur de Chagrin d’école, plus d’un million d’exemplaires vendus, prend parti pour la première fois dans le débat sur la réforme du collège et s’adresse aux professeurs. Extraits.
Que diriez-vous, aujourd’hui, à quelqu’un qui veut devenir professeur?
Je lui dirais que les enfants et les adolescents ont avant tout besoin d’adultes sérieux et bienveillants, pas de jeunots démagogues ou de jeunes cuistres dédaigneux. Des adultes qui savent encore ce qu’être adolescent veut dire, des adultes patients, attentifs, méthodiques, honnêtes et fermes dans leur enseignement. Je lui dirais de s’attaquer d’entrée de jeu à la peur de certains élèves?: peur de ne pas comprendre, peur de ne pas répondre juste, peur d’avoir une mauvaise note, peur de passer pour un crétin… Voilà l’ennemi principal! La peur de l’élève gangrène tout. Elle engendre la honte, qui produit le retrait sur soi ou la violence sur l’autre – sur le bon élève ou sur le professeur, par exemple. Elle devient très vite la peur du professeur lui-même (les collègues vont voir que je ne réussis pas, je ne serai jamais un bon prof), la peur des parents (qu’est-ce que notre enfant va devenir?). La peur est chez tous un facteur pernicieux de perte du réel. Je lui dirais de dédramatiser l’ignorance pour ouvrir grandes les portes à la connaissance. Je lui dirais d’instaurer en classe des rituels et de ne pas en changer. Les rituels apaisent les élèves, la régularité les rassure. Je lui dirais d’être réglo, d’une honnêteté pédagogique irréprochable, un adulte exemplaire, en somme, ça changera ses élèves des images d’adultes corrompus qui encombrent l’actualité. Je lui dirais de faire en sorte que, dans ses classes, chaque élève se sente partie prenante d’une collectivité, ou plutôt, d’une « harmonie », au sens musical du terme. Ah! À propos de rituels, je lui dirais de faire déposer les portables dans un grand sac, à côté de son bureau?; on n’entre pas au saloon avec son colt! Je lui dirais d’être absolument « présent » pendant ses cinquante-cinq minutes de cours mais d’oublier ses classes dès qu’il sort de son collège ou de son lycée, de développer d’autres passions dans ce qui lui reste de temps. Enfin, je lui dirais que faire tout cela ne nécessite pas un talent particulier. Que cela s’apprend. Que quantité de profs savent faire ce genre de choses. Je lui souhaiterais de tomber sur un ministère qui parte à la recherche de ces professeurs-là, aille les voir travailler, et tire de leur enseignement des méthodes applicables par leurs collègues.
Demain, dans le Journal du dimanche, retrouvez la grande interview de Daniel Pennac qui donne son avis sur la réforme du collège, sur les programmes et raconte sa vision de l’enseignement. Achetez le JDD sur iPad ou sur Internet. Découvrez également nos offres d’abonnement papier.
Marie-Laure Delorme – Le Journal du Dimanche
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