In le café pédagogique :
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Comment lutter contre la ségrégation sociale dans les lycées ? Comment contrôler les stratégies d’évitement des familles ? Faut-il rétablir ou assouplir la carte scolaire ? Faut-il y intégrer le privé ? Faut-il rendre les lycées de certaines zones plus attractifs ou faut-il au contraire réduire la diversité entre les établissements ? Pour aborder ces questions, Henriette Zoughebi, vice-présidente du Conseil régional d’Ile-de-France en charge des lycées, a réuni le 16 novembre des chercheurs, des élus, des syndicalistes, des parents, une représentante du ministère, dans le cadre de l’Observatoire régional de la mixité sociale et de la réussite scolaire qu’elle a créé. Une assemblée fort diverse, fort informée et fort impliquée qui a donné aux recherches , parfois inédites, des chercheurs la caisse de résonnance qui permet aux politiques et aux citoyens de saisir la complexité et de s’emparer vraiment du problème. Une parfaite réussite.
Henriette Zoughebi a rappelé les enjeux pour la région. Il y a bien sur des enjeux d’aménagement : certains lycées se vident alors que d’autres croulent sous les demandes. Mais il y va aussi de la réussite scolaire de tous comme l’a montré l’étude PISA. Ce sont les systèmes éducatifs les moins socialement ségrégatifs qui ont les meilleurs résultats.
Faut-il moins différencier les lycées ? C’est la sénatrice Françoise Cartron qui a ouvert le premier débat en présentant les grandes lignes de son rapport sur l’assouplissement de la carte scolaire. Elle a pu montrer que celle-ci a affaibli la mixité sociale surtout à la base : par exemple les CSP favorisées ou moyennes ont fui les collèges publics du 93. Elle a pu mettre en évidence le rôle des options (par exemple CHAM) dans les stratégies de contournement de la carte scolaire. Il conviendrait donc de les diminuer.
Le privé en accusation. Pierre Merle fait bénéficier l’assemblée d’une étude inédite menée sur les lycées parisiens et lyonnais. Il montre que les écarts entre le secteur public et le privé se sont aggravés. Quand les lycées publics parisiens comptent 19% d’élèves issus de catégories défavorisées, les lycéens privés n’en ont que 6%, soit trois fois moins. Le phénomène s’est accentué depuis 2006 : on assiste bien selon lui à une spécialisation de chaque secteur. Les écarts entre établissements se sont aussi accentués avec l’assouplissement. Au final, P. Merle accuse : "le privé ne remplit pas sa mission de service et c’est lié à son économie" (le fait qu’il soit payant).
Traiter le problème au niveau local ? Secrétaire général du principal syndicat de chefs d’établissement, Philippe Tournier a rappelé que les phénomènes d’évitement étaient très localisés et portaient plutôt sur des zones de contact entre classe moyenne et populaire, dans des communes comme Montreuil (93). C’est donc à travers des plans locaux qu’il faut l’aborder quitte à conditionner les aides au privé.
Le ministère n’y peut rien… Auteure d’un rapport sur le lycée, chargée de mission par V Peillon sur l’assouplissement de la carte scolaire, Catherine Moisan apporte d’une certaine façon la voix du ministère. Selon elle, mettre en cause le privé est inutile comme on a pu le constater en 1984. La ghettoisation scolaire n’est que le reflet de la ghettoïsation urbaine. Il est donc inutile d’établir une sectorisation rigide qui enfermerait dans cette ghettoisation. C’est donc, pour elle aussi, au niveau local que le problème peut être abordé. La ghettoisation résulte aussi du refus des enseignants d’accepter des classes hétérogènes et de leurs décisions d’orientation. C Moisan pose aussi la question de l’information de sparents. "Le système fait comme si les établissements étaient identiques. Mais ce n’est pas vrai. Comme il ne communique pas les évaluations des établissements il crée une inégalité entre les parents "avertis" et les autres. Va-t-on continuer à ne pas donner d’information aux parents et laisser faire la rumeur ?", interroge-t-elle . Il semble pourtant que les résultats des lycées soient déjà très diffusés et que la publication intégrale des résultats n’ait pas diminué les inégalités dans les pays anglo-saxons…
Les profs en accusation… Dans la salle, des syndicalistes, des élus réagissent. La maire de Bagneux, par exemple , met en cause le non -remplacement des enseignants dans les communes populaires et aussi le fait qu’on affecte les enseignants les moins formés sur des postes en ZEP.
Grand témoin de la journée, la sociologue Agnès Van Zanten s’appuie sur ses recherches pour éclairer quelques points. Elle invite à mieux connaitre les motivations des comportements d’évitement des parents pas toujours liés à des stratégies scolaires. Le refus d’une société multiculturelle a aussi sa place. Les parents sont aussi très sceptiques sur la capacité de la pédagogie à résoudre les difficultés scolaires. Elle invite aussi à un effort d’ingenierie sociale pour agir sur les choix des parents.
"Derrière la question de la carte scolaire il y a un choix de société", conclue Henriette Zoughebi. "Cela pose la question de l’acceptation d’une société multiculturelle. Il faut du courage. Il faut aussi lier les questions de l’orientation et des affectations des enseignants aux décisions sur la carte scolaire". Venus d’horizons différents, durant tout l’après midi, élus, chercheurs, enseignants, parents ont construit un moment exceptionnel de vivre ensemble. Justement ce qu’essaie de faire la carte scolaire.
François Jarraud