Marco Oberti, sociologue et directeur de l’Observatoire sociologique du changement (OCS), est un spécialiste des inégalités urbaines et scolaires, abordées sous l’angle de la ségrégation. Au moment où la ministre de l’Education nationale entend engager « une politique active de mixité pour agir sur la composition des collèges », il revient sur les conditions indispensables à la mixité scolaire.
De quels leviers Najat Vallaud Belkacem et les collectivités territoriales compétentes disposent-elles pour agir sur la mixité scolaire au collège ?
Il faut avant tout changer les découpages territoriaux de la sectorisation. Aujourd’hui, la sectorisation du collège s’organise essentiellement à l’échelle communale, et ne permet pas, dans le cadre de communes très homogènes, de changer de façon significative le profil social des établissements. Or dans certains cas d’homogénéité sociale voire ethnique, les contours de la carte scolaire doivent pouvoir sortir du cadre municipal et englober des quartiers ou des communes limitrophes.
Il faudrait ensuite définir la proportion de classes supérieure, moyenne ou défavorisée à l’échelle de ces nouveaux secteurs, afin de calculer un profil moyen d’établissement. Ainsi, tous les établissements d’un même secteur auraient sensiblement le même profil. Cela éviterait aux parents de classer les établissements selon leur profil social, ou les résultats du brevet des collèges puisqu’à l’échelle d’un bassin ou d’un secteur scolaire, il n’y aurait plus de différences significatives dans le profil des établissements.
Dans mes travaux, j’ai défini sept types de collèges en fonction du poids respectif des différentes catégories sociales. En regardant la carte des collèges par ce prisme en Ile-de-France, on visualise une répartition territoriale très typée qui renvoie à la ségrégation urbaine. Pour être dans une logique d’homogénéisation, il faudrait supprimer les extrêmes et réduire la palette de collèges à deux ou trois types. Cela n’est en revanche pas possible partout, du fait de cette ségrégation urbaine. Le département de la Seine-Saint-Denis, par exemple, ne possède aucun collège de type « supérieur ».
Un tel redécoupage n’empêcherait pas les familles aisées de se tourner vers les établissements privés. Comment remédier à cela ?
Pour être efficace, ce redécoupage des secteurs doit être associé à d’autres mesures. En premier lieu, il conviendrait d’impliquer les établissements privés dans la régulation des affectations. Il est tout de même surprenant que les établissements privés conventionnés, qui dépendent pour l’essentiel de fonds publics, échappent aux règles de sectorisation des établissements publics.
Il faudra un grand courage politique pour aborder la question, car cela risque de susciter une forte mobilisation. Mais je le dis d’autant plus volontiers que les élèves qui ont le plus à gagner à fréquenter une école privée, sont justement les élèves les plus défavorisés. Ainsi, les garçons issus d’un milieu social défavorisé ont deux à trois fois plus de chances d’obtenir leur brevet des collèges avec mention s’ils sont scolarisés dans le privé plutôt que dans le public. Il faut donc que les établissements privés jouent le jeu lorsqu’ils reçoivent des demandes d’inscription qui émanent des familles qui ne sont pas habituellement les bienvenues.
Les familles défavorisées en auraient-elles les moyens ?
Je vais être encore plus provocateur. Aux Etats-Unis, un système de « vouchers » a été mis en place dans l’état de Floride. Un chèque est ainsi donné aux ménages défavorisés avec obligation de l’utiliser pour les frais de scolarité d’une école privée. Des résultats intéressants y ont été obtenus. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce modèle en instaurant une aide directe aux ménages les plus défavorisés qui accepteraient de mettre leur enfant dans une école privée ?
Pourtant, il n’y a pas d’établissements privés partout…
Quand vous regardez la répartition territoriale des collèges privés en Ile-de-France, il est assez frappant de constater la surreprésentation de ces établissements dans les communes les plus favorisées, qui bénéficient déjà par ailleurs de très bons établissements publics. Alors qu’il y en a peu, voire pas du tout, dans les communes où le besoin est réel. Il faudrait donc aider l’implantation d’écoles privées dans les quartiers et les communes qui n’en ont pas.
L’évitement scolaire ne date pas d’hier. Pourquoi tout cela n’a-t-il pas été fait plus tôt ?
De nombreux rapports ont été remis suite à l’assouplissement de la carte scolaire en 2007 [NDLR : voulue par Nicolas Sarkozy]. Beaucoup de pistes ont alors été évoquées. Ce que je vous dis là n’est pas nouveau. Cela pose la question de ces rapports, financés sur fonds publics, et dont on ne tire pas toutes les conclusions. Il faut un certain courage politique pour s’attaquer à ces questions sensibles. Il faudra beaucoup de tact politique pour que la majorité des familles jouent le jeu de la mixité sociale.
Les événements récents renforcent une certaine crispation. Je ne suis pas certain que cela joue en faveur d’une plus grande tolérance à la mixité dans certains établissements scolaires. La collaboration intercommunale, nécessaire pour redécouper les secteurs, n’est pas non plus facile à envisager sur le terrain scolaire. Pourtant la mixité sociale favorise la réussite des élèves défavorisés au brevet des collèges, et ne fragilise pas significativement celle des autres catégories sociales. Personne n’a vraiment à y perdre. Et pourtant, certains résistent à l’idée d’une cohabitation de leurs enfants avec d’autres milieux sociaux dans le cadre scolaire.