In Comité Laïcité République – le 15 septembre 2013 :
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"Par définition, le fait d’afficher des principes est une promesse de papier. La Charte de la laïcité est-elle pour autant inutile ? Il faut être particulièrement de mauvaise foi pour nier l’importance de cette pédagogie. À moins de vouloir passer sous silence l’existence de replis identitaires et la montée de groupes cherchant à diviser les futurs citoyens.
Tout le monde, ou presque, reconnaît qu’après le temps de la contrainte, celui de la loi contre les signes religieux ostensibles, il est temps de passer à la pédagogie, au dialogue, et à l’explication de texte. C’est bien l’idée de cette charte dont les articles rappellent à la fois la part exigeante de la laïcité : la séparation entre l’État et les Églises, le fait de ne pas invoquer ses croyances pour refuser de s’instruire. Mais aussi la vocation généreuse de la laïcité : le fait qu’il n’existe aucune religion d’État et donc aucune religion supérieure à une autre en droit, ce qui protège les minorités religieuses.
C’est vraiment l’intérêt de ce document : permettre aux enseignants comme aux élèves d’avoir un dialogue autour des règles communes exigées mais aussi de lever certains malentendus nés ces dernières années en réaction à la contrainte. Notamment auprès d’élèves persuadés que la laïcité est une arme de guerre contre l’Islam. Cette charte -mais bien sûr aussi la formation des enseignants qui doit aller avec- peut permettre de revaloriser sa dimension profondément libératrice et non liberticide. Comme le dit l’un des articles : "La laïcité doit permettre à chacun de s’émanciper, de s’épanouir et de trouver sa propre liberté".
Une charte islamophobe ?
Pourtant certains, comme la sociologue Nacira Guénif dans Libération, s’acharnent à y voir une arme de plus contre l’Islam. Ce procès d’intention, courant, relève de la mauvaise foi. Certains intellectuels sont décidément devenus de véritables spécialistes de l’amalgame : entre laïcité et racisme. Notamment grâce au mot, très pratique, d’islamophobie qui -par sa sémantique même- permet de tout mélanger : la critique de la religion ou de l’intégrisme et parfois même le seul fait d’être attaché à la laïcité avec une forme de racisme envers les croyants. Il est plus que temps de mettre un terme à cette propagande, à ces procès d’intention permanents, à cette confusion et ces amalgames véhiculés par des groupes victimaires ou intégristes -complaisamment relayés par les intellectuels qui leur sont proches. C’est sans doute bien plus urgent que d’ouvrir un nouveau front de la contrainte. Par exemple en légiférant sur le voile à l’université…
Ce n’est que l’une des propositions de ce rapport, à qui la polémique sur ce seul point ne rend pas justice. Il existe toujours bien des problèmes sur la table : des dérogations demandées au nom des croyances religieuses. Mais on ne va pas résoudre par la loi et la contrainte, surtout à l’université.
Le compromis de mars 2004
La loi de mars 2004 sur les signes religieux ostensibles reposait sur un compromis, comparable à celui voulu par Jaurés au moment de la loi de 1905. Elle est exigeante à l’école publique parce qu’il s’agit d’un lieu de formation des futurs citoyens et qu’ils sont mineurs. L’université concerne des élèves majeurs. C’est surtout est un lieu d’apprentissage complémentaire, où l’expression de son militantisme, de ses convictions, est par définition plus libre. En un mot, légiférer sur le voile à l’université fragiliserait le compromis scolaire de la loi de mars 2004, prendrait même le risque réouvrir une polémique qui prolongerait le dissensus au lieu d’aller vers le consensus.
Si une nouvelle réglementation est nécessaire, c’est au niveau non pas de l’université mais des crèches. Pour s’assurer qu’une crèche laïques comme la crèche Babyloup, qui repasse en procès le 17 octobre prochain, ne soit pas menacée de fermeture à cause du chantage d’une salariée voilée. Pour le reste, il est grand temps de consacrer son énergie et ses efforts à la pédagogie. Et de puis point de vue, Vincent Peillon a une phrase très forte "en rappelant que la laïcité n’est pas une arme mais un pacte". Même s’il reste quand même une sérieuse faille dans ce pacte.
Et si on parlait des écoles catholiques ?
La Charte de la laïcité ne concernera pas les 12.000 écoles privées, à 90% catholiques, et leur deux million d’élèves. La République est peut-être une et indivisible, mais son éducation nationale elle est bien divisée…Entre des écoles où le principe de laïcité sera rappelé et celles où il sera contourné. Un des moyens de ne pas focaliser toujours sur les défis posés par l’intégrisme musulman serait peut-être de se pencher sérieusement sur l’intégrisme qui monte à l’intérieur de ces établissements-là. Au point de former toute une génération de jeunes enragés contre l’égalité des droits découlant du principe de mariage civil et donc de la laïcité, comme lors des manifestations contre le mariage pour tous.
Lutter pour la laïcité pourrait passer par concentrer tous les moyens de l’État sur l’école publique, au lieu de verser chaque année 7 milliards à l’école privée, qui a décidément tous les avantages : des frais de scolarité élevés, la possibilité de trier ses élèves, celle de contourner la laïcité, tout en bénéficiant de l’aide financière de l’État. Mais ça, mon petit doigt laïque me dit qu’aucun ministre socialiste n’ouvrira ce dossier. Que tout le monde se rassure, la guerre scolaire au service de plus de laïcité et d’une plus grande égalité des chances n’est pas pour demain."