In L’Expresso – Le Café Pédagogique – 11 décembre 2013 :
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Spécialiste de la géographie de l’alimentation, professeur à Paris IV, Gilles Fumey décrypte les enjeux alimentaires. Pour lui, la recherche de la qualité alimentaire est inscrite dans notre avenir et est une marque de résistance à la globalisation.
Aujourd’hui des millions d’enfants déjeunent dans des institutions scolaires. Cela a t il un effet sur l’évolution des habitudes alimentaires ?
Oui et non. Oui, pour ceux qui sont dans des milieux sociaux où la nourriture est peu valorisée, voire peu variée. Plutôt non pour ceux qui sont dans des familles où l’on fait attention à ce qu’on mange. Cela dépend aussi de l’âge. A l’école primaire, la nourriture fait partie des jeux possibles. Au collège et encore plus au lycée, les élèves choisissent ce qu’ils mangent et cela a peu d’impact sur leurs pratiques alimentaires qui sont plutôt valorisées par les transgressions de toutes sortes.
Gilles Fumey vous êtes géographe. Que vous inspire cette carte de la fréquentation des cantines en Ile de france ?
A vrai dire, en dehors des disparités sociales bien connues qui montrent un accès différencié à la cantine, les cartes sont peu exploitables à l’échelle régionale. En revanche, dans le détail, on voit bien les données sociales à l’œuvre. En gros, se confirme l’idée que pour des scolaires issus de milieux peu aisés, l’école est une vraie occasion de plonger dans un autre monde et de faire l’expérience d’une socialisation plus riche.
La nouvelle politique tarifaire régionale vise à permettre aux jeunes des quartiers populaires d’accéder à la cantine en abaissant le coût du repas. Que peut-on en attendre ?
On peut en attendre un accroissement du nombre des repas pris à l’école. Certains élus se demandent même pourquoi on n’a pas été jusqu’au bout de la logique de gratuité à l’école en généralisant l’accès gratuit aux cantines. On ferait reculer une partie des pratiques « ethniques » de l’alimentation qui sont des freins à l’assimilation. C’est une excellente initiative tout à l’honneur de la région.
La région ile de France a fait le choix pour ses restaurants scolaires d’imposer la gestion publique plutôt que l’appel aux grands groupes privés que l’on trouve dans de nombreuses régions. Peut on en attendre une plus grande qualité des repas ?
Certes, la gestion publique donne à la région – et beaucoup d’autres qui ont la même politique – une plus grande maîtrise de ses achats et un impact plus grand dans la construction de nouvelles filières de proximité en amont de la restauration scolaire. Cela répond à une demande qu’elle honore et c’est tant mieux. Maintenant, certaines entreprises privées font un réel effort pour offrir une restauration de qualité, parfois en lien étroit avec l’agriculture locale. Forcément, les produits frais sont la plupart du temps préférables aux conserves ou aux surgelés qui, dans l’idéal, ne devraient que dépanner.
Bio, circuit court, faible prix sont les maitres mots de la région. Le contraste n’est il pas frappant avec la réalité agricole et économique de la région Ile-de- France ?
Les mentalités changent plus vite qu’on ne l’imagine. Certains maires usent de leurs droits pour préempter des terres agricoles visées par l’étalement urbain. La conversion de l’agriculture productiviste à des pratiques plus raisonnables, voire au bio, prendra une génération. L’Ile-de-France est aussi un des greniers du pays. On ne peut pas lui demander des stocks céréaliers et, en même temps, une spécialisation maraîchère tout de suite disponible. Il faut du temps pour convertir un openfield céréalier en parcelle maraîchère. Ce n’est pas le même métier.
Qu’en est il des inégalités alimentaires mondiales aujourd’hui ?
Les inégalités alimentaires dans le monde sont criantes et scandaleuses lorsqu’on sait que ce qui est gaspillé est pris aux populations pauvres. Même symboliquement. Il y a bien une prise de conscience à l’échelon mondial et un peu partout des initiatives fleurissent pour enrayer à l’échelle locale ce scandale. 400 chercheurs viennent de rendre un rapport sur cinq ans de travail visant à aider l’Union européenne à pousser à une révision du droit international à l’OMC pour interdire l’achat de terres agricoles par des sociétés des pays riches dans les pays en développement. Néanmoins, je reste très pessimiste sur l’Afrique où l’on sabote trop facilement le système de production par des ventes de surplus européens à bas prix et sur l’Inde engagée dans une course-poursuite entre production et démographie. Là, la question est autrement plus compliquée et l’échelon politique pèse très lourd dans les choix futurs.
Peut on prévoir ce que sera l’alimentation demain ?
L’alimentation demain dans les pays riches sera variée, de bien meilleure qualité par rapport à celle d’aujourd’hui, avec des pratiques alimentaires risquent d’évoluer vers des prises plus individuelles que collectives. La gastronomie reste un bon moyen de survivre à la crise, dans le sens où elle sublime ce lien que nous construisons avec le monde. Donc, l’alimentation sort très valorisée de son insertion dans des compétitions ludiques télévisuelles. Dans les pays plus pauvres, la situation est toujours aussi tendue. Les multinationales sont à l’affût des moindres marchés solvables qui pointent leur nez. Mais globalement, la liste des best sellers mondiaux va s’enrichir aussi bien dans les plats que les boissons. Ce qui fouettera d’autant les filières locales qui jouent leur rôle de contrepoids à une trop grande dilution des symboliques alimentaires dans des produits de marque.
L’Asie va monter en puissance dans les cultures alimentaires qui seront moins américaines et plus variées. A elle seule, l’Asie orientale offre des alternatives de qualité aux standards des FMN : gastronomies thaïlandaise ou japonaise, cuisines chinoise, vietnamienne ou malaise bien adaptées à nos modes de vie urbains et mobiles. Dans vingt ans, la planète alimentaire sera méconnaissable pour quelqu’un qui aura connu les médiocres fast foods américains des années 1970.
Propos recueillis par F Jarraud