CANADA : « TRANSFORMATION SILENCIEUSE » de l’école – L’innovation, le cas français – François MULLER
In Canadian Education Association (CEA) – 2013 :
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Dans un vieux pays au système d’éducation encore largement centralisé, l’innovation devient une manière de conduire le changement en insistant sur trois forces : informalisation, mutualisation et valorisation, tous trois, processus dynamiques de transformation de la connaissance professionnelle et vecteur d’amélioration de l’École. La France organise depuis trois ans, à l’UNESCO, les Journées nationales de l’innovation où cinq grand prix nationaux sont décernés. Des conférences en ligne, des laboratoires d’analyse et des ateliers de créativité sont organisés autour des grandes problématiques telles que le décrochage scolaire, le développement du numérique ou encore l’égalité filles-garçons. Des intervenants de la recherche internationale, des cadres intermédiaires et des équipes de terrain y participent. RESPIRE « Réseau d’Echange de Savoirs Professionnels en Innovation, Recherche et Expérimentation », permet aux professionnels de partager leurs connaissances, leurs questions, leurs ressources, en déprivatisant leurs pratiques et en renforçant leur professionnalité. En décembre 2012, RESPIRE s’est mérité le Prix de l’Innovation dans la fonction publique d’État.
L’innovation, un objet étrange dans l’éducation
L’innovation reste encore un mot « attracteur étrange » dans l’éducation, tout du moins en France; à la fois attractif, produisant des effets, mais d’emploi fort différent suivant les milieux et les locuteurs. Paradoxalement, il n’est pas ou fort peu employé par les enseignants eux-mêmes, mais usité par l’encadrement supérieur. Le Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative, nouvellement installé en avril 2013, vient d’en proposer une définition contemporaine :
Une pratique innovante, c’est plutôt une action pédagogique caractérisée par l’attention soutenue portée aux élèves, au développement de leur bien-être, et à la qualité des apprentissages. En cela, elle promeut et porte les valeurs de la démocratisation scolaire. La démarche sollicite souvent la créativité des personnels et de tous les élèves. L’action est la plupart du temps partagée et gagne à s’étayer à un moment par une méthodologie de conduite du changement; enfin, l’équipe s’élargit souvent pour devenir partenariale, en prenant appui sur les ressources dans son environnement et à l’ouvrir sur l’extérieur. Chacun de ces points ne suffit pas à lui seul, mais plusieurs combinés font d’une action une pratique innovante dans sa conduite et dans ses effets.
Ainsi détouré, le concept renvoie à des pratiques, à la variété infinie et polymorphe, qui atteste que l’École se réforme par le bas, par ajustements successifs à des réalités locales; cette analyse pose une question d’importance dans un système d’éducation hérité d’une organisation étatique et centralisée; l’autonomie formelle des établissements du 2e degré (collège, lycée) ne date que de 1986; et 20 ans sont nécessaires pour que les équipes investissent ces marges de l’autonomie; les « conseils pédagogiques », instance de délibération formelle d’une équipe sur les choix et options du projet d’établissement, datent de 2006 seulement; les inspections restent disciplinaires et individuelles, dans une régularité vacillante selon les cas, selon les lieux. Le rapport à l’autorité reste pour beaucoup un nord magnétique dans la recherche à la conformité aux programmes et à l’organisation prescrite plutôt qu’à l’amélioration des acquis de ses propres élèves.
Dans ce contexte des années 2010, l’innovation devient alors une manière de conduire le changement en pariant sur trois points : informalisation, mutualisation et valorisation, tous trois processus dynamiques de transformation de la connaissance professionnelle et des pratiques au service des élèves.
Informalisation
Dans cet éco-système pédagogique, l’internet des profs semble partitionné en deux usages : une fonction d’affichage institutionnel relativement statique, informationnel ou politique avec des degrés de validation, et un « off » de type forum ou associatif à la dimension de communauté professionnelle avec des tonalités parfois contestataires. Il n’est pas sûr que l’un serve l’autre et réciproquement. Ce constat est d’autant plus important que le nombre de personnels concernés est sans commune mesure : près de 857 000 enseignants potentiellement pour 13 millions d’élèves, plus de 55 000 unités éducatives. Ce paysage professionnel présente pourtant un véritable paradoxe en ce sens que dans cette organisation relativement bureaucratique, chacun peut avoir le sentiment de se sentir seul et sans valorisation ni reconnaissance attendue.
Pour toutes ces raisons, nous avons initié un véritable réseau social vivant, coopératif et professionnel RESPIRE. Cet acronyme signifie Réseau d’Échange de Savoirs Professionnels en Innovation, Recherche et Expérimentation[1]. C’est le premier réseau social pour les professionnels de l’éducation, créé en 2011 à l’occasion de la préparation de la deuxième édition des Journées de l’innovation[2]. RESPIRE concerne tous les professionnels de l’éducation, qu’ils soient enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs, conseillers pédagogiques, chercheurs… Le réseau compte à ce jour plus de 6000 contributeurs répartis dans 450 groupes de travail. La dynamique est coalescente et organique.
RESPIRE permet aux professionnels de partager leurs connaissances, leurs questions, leurs ressources, de déprivatiser leurs pratiques et ainsi de renforcer leur professionnalité. Chacun dispose de son identité propre, contribue en fonction de ses centres d’intérêt et de ses appartenances multiples, qui à un Forum où des questions se partagent, qui à l’élaboration d’un programme de séminaire, qui en repérage de ressources non encore formalisées, sans pression ni regard hiérarchique autre que la Net-étiquette. RESPIRE participe à l’émergence de nouvelles communautés d’apprentissage professionnel et a été récompensé en décembre 2012 par le Prix de l’Innovation dans la fonction publique d’État[3].
Le concept de RESPIRE peut se décliner en quatre principes :
1. Informalité : l’expression y est libre et explicite, sans niveau de validation requis; elle est fonctionnelle et vient soutenir des initiatives plus institutionnelles et plus formelles;
2. Personnalisation : chaque contributeur est identifié et navigue au gré de ses intérêts et de ses questions. Les interactions sont ciblées et partagées en même temps;
3. Open source : les connaissances sont partagées, ou délimitées en fonction du degré de publicité souhaitée. Elles peuvent nourrir des groupes a priori différents ou séparés (par leur origine, par leur appartenance, par la géographie). Le développement technologique est libre de droit;
4. Coopération : chaque groupe, qu’il soit projet, échange, formation, ou pilotage permet de partager les questions et les réponses, les ressources et les documents; la logique est contributive et non descendante. Le groupe se renforce de ce capital et acquiert en légitimité et en professionnalité.
L’animation d’un tel réseau est capitale : la seule solution technologique ne peut se suffire à elle-même; il faut amorcer de manière volontariste, dans certaines directions, pour initier le flux des échanges et des contributions, et dans le même temps, relayer la connaissance en l’arrimant à d’autres réseaux ou communautés.
Mutualisation des connaissances
Cette manière nouvelle, si ce n’est « innovante » de construire les relations professionnelles participe d’une approche plus globale, fondée sur la mutualisation : l’espace social est le prolongement numérique d’un maillage local de personnes-ressources et « amis critiques » de l’innovation, le réseau des CARDIE[4]. La mobilisation des équipes sur le terrain trouve son écho visible en ligne; les solidarités professionnelles structurent le réseau et accroissent alors l’efficacité du service. RESPIRE vient compléter la base de connaissances des innovations, Expérithèque[5].
L’originalité des contenus, la primeur des informations et la convergence des initiatives sont de réelles plus-values. En transformant les informations remontées en direct en connaissances sur les pratiques, sur les tendances émergentes, sur les difficultés rencontrées, l’innovation joue une fonction de « bottom-up » définitivement essentielle pour éclairer les décideurs dans la « Refondation » de l’École initiée depuis 2012. Toujours initiée au niveau des classes, avec des élèves, l’innovation devient stratégie éducative pour un établissement, et ressource pour une orientation nationale.
Valorisation des acteurs
Une telle organisation plus fluide dans la circulation des informations, plus proche dans l’accompagnement des équipes, plus efficace dans la régulation des actions ne peut s’activer que si la tonalité est résolument donnée à un haut niveau. Suivant le principe « on ne valorise que ce que l’on reconnaît », l’innovation dispose des Journées nationales depuis trois ans à l’UNESCO.
Deux journées permettent de faire converger intervenants de la recherche internationale, cadres intermédiaires et équipes de terrain autour des grandes problématiques telles que le décrochage scolaire, le développement du numérique ou encore l’égalité filles-garçons. Conférences en ligne, mais aussi laboratoires d’analyse, et ateliers de créativité sont des occasions rares pour tous avec bien des échos dans les académies. A cette occasion, cinq grand prix nationaux sont décernés[6].
Par exemple, le lauréat du prix de l’innovation 2013 : « Co-observer pour favoriser le développement professionnel » est un dispositif porté par deux enseignants du collège Jeanne et Émile Adenet du François en Martinique. Ils expérimentent des modalités de co-formation en équipe, par observation mutuelle et analyse de pratiques en inter-degrés, ce que l’on retrouve par ailleurs en termes de « développement professionnel ».
L’innovation devient donc une manière d’améliorer les pratiques enseignantes en misant sur l’intelligence collective et sur le développement professionnel des équipes. En cela, il est de la responsabilité d’une institution non de la tolérer, mais de l’inciter et de la soutenir en modifiant son propre éco-système; trois mots et beaucoup de pratiques.
Première publication dans Éducation Canada, novembre 2013
RECAP – In an old country whose education system is still very much centralized, innovation is becoming a significant change agent by focusing on three strengths: an informal approach, the pooling of resources, and self-actualization. These three dynamic processes act as levers to improve the school. For three years, France has been organizing national innovation days at UNESCO, with the awarding of five major national prizes. Online conferences, analytical laboratories, and creativity workshops are organized around major issues such as school retention, development of digital technology, and gender equality. Researchers and educators at all levels take part. In December 2012, The RESPIRE (Réseau d’Echange de Savoirs Professionnels en Innovation, Recherche et Expérimentation) network won the Prix de l’Innovation dans la fonction publique d’État, the country’s prize for innovation in the public service. RESPIRE enables professionals to share their knowledge, questions, and resources, while deprivatizing their practices and strengthening their professional skills.
[1] http://respire-education.fr
[2] http://eduscol.education.fr/cid65866/les-journees-innovation-28-mars-2013.html
[3] http://rencontres.acteurspublics.com/2012/les-victoires-de-linnovation/
[4] Conseiller académique recherche-développement, innovation et expérimentation.
[5] http://eduscol.education.fr/experitheque/carte.php Il recense actuellement plus de 3000 actions innovantes.
[6] Retrouvez les vidéos des équipes et des actions innovantes sur la télé de l’innovation, sur http://respire.eduscol.education.fr/pg/groups/58/journes-nationales-de-linnovation-2013/