In L’Expresso – Le Café Pédagogique – le 4 novembre 2013 :
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"Les nouveaux rythmes scolaires vont-ils contribuer à donner plus de souplesse au fonctionnement de l’école ou, au contraire, produire des effets non escomptés en enfermant les acteurs dans un cadre plus contraignant ?" Dans cette communication, faite lors de la rencontre territoriale co-organisée par les délégations Bretagne et Pays de la Loire en partenariat avec l’Association Nationale des Directeurs Education des Villes (ANDEV), Bruno Suchaut analyse l’opportunité de la réforme au regard de la gestion globale du temps scolaire. Pour lui, le morcellement du temps éducatif (accueil périscolaire, temps d’enseignement, temps d’activités périscolaires, APC etc.) et la multiplicité des intervenants posent problème. Des adaptations sont nécessaires.
L’intitulé de cette communication fait référence à l’expression «Prisoners of time», titre incisif d’un rapport emblématique de la National Education Commission on Time and Learning (NECTA) publié aux Etats-Unis en 1994 et réédité en 2005 (1) . Ce rapport montre de quelle manière l’organisation du temps scolaire a contribué à installer les acteurs principaux de l’école dans une logique d’enfermement avec des règles qui arrivent à déterminer l’organisation de la vie familiale et celle des établissements, mais aussi et surtout l’acte pédagogique et les conditions d’apprentissage des élèves. Cette caractéristique contraignante du temps scolaire entrave alors la liberté de l’enseignant, nuit à la cohérence des apprentissages et, au final, à la motivation et à la réussite des élèves (Cavet, 2011). Cette analogie avec la notion d’enfermement ne peut-elle pas, dans un tout autre contexte, s’appliquer à la réforme des rythmes scolaires en France qui, d’une certaine manière, se soumet elle aussi à la loi d’une horloge d’une autre nature, mais sans doute tout autant contraignante : celle du temps politique ?
Ne risque t‘on pas également d’enfermer les élèves et les enseignants dans une logique de morcellement du temps qui peut nuire à l’absence d’une continuité éducative ? Permet-on aux enfants de mieux vivre les temps scolaire et éducatif et d’en tirer tous les bénéfices en termes de bien être et d’apprentissage ? Au final, les nouveaux rythmes scolaires vont-ils contribuer à donner plus de souplesse au fonctionnement de l’école ou, au contraire, produire des effets non escomptés en enfermant les acteurs dans un cadre plus contraignant ?
Même si elle paraît en complet décalage avec les objectifs initiaux de la réforme qui visent, au contraire, à une meilleure répartition du temps et à l’amélioration des conditions de vie des élèves, cette question mérite d’être discutée au regard des premiers mois de mise en place des nouveaux rythmes. On peut en effet mobiliser des arguments qui interrogent la pertinence de leur mise en œuvre sur le terrain et même, plus largement, l’avenir même de la réforme dans un contexte politique particulier.
Cet objet de politique éducative peut être perçu et interprété de différentes manières selon le cadre de référence mobilisé par les différents acteurs concernés. A cet égard, la recherche en éducation peut fournir un paradigme pertinent pour l’analyse de la problématique des rythmes scolaires. L’évaluation des politiques éducatives, centrée sur l’efficacité des modes d’organisation de l’école, permet d’apporter des éléments objectifs au débat, éloignés des intérêts particuliers des différentes catégories d’acteurs sur la pertinence de la réforme et de ses modalités d’application. Ce point de vue de la problématique des rythmes scolaires est partiel, mais il présente l’intérêt de cibler l’amélioration des conditions d’apprentissage des élèves et, plus globalement, celle de la qualité de l’école primaire.
Le contexte de la réforme
Dans la refondation de l’école française, la réforme des rythmes scolaires prend une place spécifique suite à son application dans les communes engagées à la rentrée 2013. Bien qu’il soit évidemment trop tôt pour faire un bilan détaillé de la situation, il est en revanche possible de dégager quelques pistes sur la base de premiers constats et de contribuer ainsi à nourrir les évaluations à venir en insistant sur quelques points significatifs après quelques semaines de fonctionnement de cette nouvelle organisation du temps. Dans une perspective temporelle plus longue, c’est aussi l’occasion d’alimenter la réflexion sur le chemin restant à parcourir pour atteindre les objectifs initiaux de cette réforme.
On rappellera que la problématique des rythmes de l’enfant n’est pas nouvelle en France, elle a donné lieu à de nombreux rapports souvent bien documentés sur la question qui ont permis de retenir des préconisations assez claires à destination des responsables de la politique éducative (INSERM, 2001 ; Touitou, Bégué, 2010). Les spécialistes ont en effet souligné la situation insatisfaisante de l’organisation du temps scolaire qui prend peu en compte les besoins des enfants ; les chercheurs plaident pour des améliorations dans plusieurs directions : aménager la journée scolaire en fonction des rythmes de performances, aménager la semaine sur quatre jours et demi ou cinq jours, respecter le sommeil de l’enfant, proposer un calendrier annuel alternant sept à huit semaine de classe et deux semaines de congés, moduler le temps scolaire en fonction de l’âge des élèves. Jusqu’à la présente réforme, les tentatives d’amélioration ont été plus que timides dans la mesure où elles se sont souvent limitées à des expérimentations au niveau local. Les projets envisagés sur le plan national se sont par contre heurtés à des résistances venant notamment du monde économique et social, plus particulièrement quand il s’agissait de proposer un nouveau calendrier scolaire annuel davantage en phase avec les rythmes biologiques des enfants. Le temps scolaire a toujours été en effet un terrain conflictuel entre les acteurs sociaux qui ont des intérêts divergents (Sue, Caccia, 2005). La décision récente du Ministre de l’Education nationale de raccourcir les journées de classe et de mieux répartir le temps d’enseignement sur la semaine pourrait donc être considérée, à la lumière du passé, comme une mesure à la fois courageuse et pertinente et comme une étape annonçant des changements plus importants. C’est en effet la première initiative qui modifie l’organisation scolaire sur la seule base de l’intérêt de l’enfant avec comme principe la réduction du temps journalier.
Cette réforme, qui s’inscrit dans le processus plus large de la refondation de l’école est toutefois loin de faire l’unanimité chez les acteurs et partenaires de l’école. La faible proportion de collectivités locales ayant opté pour une mise en place à la rentrée 2013 (20% des communes et 22% des élèves concernés) est déjà un signe révélateur des difficultés à venir dans l’application de la réforme au niveau du territoire national. Il est intéressant, par ailleurs, d’insister sur les facteurs qui ont été déterminants pour cet engagement dès la rentrée 2013. Une étude empirique originale fournit des éléments factuels sur cette question (Cassette, Farvaque, 2013). En effet, sur la base d’analyses statistiques estimant la probabilité pour une commune d’appliquer la réforme dès 2013, il ressort clairement que ce sont les facteurs politiques (la sensibilité politique du maire notamment) qui expliquent les choix de municipalités ; les ressources financières interviennent également, mais dans une moindre mesure. Les auteurs insistent sur le fait que ce ne sont pas les intérêts des enfants qui ont été à la base de la décision de s’engager dans la réforme. A cette faible adhésion des communes, déterminée par des facteurs politiques, s’ajoute la résistance, voire même l’opposition de certains enseignants et de leurs représentants depuis la mise en place en septembre dernier.
Objectivement, aucun élément ne permet à l’heure actuelle de savoir si la nouvelle organisation du temps scolaire va bien atteindre les objectifs fixés pour les élèves, principalement en termes de meilleures conditions d’apprentissage. De même, il est trop tôt pour savoir si les parents constatent une amélioration ou, au contraire une dégradation, quant au bien être de leurs enfants par rapport à l’organisation précédente. Ce qui est certain, c’est que la réforme fait l’objet d’une forte médiatisation, qu’elle suscite un débat animé et qu’elle soulève des interrogations et des inquiétudes.
Détour historique sur le temps scolaire
Un bref rappel historique peut être intéressant pour bien situer la réforme actuelle en référence à un passé qui a connu des modifications progressives à l’école primaire en ce qui concerne le temps scolaire et sa répartition (Lelièvre, 2008). Il est même utile de remonter loin dans le temps pour bien comprendre la tendance de l’évolution. Ainsi, avant 1882, les élèves fréquentaient l’école tous les jours de la semaine, à l’exception du dimanche ; avec la gratuité, la laïcité et l’obligation scolaire, la journée du jeudi est libérée afin de permettre aux parents qui le souhaitent de fournir une instruction religieuse à leurs enfants en dehors des bâtiments scolaires. Par ailleurs, à cette époque, les congés d’été sont d’une durée de six semaines et c’est en 1922 que les vacances sont allongées à huit semaines pour permettre la participation des enfants aux travaux agricoles. En 1939, la durée des vacances d’été est à nouveau augmentée et elles passent ainsi à deux mois et demi avec un calendrier scolaire comprenant des congés intermédiaires à Noël et à Pâques. C’est en 1959 que l’année scolaire est découpée en trois trimestres avec 37 semaines d’enseignement.
En 1968 deux zones géographiques sont créées pour les vacances scolaires et en 1969, la durée hebdomadaire d’enseignement est fixée à 27h, contre 30h auparavant, suite à la libération du samedi après-midi. Les heures dégagées devant être consacrées à un perfectionnement pédagogique des enseignants. C’est en 1972 que le mercredi remplace le jeudi pour journée de congé et le découpage géographique des congés comporte trois zones. En 1986, le principe de l’alternance sept semaines de classe / deux semaines de congés est expérimenté durant une année. En 1990, la durée hebdomadaire de la scolarité passe de 27h à 26h, l’heure ainsi libérée pour les enseignants devant être utilisée conseils d’école, les conseils de cycles et les animations pédagogiques. En 2008, la semaine de quatre jours est instaurée avec la suppression du samedi matin, le temps hebdomadaire d’enseignement est ainsi abaissé à 24h, sachant que deux heures hebdomadaires d’aide personnalisée sont prévues pour les élèves qui en ont besoin.
En 2013, la semaine scolaire passe à nouveau à quatre jours et demi avec le mercredi matin comme jour de classe, sauf dérogation possible pour le samedi matin. Le temps d’enseignement hebdomadaire est fixé avec 24 heures avec certaines contraintes : les demi-journées ne doivent pas dépasser 3 heures 30, la pause méridienne doit durer au moins une heure 30 et la journée est limitée à cinq heures 30. Les APC (activités pédagogiques complémentaires) succèdent à l’aide personnalisée pour une durée annuelle de 36 heures et la diminution du temps d’enseignement journalier est compensée par des activités périscolaires facultatives d’une durée quotidienne de 45 minutes.
Un constat majeur, de nature quantitative, se dégage de ce bref rappel historique : le temps scolaire n’a cessé de diminuer au fil des décennies et de manière très significative. Ainsi, en un siècle, l’écolier français a perdu presque 500 heures d’enseignement par an, ce qui est évidemment considérable. Si on estime cette perte annuelle sur les cinq années de l’école élémentaire, ce sont donc près de 2 500 heures qu’il faut décompter de la scolarité. Ce chiffre est à rapprocher de celui des 4 000 heures d’exposition à l’enseignement nécessaires pour fournir à des enfants une instruction de base (Suchaut, 2003). Si l’on opte pour une comparaison temporelle plus proche, soit l’équivalent d’une génération, la diminution est de l’ordre de 108 heures par an, soit quand même 540 heures sur l’ensemble du cursus élémentaire, ce qui est loin d’être négligeable, surtout si l’on considère les forts besoins de certains élèves en matière de temps d’apprentissage.
L’évolution est également visible au niveau qualitatif. La nature du temps scolaire s’est en effet largement modifiée ces dernières décennies (Suchaut, 2009a). Quatre aspects complémentaires sont à considérer pour cette dimension. Le premier tient aux contenus des programmes scolaires qui se sont diversifiés avec l’enseignement de nouvelles disciplines (langues vivantes, techniques usuelles de l’information et de la communication, etc…). Le second aspect a trait à la mobilisation d’intervenants extérieurs pour la prise en charge de certaines disciplines (activités sportives, artistiques, scientifiques…). Un troisième aspect concerne le développement des dispositifs d’accompagnement à la scolarité sur le temps périscolaire (Suchaut, 2009b). Enfin, le quatrième aspect se réfère à l’aide aux élèves en difficulté qui fait l’objet depuis ces dernières années d’un temps spécifique et clairement identifié dans les textes.
L’ensemble de ces éléments conduit à constater que la quantité de temps disponible aux apprentissages des élèves a fortement diminué, notamment dans les disciplines dites « fondamentales », à savoir le français et les mathématiques. En outre, les contraintes des enseignants en matière de gestion du temps dans ces mêmes disciplines sont plus fortes qu’auparavant. Au total, l’opportunité d’apprendre dans le cadre ordinaire de la classe avec l’enseignant est aujourd’hui nettement plus faible pour les écoliers qu’auparavant. Cela pose un réel problème dans la mesure où certains élèves, pour des raisons diverses, ont besoin de beaucoup plus de temps que les autres pour ces apprentissages fondamentaux.
Au niveau des comparaisons spatiales, de nombreux pays ont également modifié la durée du temps scolaire à l’école primaire durant ces vingt dernières années ; certains systèmes (en Amérique latine notamment) l’ont augmenté, d’autres (en Asie du sud-ouest et dans beaucoup de pays européens) l’ont diminué (Benavot, Amadio, 2004). La majorité des pays consacrent entre 700 et 800 heures d’enseignement par an pour les premiers degrés de l’école primaire mais certains, comme la Finlande, ont une durée annuelle guère supérieure à 600 heures, alors que dans d’autres pays, comme en Irlande, la durée annuelle est proche de 950 heures. Dans ces comparaisons internationales, ce qui caractérise vraiment la France, c’est la forte concentration du temps scolaire avec seulement 140 jours d’école en primaire alors que la moyenne relevée dans l’OCDE est de 187 jours (Cavet, 2011). Ces données générales de cadrage invitent logiquement à évoquer une question essentielle pour notre problématique, à savoir celle de l’influence du temps d’enseignement sur les apprentissages réalisés par les élèves (Suchaut, 2009a).
Temps scolaire et apprentissages des élèves
Cette question n’a toutefois pas de réponse unique dans le mesure où elle celle-ci varie selon le niveau d’analyse considéré. Au niveau le plus général, celui du temps officiellement prescrit, les comparaisons internationales ne montrent aucune relation entre le nombre d’heures annuelles d’enseignement et le niveau de compétences des élèves. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce constat, on retiendra surtout le fait qu’il existe une distance parfois très grande entre la durée officielle du temps d’enseignement et l’utilisation effective de ce temps par les élèves. C’est donc davantage dans un contexte national donné qu’il faut conduire les analyses. Quand on examine alors, et dans un même pays, l’influence du temps réellement alloué aux disciplines sur les performances des élèves, la relation est forte mais non proportionnelle, des effets de seuil et de saturation étant visible en-deçà et au-delà d’un certain volume horaire (Suchaut, 1996 ; Aubriet-Morlaix, 1999). Les analyses empiriques confirment aussi le fait que le temps exerce un effet différencié selon le niveau de compétences des élèves, les plus faibles d’entre eux ayant des besoins plus importants. Mais c’est au niveau le plus fin du temps, celui qui correspond à une utilisation efficace par l’élève, que la relation est la plus intense. Le temps est alors, à ce niveau d’analyse, la ressource pédagogique la plus porteuse d’efficacité de l’acte d’enseignement (Attali, Bressoux, 2002). Il y a bien longtemps que des modèles ont mis en évidence les principes fondamentaux visant à la rentabilité du temps d’apprentissage des élèves (Caroll, 1963 ; Bloom 1974). En résumé, de nombreuses études ont permis de mieux connaître l’influence du temps d’enseignement sur les apprentissages des élèves même si celles-ci ont eu en fait assez peu d’écho dans le contexte français. La problématique du temps a en effet été presque exclusivement abordée sous l’angle des rythmes individuels des enfants et donc assez peu sous son aspect pédagogique et didactique.
On ne reviendra donc pas en détail sur les travaux des chronobiologistes et des chronopsychologues puisque leurs conclusions sont censées avoir été à la base des principes de la réforme (Testu, 1979, 1988, 1994, 1999 ; Testu, Bourgeois, Beaumard, Candiard, Chantepie, 1998). Rappelons qu’une organisation du temps qui tiendrait compte des résultats des recherches dans ce domaine limiterait le temps d’enseignement à une vingtaine d’heures jusqu’au CE2 avec des journées plus courtes et une semaine étalée sur quatre jours et demi ou cinq jours. Les congés d’été devraient par ailleurs être diminués de deux semaines pour mieux équilibrer le temps sur l’année. Les spécialistes préconisent également que les séquences d’apprentissage soient placées à des moments où les élèves sont les plus réceptifs avec une mise en route progressive des activités en début de matinée ; les débuts d’après-midi devant être consacrés à des activités non scolaires. Si la réforme est bien censée agir sur la réduction du temps scolaire journalier et sa répartition sur quatre jours et demi, rien n’a encore été fait en ce qui concerne la répartition annuelle, alors même que la problématique des rythmes scolaires concerne bien la répartition globale du temps scolaire et non pas uniquement celle de la semaine et de la journée. En lien avec le constat précédent sur l’importance du volume du temps d’apprentissage, avec un nombre de jours d’école qui n’a pas augmenté sur l’année scolaire, cette question essentielle du besoin en temps n’a donc pas encore trouvé de réponse avec la réforme.
Pour la politique éducative, il faut lire les résultats de ces travaux expérimentaux comme un cadre visant à améliorer les conditions d’apprentissage des élèves et non pas comme une fin en soi. Les rythmes scolaires doivent alors être perçus comme le levier d’une amélioration qualitative de l’école primaire et non pas comme une finalité. L’évolution doit concerner l’aspect qualitatif du temps d’enseignement, la prévention et la prise en charge de la difficulté scolaire. Au-delà de la répartition du temps, c’est encore une fois l’utilisation qui en faite par l’élève qui compte. Des marges de manœuvres sont alors possibles avec la réforme par une articulation optimale des activités scolaires et périscolaires (Suchaut, 2012). Les pratiques pédagogiques sont évidemment aussi à interroger et les travaux de recherche montrent bien toute l’importance des approches pédagogiques favorisant une pédagogie explicite et structurée (Bissonnette, Richard, Gauthier, Bouchard, 2010). A cet égard, et concernant l’apprentissage de la lecture, des expérimentations récentes à l’étranger, mais aussi et récemment en France, démontrent l’efficacité d’entraînements systématiques (en phonologie notamment) qui ciblent les besoins des jeunes élèves tout en évaluant fréquemment leurs compétences (DEPP, EMC , IREDU, 2013 ; Bougnères, Cros, 2013). C’est bien l’optimisation du temps d’enseignement de la lecture qui apparaît être le levier le plus important pour réduire l’échec scolaire, comme certains travaux le prouvent (King, Torgesen, 2006). Ces éléments théoriques et empiriques permettent de bien situer les enjeux de la réforme au niveau des élèves, mais qu’en est-il pour les autres acteurs ?
Les enjeux au niveau des acteurs
Du point de vue des acteurs, et pour identifier tous les enjeux de la réforme, on peut envisager un raisonnement basé sur les principes d’une analyse coût-avantage en mettant en regard, pour chaque acteur, les coûts actuels et potentiels engendrés par la nouvelle organisation avec leurs bénéfices réels et escomptés. Chaque acteur a en effet une perception particulière de la question sur la base de ses attentes, de son rôle et de son degré d’implication dans la réforme. Il peut alors être intéressant de rendre compte du degré de convergence des coûts et des bénéfices associés au changement. Il est évident que la situation sur le plan politique est d’autant plus simple que les coûts sont inférieurs aux avantages pour la majorité des acteurs. A l’inverse, si les bénéfices sont minimes alors que les coûts sont élevés pour la plupart des individus ou organisations concernés, l’avenir de la réforme est alors beaucoup plus incertain et le contexte politique d’autant plus tendu. Ces coûts et ces bénéfices sont de plusieurs natures et d’une intensité variable selon les acteurs et les dimensions considérés.
Pour les municipalités tout abord, il y a des coûts monétaires évidents à la mise en place de la réforme avec le financement des heures d’encadrement des élèves sur le temps périscolaires (salaires, transports, etc…). Il y a aussi un coût d’investissement en temps très important puisque les responsables des services éducatifs et leurs partenaires ont mobilisé beaucoup d’énergie pour organiser les activités, recruter et former le personnel, etc…. On peut aussi envisager un coût politique pour les élus locaux dans la mesure où des dysfonctionnements éventuels pourraient engendrer une dose de mécontentement pour une partie de la population. Au niveau des bénéfices, ils peuvent se lire à travers la création d’emplois nouveaux (même s’ils restent précaires), mais aussi en termes de satisfaction des parents d’élèves et des enseignants si l’organisation retenue est plébiscitée.
Pour les enseignants, le coût le plus visible est celui lié au travail le mercredi matin. Cette demi journée de classe supplémentaire, même si elle est compensée en temps par des journées moins longues, peut-être perçue comme une dégradation des conditions de travail au regard de la situation précédente due à la suppression du samedi matin. Ce coût peut s’apprécier en matière de répartition du temps, mais aussi, et dans certains cas, au niveau financier dans la mesure où des frais de garde d’enfants et de déplacement peuvent intervenir. On peut aussi, sur le plan organisationnel, mobiliser un inconvénient, partagé par certains enseignants, qui est celui de devoir laisser les salles de classes aux intervenants pour la pratique des activités périscolaires. Si cet argument peut-être interrogé dans la mesure où les locaux scolaires appartiennent aux municipalités, il n’en reste pas moins qu’au niveau de la perception que peuvent en avoir certains enseignants, cette situation est perçue comme un inconvénient de la réforme. Sur le plan des avantages, il y a bien sûr celui associé à la réduction de la journée de classe qui permet aux enseignants de terminer les cours plus tôt l’après-midi. On peut aussi envisager un bénéfice potentiel sur le plan pédagogique avec des élèves plus réceptifs aux apprentissages du fait des nouveaux rythmes ; c’est en effet, rappelons-le, l’objectif premier de la réforme.
Pour les parents, les situations sont sans doute très diverses du fait de la diversité des situations sociales et familiales, tant au niveau des coûts que des bénéfices. Au niveau financier tout d’abord, on peut supposer que dans certaines communes, la réforme exerce, à terme, un impact économique sur les contribuables (donc les parents) si les financements additionnels nationaux ne sont pas pérennes. Le changement dans l’organisation de la semaine avec la classe le mercredi matin peut être aussi pour certains parents une source de difficultés si leurs enfants pratiquaient des activités sportives ou artistiques pendant cette demi-journée, ces activités devant être alors programmées à un autre moment dans la semaine. En revanche, les activités journalières gratuites pratiquées dans le cadre périscolaire peuvent, pour certains parents, être considérées comme un avantage dans le sens où leurs enfants ne les pratiqueraient pas avant la mise en place de la réforme, notamment pour des raisons financières. Pour tous les parents, le bien être des enfants, suite au changement de rythme, peut alors être envisagé positivement ou négativement selon la pertinence des modes d’organisation du temps hebdomadaire, mais c’est l’évaluation objective et externe de la réforme qui devrait, in fine, fournir la réponse.
Au niveau des responsables politiques, la réforme est aussi envisagée avec des coûts et des bénéfices potentiels importants. Si la réforme suscite de forts mécontentements sociaux, cela peut avoir de lourdes conséquences sur l’avenir politique des élus locaux (au regard des futures élections municipales) mais aussi, et plus largement, sur celui des responsables nationaux et sur la crédibilité de la refondation de l’école : il ne faut en effet pas oublier que les rythmes scolaires en ont été le fer de lance.
Le point de vue des élèves a déjà été évoqué auparavant mais la nouvelle organisation du temps interroge aussi sur une autre dimension avec des effets non escomptés liés au morcellement du temps éducatif et la multiplicité des intervenants et des activités dans la semaine. Pour les jeunes enfants, le manque de repères est un risque à ne pas sous estimer.
Pour conclure provisoirement : quelques éléments factuels
On ne dispose pas encore de données exhaustives au niveau national sur les schémas d’organisation du temps retenus dans toutes les écoles concernées, mais on peut déjà souligner un point important quant aux modalités d’organisation à l’échelle du pays. D’une part les fortes contraintes de financement de la réforme et, d’autre part les souhaits des enseignants (souvent convergents) ont pour conséquence première de viser à une certaine homogénéité des schémas où, à tout le moins, de réduire les marges de liberté offertes par la législation. Si cela peut être considéré comme un avantage en matière de rationalité, cela peut aussi être envisagé comme une limite à des initiatives spécifiques au niveau des écoles, comme celles visant, par exemple, à un allongement significatif de la pause méridienne.
Les éléments qui suivent proviennent de deux sources d’informations. La première est globale et provient d’une enquête de l’ANDEV (Association Nationale des Directeurs de l’Education des Villes). La seconde, qui recueille des informations plus détaillées, est le fait d’exposés de certaines municipalités de l’Ouest de la France produits au cours d’une rencontre territoriale de délégations d’acteurs territoriaux de la région nantaise et des pays de la Loire. Plus précisément, nous mobiliserons des constats provenant des municipalités d’Angers (147 600 habitant), de Saint-Nazaire (67 000 habitants), de Sainte Luce sur Loire (11 900 habitants), de la Roche sur Yon (52 700 habitants) et de Saint-Herblain (43 150 habitants).
Un premier élément objectif concerne les coûts engendrés spécifiquement par la réforme pour les municipalités qui ont pu les chiffrer. Il y a en premier lieu le coût associé à la mise en œuvre des projets. Ainsi, pour Angers, ce sont presque huit équivalents temps plein (7,75 ETP) qui ont été consacrés à cette activité depuis janvier 2013. En ce qui concerne le coût des nouvelles activités à destination des élèves, et pour cette même municipalité, il est évalué à 2 331 000 euros (1 660 000 € pour 60 ETP, 419 000 € pour les associations et 250 000 pour le transport). En prenant en compte, le financement provenant du fonds d’amorçage et l’aide forfaitaire de la CAF, le coût par enfant est estimé à 238 euros. Le coût net moyen pour la municipalité (hors financements externes) est de l’ordre de 143 euros en moyenne sur trois ans. Pour la ville de Saint-Nazaire, le coût net de la réforme est estimé à 1 459 000 euros, soit un coût par élève de 280 euros. Des données exhaustives sur les coûts de la réforme dans toutes les municipalités et avec un même mode de calcul seraient les bienvenues, mais on peut déjà imaginer que ces coûts peuvent être très élevés sur certains territoires et poser de réels problèmes de financement si les aides externes ne sont pas pérennes.
Sur le plan de l’organisation de la semaine, l’enquête de l’ANDEV, établie sur la base de 183 réponses de communes, précise que dans 10% des collectivités, les cours sont décalés d’un quart d’heure en début de matinée et que pour 20% d’entre elles on assiste à un allongement de la durée de la matinée. Les horaires de fin de cours l’après-midi se répartissent ainsi dans les différentes municipalités enquêtées : 15h 30 (15%), 15h 45 (33%), 16h (23%), 16h 15 (10%), 16h 30 (14%), 16h 45 (5%). La tendance dans les écoles est donc majoritairement de terminer les cours plutôt puisque dans plus de 70% des cas, ceux-ci finissent au plus tard à 16h. L’examen plus détaillé des emplois du temps des écoles situées dans les communes de l’Ouest précédemment citées fait part d’organisations qui présentent certaines constantes : 1) une pause méridienne qui n’excède jamais une durée de deux heures, 2) un temps d’activités périscolaires (TAP) qui prend place à la suite du temps scolaire l’après-midi, 3) un accueil périscolaire en début et en fin de journée. Certaines écoles, peu nombreuses, présentent toutefois une organisation différente avec le temps d’activités périscolaires programmé juste après la pause méridienne.
Quant aux activités proposées dans le cadre du TAP, elles témoignent d’une grande variété mais elles prennent toujours la forme d’ateliers. Ces ateliers s’inscrivent aussi la plupart du temps dans des parcours, laissant partiellement le choix aux enfants. On ne fera pas ici la liste des activités qui concernent différents domaines (sportif, culturel, artistique, ludique, etc…), elle serait évidemment très longue. On peut retenir toutefois le nombre important d’ateliers et d’intervenants dans une même commune. Ainsi, pour la Roche sur Yon, ce sont 400 ateliers hebdomadaires qui sont mis en place. Pour la ville d’Angers ce sont 580 intervenants (70% étant rémunérés par la ville) qui animent les ateliers, le nombre étant de 310 pour St Nazaire.
Cette description succincte des situations de ces communes a été mobilisée à titre d’illustration et n’est donc en aucun cas un état des lieux au niveau national. Néanmoins, il est probable que les schémas retenus dans l’ensemble des communes partagent les mêmes principes d’organisation. Une question est alors de se demander si ces schémas se rapprochent vraiment de l’idéal prôné par les recherches en maximisant, à la fois le bien être de l’enfant et l’amélioration de ses conditions d’apprentissage…
Cet arrêt sur image de la réforme des rythmes scolaires a permis d’en rappeler les enjeux et de mettre en évidence certaines questions importantes. L’objectif principal de la réforme des rythmes scolaires est bien l’amélioration des conditions d’apprentissage des élèves. On peut alors se demander si le morcellement du temps éducatif (accueil périscolaire, temps d’enseignement, temps d’activités périscolaires, activités pédagogiques complémentaires, etc.) et la multiplicité des intervenants (enseignants et animateurs et intervenants de statuts différents) sont des réponses pour un meilleur vécu du temps par l’enfant. Pour l’avenir de la refondation de l’école, la réussite de la mise en place des nouveaux rythmes scolaires est capitale. Les arguments et les faits discutés dans ce texte montrent que cette réussite n’est pas assurée et que des adaptations sont nécessaires pour obtenir l’adhésion des acteurs, mais aussi pour atteindre les objectifs visés. Le contexte politique n’est pas non plus à négliger. Les prochaines élections municipales pourraient être l’occasion d’utiliser la réforme des rythmes scolaires comme un objet de campagne et il serait alors regrettable que l’avenir de la réforme se joue dans les urnes.
Bruno Suchaut
Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques
Institut de recherche sur l’éducation
Note :
(1) National Education Commission on time and learning (2005). Prisoners of Time. Washington : NECTA (1ère éd. 1994).
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