Une double caractérisation peut être proposée:
– structurelle et pédagogique.
Dans l’Ecole en mutation, Charlot réfléchissant à la forme scolaire dans la perspective de G. Vincent, relevait que « la vie sociale engendre des demandes d’éducation qui reflètent les rapports sociaux ». Si, comme nous le notions supra, l’exercice politique de la décentralisation et de l’aménagement du territoire engendre, au moins partiellement, une sorte de mouvement institutionnel et social territorial, l’offre et la demande sociales d’éducation actuelles tendent à faire bouger les frontières éducatives …
C’est donc la forme scolaire française, selon l’expression de G.Vincent qui est progressivement remise en cause et trouve aujourd’hui ses limites historiques. Le même G.Vincent, poursuivant sa réflexion, se demandait d’ailleurs quelques années plus tard si, en définitive, dans le cas de figure national, « l’éducation est prisonnière de la forme scolaire ? »
Le contexte partenarial pointé dans la 1ère partie de cette étude, comme – à titre d’exemple – des approches originales portées par les six Fédérations de la Ligue de l’enseignement, semblent peu à peu dessiner le passage d’une forme scolaire vers une forme éducative, riche d’interactions cognitives généralisées. Au delà de leurs difficultés, les déclinaisons d’actions éducatives territorialisées ou les réalités de projets éducatifs rencontrées dans cette étude en constituent alors des mises en œuvres concrètes … et prospectives.
Dans cette conception, l’enfant et le jeune en train de se former vont appuyer leur «autosocioconstructlon.» sur diverses connaissances portées par diverses personnes, institutions, acteurs locaux, dont les principes de reconnaissance et d’utilité sont variés, mais participent tous de ce qui peut alors être pensé comme une sorte de synergie en action, démarche collective bénéfique pour chaque enfant et chaque jeune. Cela sera encore plus vrai dans les milieux les moins riches en capital au sens de P. Bourdieu :capital scolaire, capital culturel, capital relationnel et capital social en général.
P. Meirieu avance-il autre chose quand il écrit: « l’Education est une responsabilité collective à l’égard du futur (… ).Les parents, les enseignants et cadres éducatifs, les associations, les hommes et femmes de communication, les artistes et plus généralement tout le tissu social, exercent ensemble cette responsabilité. Dans une société démocratique ‘le projet éducatif’ est une affaire de tous et chacun doit y contribuer.
– politique et idéologique
La deuxième facette de la leçon principale perspective de cette étude est, croyons-nous, politique et idéologique. Car n’est on pas en train de passer en deux/trois décennies d’un période de tâtonnement expérimental et comme le notait D Glasman de politiques éducatives territorialisées, présentées comme une démarche descendante, à une autre étape? D’un début de cogestion éducative par des acteurs plus ou moins contraints, plus ou moins volontaires, plus ou moins étonnés d’être ensemble, à autre chose?
S’il s’agit dans notre champ – pour reprendre un mot de Montaigne « de frotter sa cervelle à la cervelle des autres », c’est une nouvelle pensée politique en éducation qui semble se frayer une voie entre les cultures, les crispations, les dispositifs, les pratiques, les incertitudes, les volontés, les perspectives, les regrets voire les rejets …
Pensée politique qui rejoint les perspectives ouvertes voilà presque un siècle par une partie du courant de l’Education nouvelle – et qui là aussi dans un désordre créateur – se positionnait déjà dans cette direction …
Si localement,« l’hétérogénéité des enjeux appelle une hétérogénéité des réponses », cela implique bien évidemment – et dialectiquement – des recherches de cohérences dans les pratiques comme dans les perspectives politiques. Dans ce sens une certaine maturité dans la rét1exion sur la gouvernance territoriale traduit bien la réalité en émergence d’un intérêt général local : il s’agit toujours de «passer d’une régulation par le centre à une régulation par la négociation et la coopération ».
Ceci avec la possibilité de renouveau dans la visée de démocratisation éducative: les Zep, par définition, les Pel quand ils sont sous-tendus par la volonté de lutter contre les inégalités scolaires et éducatives, les CEL, bien d’autres réalités nouvelles, nous avons affaire à des remobilisations politiques en éducation écho original d’autre moments forts d’une longue histoire: école unique, politique de J .Zay, collège unique …
Or deux hypothèses sociétales sont devant nous: une distance encore accentuée entre groupes sociaux corrélée à une quasi assignation à résidence de populations dans des territoires perdants voire ghettos, ou à l’inverse celle d’une appropriation démocratisante des modernités avec, pour ce qui nous concerne des procédures de développement éducatif local, au croisement à trouver de la démocratie représentative et de la démocratie participative.
Car se sont des politiques éducatives territoriales qui s’expriment aujourd’hui pour reprendre ici le deuxième temps de l’analyse de D. Glasman dans ce qui est appelé «une démarche ascendante ». Ce positionnement ne peut qu’exprimer un travail politique en cours sur des territoires: «passer de la gestion à la transformation des territoires» avance-t-on dans le Val d’Oise. Si, de ce point de vue, nous suivons Bourdieu, c’est bien à partir des transformations tentées concrètement que peut se dessiner « l’esquisse d’une théorie de la pratique ». Quand se vérifie chaque jour davantage le rôle décisif des réseaux d’acteurs locaux. Un travail politique en éducation est un travail sur les rapports sociaux d’éducation tel qu’il a été mené, jusqu’à présent, dans bien des dispositifs et initiatives qui prenaient en compte ce que nous appellerons’ l’esprit des lieux éducatif’ en commençant à proposer un changement social en éducation …
Le local en éducation s’avère donc un lieu possible d’intégration et de renouveau démocratique dans le champ quand, condition sine qua non, il est articulé à des objectifs partagés par des systèmes d’englobement eux-mêmes en évolution: Régions, Etat-nation, Europe … C’est ici la pratique et le temps qui définiront, progressivement, les territoires les plus pertinents …
Car qui ne voit désormais que les évolutions en cours en direction d’une forme éducative émergente peuvent déboucher sur l’invention d’un cercle d’éducation et de formation intégrant les dimensions culturelles et sportives et prenant de plus en plus en compte celles de l’insertion sociale et professionnelle ou de l’éducation tout au long de la vie?
Dans cette convergence démocratique souhaitable qui ne peut que s’appuyer sur le triptyque fondateur que nous avons cru voir se dessiner depuis vingt-cinq ans, est-il nécessaire de rappeler le rôle du monde associatif dans les espaces éducatifs en cours d’affirmation?
Et, dans ce sous-ensemble, les analyses qui ressortent de cette étude montrent des Fédérations de la Ligue de l’enseignement saisies par la volonté d’être actrices dans les chantiers éducatifs qui se sont ouverts. N’indiquent-t-elles pas pour demain, pour la Ligue de l’enseignement et ses 102 Fédérations une place nécessaire et incontournable? La mutation amorcée et réalisable – si les vents politiques ne sont pas trop défavorables – de la grande institution d’éducation populaire est donc appelée à être partie prenante de la mutation éducative en cours, ou quand d’un modèle qui peut être défini comme cartésien, on passe à un modèle systémique.
L’invention d’un possible futur éducatif et formatif a été examiné ici à partir de réalisations de terrain au sein de l’Etat-nation: il ne peut à l’avenir trouver sa pleine dimension que dans une démarche plus complexe – et donc plus passionnante à réaliser – à savoir celle d’un autre cercle démocratique à faire aboutir, celui des Etats, des nations, des régions et des peuples de l’Europe.