In L’Expresso – le Café Pédagogique – le 21 novembre 2013 :
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« Il n’y a pas de milieux défavorisés par nature ! » Les mots d’Henriette Zoughebi, vice présidente du Conseil régional en charge des lycées, ont clos les assises académiques de l’Éducation prioritaire qui se sont tenues à Créteil, mercredi 20 novembre. Avec 33 % d’élèves scolarisés en éducation prioritaire, l’académie de Créteil est la plus concernée par la réforme des ZEP. En présence de Florence Robine, rectrice, deux tables rondes concises mais denses, ont commenté et précisé la synthèse des contributions locales. Les acteurs de terrain ont largement participé à la consultation. Réinvestissement du collectif, formation et accompagnement des enseignants, prise en compte des temps de concertation, sont les points saillants de ce bilan. Un résultat représentatif, souligne Florence Robine, de la vitalité de dispositifs en permanente évolution.
Un engagement des enseignants plus fort qu’ailleurs
Lors d’une brève intervention d’ouverture, la Rectrice a rappelé les difficultés de l’éducation prioritaire : le slogan « donner plus à ceux qui ont moins » n’a pas été réalisé et des inégalités subsistent, que l’institution échoue à compenser. Mais mais elle rappelle aussi son principal succès : l’engagement exceptionnel des enseignants en E. P., « plus fort encore que dans les autres domaines, et plus fort dans l’Académie de Créteil qu’ailleurs ». Les succès, en matière d’éducation, sont une affaire de temps et le pilotage par les résultats laisse l’ombre les réussites plus complexes et plus riches que ne le laissent penser les donner brutes d’évaluation. L’E.P. Constitue entre autres un creuset d’expérience pour les métiers d’enseignants, qui s’y inventent (coordinateurs, secrétaires de réseaux, professeurs supplémentaires…) ou s’y enrichissent de pratiques innovantes. Les politiques éducatives, comme la marche, exigent d’accepter un point de déséquilibre pour que le mouvement se réalise, estime Florence Robine, qui conclut que tout se joue en dernière analyse au sein de la salle de classe.
La notion de collectif en priorité
Une rapide présentation de la synthèse, assurée par Marie-Laure Lepetit, IA-IPR de Lettres, responsable de mission E.P. ECLAIR, permet d’en saisir les points forts : la notion de collectif prime dans toutes les contributions. L’importance des comités de pilotage, mais aussi l’intérêt de développer une mémoire de réseau pour favoriser les échanges, la redéfinition des partenariats, l’ouverture aux parents, un travail plus soutenu avec les enseignants hors EP pour éviter de s’enfermer dans un dispositif spécifique ; la revendication de temps de concertation pour dépasser les échanges informels, une formation adaptée à l’EP, pour le travail collectif, la connaissance des enfants, l’adaptation de la pédagogie aux profils différents, et une meilleure collaboration avec les chercheurs. Enfin, il ne peut y avoir de travail collectif sans stabilité des équipes : formation, accompagnement, temps de concertation sont essentiels pour les consolider.
« Déjà des réseaux de réussite ! »
Une première table ronde rassemblait Anne Burban, IG de mathématiques, correspondante académique, Frédéric Saujat, professeur des universités chargé de direction, Stéphane Troussel, président du Conseil Génral de Seine-Saint-Denis et Yannick Trenne, inspecteur général du 1er degré, autour de la question de la réussite : comment faire des réseaux d’éducation prioritaire des réseaux de réussite ? Quelles sont les pistes concrètes ? demande Emmanuel Davidenkoff, directeur de rédaction de l’Étudiant et animateur du débat. « Ce sont déjà des réseaux de réussite », remarque F. Saujat pour qui le principal problème réside dans l’évaluation par indicateurs de résultats plutôt que d’activité. Des vecteurs d’amélioration pourraient résider pour lui dans la reconnaissance du travail enseignant, dans son invisible réalité, dans ce qui est fait, mais aussi ce qui ne peut pas l’être. L’amélioration des prescriptions, trop peu appuyées sur ce qui vient du terrain, émanées de politiques éducatives étrangères aux critères internes de réussite. La distinction, enfin entre travail collectif et collectif de travail, qui met l’accent sur l’analyse de la réalité des pratiques effectuées, sans « tricher » avec le réel.
Des établissements plus inégaux que leurs populations ?
Pour Anne Burban, l’essentiel résiderait plutôt du côté de l’élève : plaisir d’apprendre, développement des compétences et réflexion sur les modalités d’évaluation : il faut jouer sur l’attrait de la nouveauté, estime-t-elle, en particulier par les ressources numériques, travailler l’oralisation précise des procédures apprises pour en favoriser la transposition, développer la bienveillance dans l’évaluation. Accompagner les équipes enseignantes, faciliter leurs échanges avec les chercheurs et permettre la conception collective de séances pourraient être des pistes. Mais l’accompagnement doit être aussi celui des établissements, remarque Yannick Trenne, citant Marie Duru-Bella : « Les établissements sont plus inégaux que leurs populations ». Une situation qui incite à réfléchir sur les modes d’évaluation : les évaluations fondées sur les comparaisons de moyenne ne suffisent pas pour donner une mesure équitable. L’expérience semble démontrer une meilleure forme d’évaluation dans l’analyse réflexive d’ensemble sur la réalité de ce qu’on fait. Mais une situation qui incite aussi à réfléchir sur la réalité matérielle des locaux : Stéphane Troussel, pour qui les établissements ne doivent être « ni des sanctuaires, ni des passoires », estime que l’esprit de l’établissement se joue aussi dans la configuration des lieux : il plaide pour l’ouverture d’espaces aux parents, des espaces culturels et sportifs scolaires au-delà du temps de l’école, mais aussi d’espaces d’organisation et de travail pour les enseignants.
Réorganiser au plus proche du terrain, pour réussir en E.P. ? Sans oublier de se pencher sur le statut du collège, ajoute Florence Robine : pensé sur le modèle du lycée en plus petit, il instaure une rupture dommageable entre le primaire et le secondaire et entrave les tentatives de travail concerté.
Ne pas séparer politique de la Ville et de l’éducation
La seconde table ronde, dédiée aux questions de pilotage, rassemblait Henriette Zeghoubi, Claude Dilain, sénateur de Seine-Saint-Denis et Catherine Tripon, directrice de la fondation Agir contre l’exclusion. Pour Claude Dilain, ancien maire de Clichy-sous-Bois, on aurait tort de séparer la politique de la Ville des politiques éducatives : quand le logement se dégrade, la scolarité le suit et les habitants s’informent de la réputation du collège avant de s’installer dans un quartier. L’E.P. La convention prévue entre la politique de la Ville et le MEN est un premier pas, admet-il, mais il n’y est encore question que de répartition de moyens, ce qui importe mais ne suffit pas : le sénateur en appelle à un contrat de ville unique qui inclut toutes ses missions en un seul pilotage, auquel l’Éducation nationale pourrait participer. L’enjeu serait d’atteindre les causes de la dégradation, plutôt qu’en traiter les conséquences.
Donner à tous les jeunes l’ambition de la réussite
Pour Henriette Zoughebi, l’essentiel est de transformer la vision de l’école pour les moins favorisés. Il faut retrouver le sens de l’E.P. , qui doit donner à tous les jeunes de l’ambition pour la réussite. « Il n’y a pas de milieux défavorisés par nature ! » rappelle-t-elle en soulignant que l’orientation scolaire trie les élèves et opère une ségrégation : 45 % des élèves de milieu modeste vont en Lycée Professionnel. Pour y remédier, une politique plus volontaire de mixité sociale dans les lycées est nécessaire : faciliter le passage entre Paris et banlieue dans les affectations, accompagner le passage des internats d’excellence (élitistes) en internats de réussite (pour tous), ne pas abandonner les élèves à une situation sociale parfois lourde, en dotant chaque établissement prioritaire de personnels infirmiers et d’assistance sociale. Pour cela, il faut une politique forte et sans failles, qui donnent des droits ; mais cela demande du temps et de la constance politique, conclut-elle sous les applaudissements de l’assistance.
Catherine Tripon se situe dans la perspective de l’entreprise et des débouchés professionnels des élèves « qui vont un jour sortir de la famille et de l’école et devront intégrer le monde du travail. » Leur image de l’entreprise est n’est pas bonne, mais repose surtout sur une méconnaissance, que partagent souvent les parents et les enseignants. Elle estime qu’il importe de rapprocher l’entreprise de l’école, non pour l’y substituer, mais pour apprendre à la connaître et à en bien user. Découvrir les métiers à travers ceux qui les exercent, explorer une chaîne de production dans toutes ses étapes est plus parlant que les meilleurs discours sur l’orientation. D’autant que la hiérarchie des filières dans les esprits est souvent liée aux spécificités du bassin d’emploi et que la curiosité pour les métiers de l’industrie n’est pas absente lorsqu’ils offrent des débouchés professionnels. La vision réciproquement dépréciative, qu’entretiennent l’école et l’entreprise, n’est pas profitable aux élèves et doit être surmontée.
« La ségrégation est dans la société avant d’être à l’école »
Quelques interventions dans la salle protestent contre l’idée de céder aux entreprises la charge de former les élèves à la place de l’école, ce dont se défend C. Tripon qui travaille avec des entreprises fortement impliquées dans la lutte contre l’exclusion scolaire et sociale. Florence Robine revient sur l’idée d’une orientation scolaire contrainte qui opérerait une ségrégation des élèves ; elle rappelle que la ségrégation existe d’abord dans la société et dans les mentalités, dont l’école n’est que l’image ; mais qu’une meilleure prise en compte de la réalité sociale des lycéens professionnels, en termes d’exigences et de quantité de travail, pourrait compenser en partie les difficultés de réussite qu’ils rencontrent. « Continuer à se mobiliser pour faire progresser l’Éducation prioritaire ! » préconise Florence Robine en guise de conclusion, réaffirmant l’importance des dispositifs prioritaires et s’engageant à déposer la synthèse des assises de Créteil entre les mains du Ministre. Des assises qui semblent encore porter de vifs espoirs et de fortes attentes du terrain, mais dont émane aussi la crainte de voir de nouveaux dispositifs ajoutés aux précédents, sans une réelle réorganisation qui faciliterait le travail d’enseignement.
Jeanne-Claire Fumet
Documents à consulter :
Les assises sur le site de l’Académie de Créteil
Livret ressources pour les assises de l’éducation prioritaire, Ifé – septembre 2013
Rapport de diagnostic, juillet 2013
JP Delahaye (Dgesco) devant l’Assemblée
La note « L’éducation prioritaire – État des lieux », DEPP – mai 2013