Un dilemme éducatif – Comment faut-il concevoir l’éducation républicaine des élèves ? Sur quelle représentation, sur quelle dynamique d’accompagnement convient-il d’établir le lien qui les associe à l’école ? Cette question centrale engage à la fois la place de l’élève dans l’institution scolaire et la finalité dernière de sa scolarisation.
Et il existe alors trois déclinaisons possibles pour une même réponse qui est fondamentalement celle de son inscription dans l’espace républicain. Car la fin de l’école ne souffre d’aucune ambiguïté : c’est celle d’une édification, en chaque enfant de la république, de ses aptitudes à la socialisation comme de ses capacités à exercer à travers son jugement sa part imprescriptible de souveraineté populaire. Etre un citoyen responsable, être une personne autonome : tels sont, fondamentalement, les deux objectifs d’une éducation nationale accomplie. Mais les voies et les moyens mis en œuvre dans cette recherche peuvent alors différer selon l’époque et les orientations choisies.
L’objectif de l’assimilation
Celle qui fut chronologiquement la première approche de cette mission consista à poser l’exigence de l’adaptation personnelle des élèves aux contraintes et aux objectifs d’une école élitiste. Cette sélection par le mérite s’appelle l’assimilation. Aux origines historiques de notre système éducatif, dans les visions naissantes d’une république impériale, il convenait avant tout de permettre aux plus méritants des enfants de s’extraire de leur condition initiale. Tel fut le destin personnel de Napoléon, qui fit rêver le Julien Sorel de Stendhal. S’accomplir par les savoirs et le travail, devenir ce que l’on n’est pas né pour être, sortir de sa condition première de minorité déclassée : tels sont les enjeux originels d’une république en ordre d’accomplissement. L’architecture du système éducatif a ainsi été construite de manière descendante : en partant de l’école polytechnique, de ses programmes et de ses niveaux d’excellence, pour décliner ensuite les exigences et les appliquer à toutes les strates inférieures – notamment celle des lycées impériaux. Mais cette conception survivra à Napoléon. Elle s’épanouira même jusqu’en 1975 – début d’une crise mondialisée et fin des « trente glorieuses » -, en pleine correspondance avec un développement économique marqué par l’industrialisation croissante et le plein-emploi. L’école avait alors pour tâche de sélectionner les meilleurs, ceux qui sont appelés à diriger le pays : faisant « sortir » les autres, attendus à l’extérieur, dans les campagnes et les usines, par les besoins en main d’œuvre et en métiers peu qualifiés. C’était alors à l’élève de s’adapter au système éducatif : le critère de cette adaptation constituant même le principe d’une distinction scolaire fondée sur le mérite républicain. La mission sociale de l’école était ainsi pleinement définie comme celle de la promotion d’une excellence culturelle.
Le tournant de l’intégration
Mais tout change dans les années 1970 – 1980, avec ce qu’il est convenu d’appeler la massification des publics. Le ministre Haby inaugure l’ère du « collège unique », affirme le principe d’une scolarisation universelle et démocratisée de tous les élèves. Désormais, l’éducation ne doit plus discriminer, distinguer et former les meilleurs mais éduquer chacun à des compétences minimales et exigées. Le slogan de Jean-Pierre Chevènement consacrera alors pour la postérité cet objectif généreux : « 80% d’une classe d’âge au niveau du bac ». On est ainsi passé, dans les intentions, d’une république élitiste à une école démocratique, d’une sélection par le mérite à un accompagnement de masse. Cette véritable inversion des objectifs historiques fut identifiée en une métaphore : celle de la « révolution copernicienne ». C’est en effet l’élève qui doit être au centre du système éducatif, c’est par lui et à travers lui – ses besoins, ses profils, ses projets… – que doivent se concevoir et s’appréhender les actions à conduire. La nouvelle démarche éducative consiste alors à accompagner tous les élèves à un niveau requis de compétences prédéfinies. Une approche centralisée et standardisée des niveaux attendus dicte ainsi les rythmes et les missions d’un service public éducatif aux fins redéfinies : non plus la formation d’une élite à un haut degré d’excellence, mais l’éducation de tous à des niveaux d’exigences importants. Tel sera, formellement, l’objectif partagé de la stratégie de Lisbonne 2000. La construction européenne fixe ses perspectives sur une harmonisation des systèmes éducatifs, sur la promotion d’une « économie de la connaissance » destinée à valoriser le « capital humain ». Une nouvelle terminologie se décline, des mots nouveaux surgissent pour parler de pédagogie : les compétences des élèves, la performance des établissements, la plus-value éducative… Face à une école massifiée qui accueille de plus en plus d’élèves, l’accompagnement personnalisé devient la nouvelle règle pour prévenir les décrochages et véritablement « capitaliser » les ressources. On parle ainsi d’une pédagogie du soutien et de la remédiation.
Le principe de l’inclusion
Dans la dynamique de cette évolution majeure, une approche plus radicale encore et plus attentive aux spécificités des élèves s’est imposée. La question de l’accompagnement du handicap – notamment dans le cadre de la loi programmatique handiscol – fait en effet surgir une difficulté majeure : que fait-on lorsque le profil de l’élève ne peut à l’évidence pas s’inscrire dans le cadre d’objectifs standardisés ? Comment conduire un accompagnement éducatif lorsque la singularité de la situation exige que l’on adapte plus radicalement les parcours et les objectifs ? Ces interrogations, inédites par leur degré d’ouverture à la différence des élèves, imposent un autre modèle éducatif qui est celui de l’inclusion. Le petit handicapé est de droit et donc de fait dans l’école. Il ne peut y trouver sa place qu’à la condition d’un aménagement plus profond des modalités éducatives. Les moyens mis en œuvre, les objectifs visés ne peuvent être définis de manière univoque et universelle. Une éducation au cas par cas s’introduit dans les établissements, trouve sa place et son chemin dans les esprits. L’inclusion constitue ainsi le point d’aboutissement ultime d’un système éducatif pleinement centré sur l’élève, radicalement décentralisé en termes de gestion administrative et pédagogique. Ce schéma nouveau, pour l’heure marginal, indique une autre direction pour une école ouverte à la diversité des parcours, respectueuse des spécificités et des profils.
Du modèle éducatif à la représentation républicaine
Les trois modèles de l’éducation républicaine scandent donc, au-delà d’une simple succession chronologique, trois visions globales de l’école – et à travers elles trois exigences politiques intrinsèquement contradictoires. L’assimilation établit le principe d’un élitisme scolaire : et au-delà l’affirmation qu’il appartient à chacun, par ses efforts personnels d’adaptation et son « mérite », de s’inscrire dans l’espace républicain et d’y trouver sa place. Cet espace est ainsi positionné comme universel et homogène. Il réduit toute différence au nom de l’unité d’une « chose publique » partagée. L’intégration fonde à l’inverse la valeur de la différenciation marginale. Il convient de reconnaître d’emblée la légitimité de différences de départ pour mieux ensuite les résorber par une action publique universaliste. L’universalité est donc seconde, elle est la conséquence d’une prise en charge initiale de la particularité individuelle. Mais elle s’affirme cependant comme la fin absolue de l’édification républicaine. L’inclusion, à l’inverse des deux autres modèles, fonde le principe d’une différenciation essentielle. L’universalité concevable à travers elle ne se présente plus comme une résorption des différences, mais au contraire comme une somme des particularités. Rousseau
[1] Du contrat social.
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