Apprentissage de la lecture… un appel au bon sens! Et d’évidences en évidence. A propos de l’apprentissage de la lecture et des déclarations abracadabrantes du ministre de ROBIEN, voici un texte écrit en janvier 2001 qui est un appel au bon sens à la fois pour ceux qui comme le ministre de ROBIEN veulent imposer un retour aux méthodes condamnées dans les années 60 pour leurs insuffisances et pour ceux qui, comme d’anciens ministres, affirment que les nouveaux programmes ont "consacré définitivement un apprentissage syllabique de l’écriture". Les uns et les autres, inconsciemment pour certains, volontairement pour d’autres, contribuent à la destruction de l’Ecole. Cet appel au bon sens reste malheureusement d’une grande actualité. Pierre FRACKOWIAK, inspecteur de l’Education Nationale Les querelles sur les méthodes, et même les débats entre spécialistes, s’enlisent beaucoup trop souvent encore dans le magma des opinions et dans un abstrait complètement décalé par rapport à la réalité des enfants et par rapport au bon sens. Si l’on y ajoute la nostalgie de ceux qui ont appris à lire avec "des méthodes qui ont fait leurs preuves" sur eux-mêmes (pour les autres, on ne sait pas), le magma devient de la glu dont il semble impossible de se décoller. A-t-on encore le droit de parler aujourd’hui de l’apprentissage de la lecture en faisant d’abord preuve de bon sens (et si possible d’intelligence) et en s’accordant sur le postulat d’un minimum de capacités intellectuelles chez les enfants, même chez les enfants déficients ? A l’écoute des médias, des discussions de café du commerce et de certains prétendus grands spécialistes, on peut s’interroger. Le procès systématique d’une méthode globale qu’en fait, quasiment personne n’a jamais utilisée, l’insistance sur l’acquisition des sacro-saintes correspondances phonies/graphies, considérées comme des pré requis incontournables à toute recherche de sens et comme une potion magique pour lutter contre cette terrible maladie que serait la dyslexie peuvent perturber les plus grands esprits. Or, pour la majorité des chercheurs sérieux, apprendre à lire n’est pas d’abord une activité mécanique, c’est d’abord une activité intellectuelle qu’il convient de situer par rapport aux réalités. Les évidences dans le domaine du rapport entre l’enfant et l’apprentissage de la lecture sont pourtant incontestables, comme il est incontestable qu’il est difficile de comparer les difficultés des enfants qui lisent beaucoup chez eux, qui savent feuilleter des livres dès l’âge de un an, à qui on lit inlassablement des histoires, qui voient leurs parents lire et écrire et peuvent les interroger à ce propos, qui vivent parmi des écrits extrêmement diversifiés qu’ils savent distinguer bien avant d’entrer à l’école, avec celles des autres enfants. Si toutes nos analyses scientifiques ou pseudo scientifiques s’appliquent sur nous-mêmes et sur nos enfants, alors il est vrai que toutes les méthodes se valent, voire qu’un chien avec des lunettes pourrait apprendre à lire à ceux qui savent déjà lire, et que les tristes méthodes syllabiques et les amusantes méthodes phono mimiques peuvent venir en aide à ceux qui par ailleurs ont déjà tout compris. Un rappel au bon sens semble indispensable: 1. Un enfant ne peut pas apprendre à lire s’il ne comprend pas que l’écrit a une fonction, qu’il est un acte de communication, qu’il a une forme, un support, un auteur, un destinataire ou une cible, qu’il a un sens. Tous les enfants disposent-ils également de ce fonds de savoir ? Evidemment, non. L’école maternelle fait beaucoup pour compenser les lacunes, voire les handicaps. Il est seulement dommage que ce travail ne soit pas toujours repris en compte et poursuivi au CP. La fréquentation des seules phrases ou listes de mots et de syllabes des manuels, aidés par des gestes, des onomatopées, parfois même par des hiéroglyphes que l’on ne rencontre qu’à l’école (l’alphabet phonétique), ne permet nullement de compenser les carences. Au contraire, elle les aggrave en n’utilisant à l’école que du matériau écrit scolaire, conçu pour l’apprentissage de ceux qui savent déjà. Or, les enfants sont intelligents, ils se demandent ce que représentent ces traces écrites et s’en désintéressent d’autant plus rapidement qu’elles sont synonymes de difficultés, d’échecs, de jugements de valeur. 2. un enfant ne peut pas apprendre à lire si l’écrit support d’apprentissage est totalement étranger à l’écrit qu’il connaît. L’école a encore trop souvent cette singularité de tout faire comme si les enfants ne savaient rien. Or, les enfants savent beaucoup plus de choses qu’on ne le pense généralement. Les enfants en difficulté scolaire ne sont pas complètement ignorants des écrits: ceux de la rue, de leur vie quotidienne, ceux liés à la télévision et à la consommation… Sont-ils moins dignes d’intérêt que "le ra(t) de riri ru(e) " (comme à l’école, sans majuscule et sans point, avec la mise en évidence des lettres que "l’on n’entend pas" !) ou que "papa lave la salade" (surtout pas maman, car pour l’un des a de maman, on n’entend pas [a] !)? 3. un enfant ne peut pas apprendre à lire si l’apprentissage de la lecture ne s’opère que sur des automatismes, des réflexes, des mémorisations / restitutions mécaniques, la réception des explications du maître. L’apprentissage doit exercer simultanément son intelligence: faire des suppositions, des propositions, des recherches actives qui feront l’objet de justifications, de contestations, fondées sur le sens, sur le contexte, sur les acquis antérieurs. Cette activité mentale, cette réflexion, comparables à celles mises en œuvre dans la pédagogie de résolution de problèmes est indispensable pour garantir au plus grand nombre l’accès aux compétences supérieures. 4. un enfant ne peut pas apprendre à lire si l’apprentissage n’associe pas en permanence et dès les premiers pas, la lecture et l’écriture. Les dictées de mots et de syllabes ne suffisent pas à assurer la compréhension et la maîtrise de ces deux volets du même acte. Pour les enfants en difficulté, massivement issus des milieux moins favorisés culturellement et socialement, l’urgent n’est pas de se jeter à corps perdu dans le b,a, ba qui a permis à une minorité de grands – parents d’apprendre à ânonner avant de savoir lire, l’urgent est de construire un rapport intelligent à l’écrit et d’imaginer des démarches favorisant l’activité réelle des enfants. L’activité réelle n’est pas écouter le maître, observer le tableau, mémoriser, associer et ânonner, c’est comprendre, rechercher le sens, expliquer, justifier, argumenter, s’exprimer, produire, communiquer. Pour reprendre une phrase célèbre de FREINET en la complétant, ce n’est pas en mettant des mots sur les parties d’un vélo et en apprenant à pédaler dans le vide ou sur un engin d’appartement, que l’on apprendra à rouler à vélo. C’est en roulant! Permetto ns à tous les enfants de rouler gaiement plutôt que de continuer à subir n’importe quoi. L’affirmation répétée à l’envi par les conservateurs de tout poil, de la priorité à la correspondance des sons et des lettres et à la mémorisation mécanique, de l’indifférence face au choix des méthodes d’apprentissage, est un véritable camouflet pour tous les chercheurs, les pédagogues, les enseignants qui cherchent avec passion à transformer leurs stratégies pour améliorer la réussite scolaire. La grande majorité des chercheurs contemporains est d’accord sur les évidences résumées précédemment. C’est une autre évidence que, par conséquent, le choix des stratégies n’est pas neutre. Non, toutes les méthodes ne se valent pas! Toutes celles qui assassinent un peu plus encore les enfants défavorisés au départ, qui nient les évidences, qu i se pérennisent sous la protection d’un conservatisme arrogant, ne peuvent pas être admises ni par les démocrates, ni par les scientifiques.
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