Peut-on réparer l’échec scolaire comme une roue de vélo ? La multiplicité des formes de remédiation, mises en œuvre depuis quelques années au sein et en marge de l’institution, embrouille la donne et mélange les problèmes. Les acteurs eux-mêmes sont parfois bien en peine de déterminer à quoi ils remédient et ce qu’ils sont censés réparer, sous la pression de l’urgence et de l’impératif d’efficacité. Pour Michèle Sanchez et Jean-Pierre Bourreau, auteurs de Rendre la parole aux élèves, ce sont d’abord la parole et la réflexivité qu’il faudrait restaurer, non pas comme des ratés mais comme des oubliés de la démarche scolaire. Un enjeu d’autonomie qui dépasse la simple incitation à l’indépendance pour travailler à l’appropriation sensée des apprentissages.
Comprendre les représentations des élèves
Pour M. Sanchez et JP Bourreau, les élèves en « difficultés » (les auteurs soulignent ce pluriel) se construisent une image décalée de l’école, des savoirs et de l’apprendre, qui les tient à distance respectueuse d’une institution dont ils ne voient pas vraiment ce qu’ils pourraient attendre. ¨Présence physique et acceptation passive d’activités qu’ils n’aiment pas ou qui les « saoulent » constituent souvent pour eux le maximum de vertu scolaire exigible, qui devrait suffire à leur assurer des résultats convenables. A défaut de comprendre les demandes et les enjeux solaires, empêtrés dans les obstacles psychologiques ou sociaux à l’apprentissage, ils s’enferrent dans le déficit de confiance et d’estime de soi qu’aggrave constamment leurs échecs. Subissant une scolarité qui les laisse au bord du chemin, ces élèves font par ailleusr l’objet d’une pédagogie de soutien trop souvent morcelée, mécanisée, voire externalisée qui redoublent leurs difficultés d’apprentissage plutôt qu’elle n’y remédie. Pour les auteurs, qui fondent leur analyse sur une pratique de terrain éprouvée, l’accompagnement doit concilier la part de contrainte avec une démarche de rencontre authentique : plutôt qu’aplanir les obstacles par des « trucs » facilitateurs, il faut au contraire affronter les difficultés d’apprentissage des élèves du point où ils se trouvent.
Propos d’élèves et lucidité critique
Le dispositif d’accompagnement présenté dans l’ouvrage vise les passages de cycles qui forment autant de seuils de rupture pour les plus fragiles : en 6ème et en 2nde, quand les difficultés latentes se manifestent brutalement ou s’enkystent durablement (lors de redoublements en LEGT ou en LP). D’abord intitulé « PourQuoi je suis là ? », le dispositif propose d’interroger le sens de la scolarité et de faire prendre conscience aux élèves de leur raison d’y être et d’y rester, non pas comme un devoir ou une obscure convenance, mais parce qu’ils peuvent s’y constituer une culture irremplaçable. Loin de se limiter à un échange de paroles, la démarche s’efforce à une réappropriation de l’activité scolaire d’apprentissage par les élèves, sans toutefois entrer dans les contenus disciplinaires. Les clés et fiches-outils proposées par les auteurs comme des pistes à s’approprier selon ses propres modalités d’exercice, ébauche le cadre de l’action à engager en ce sens. De l’installation matérielle à la multiplication des occasions d’entretiens personnalisés, en passant par la présentation réciproque, l’instauration des rituels, les médiations filmiques, la mise en place des pauses réflexives et les échanges de pratiques scolaires, Michèle Sanchez et Jean-Pierre Bourreau proposent de découvrir pas à pas leur démarche, sans rien dissimuler des problèmes ou des échecs qui ont pu jalonner les différentes expériences menées. Les paroles d’élèves, rapportées sans complaisance et restituées dans une appréciation critique lucide, permet au propos de ne jamais quitter le réalisme de terrain.
Chroniques des parcours réalisés
Pour en illustrer l’application, le dispositif est mis en scène à travers 3 chroniques d’expériences réalisées dans des situations concrètes très différentes : auprès d’élèves arrivant en 6ème, auprès de redoublants de 2nde générale et auprès d ‘élèves de Bac Pro remettant en question leur orientation ou filière d’affectation. Trois tableaux qui ne masquent rien de la rugosité des séances et des résistances rencontrées, mais qui témoignent aussi de la confiance progressive qui s’instaure entre les intervenants et les élèves, pour des résultats qui ne prétendent pas au spectaculaire mais posent de solides étais pour la suite du parcours des jeunes gens concernés. Le recours permanent aux retours des élèves pour une évaluation critique du déroulement de l’action, les renvois constants aux parties théoriques ou techniques de l’ouvrage, illustrent autant l’importance de la parole donnée aux élèves que le chemin nécessaire pour permettre à cette parole de se dégager des empêchements initiaux à réfléchir et se distancier de la « tyrannie » sans nuances de « l’immédiateté ».
Donner à l’élève une réelle emprise sur sa scolarité, ce n’est pas « fourbir les armes pour le grand soir pédagogique », expliquent les auteurs, mais modestement chercher à lui rendre la main sur ses apprentissages. Et la lecture du livre de Michèle Sanchez et Jean-Pierre Bourreau permet d’apercevoir à quel point la pratique pédagogique, même attentionnée, diversifiée et ouverte, reste en-deçà des conditions nécessaires à l’écoute d’une parole d’élève : accepter son existence d’interlocuteur de plein droit, dans le cadre même d’une asymétrie scolaire qui ne déroge pas aux contraintes, mais en fait un accompagnement vers la capacité d’apprendre par soi-même.
Jeanne-Claire Fumet
Rendre la parole aux élèves – Clés pour accompagner sur les voies de la réussite,
par Michèle Sanchez et Jean-Pierre Bourreau. Préface de Françoise Clerc.
Éditions Chronique Sociale, 288 p. Prix : 15,90 €
ISBN : 978-2-36717-025-1