PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Médiapart – le 5 Août 2014 :

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Pour bien saisir l’angle du point de vue développé ci-dessous, il est nécessaire de savoir qu’il est construit sur la prémisse suivante. Nous postulons que l’orthodoxie néo-libérale est une idéologie. En tant que telle, ses zélateurs cherchent à en permettre l’application entière dans le plus de compartiments de la société possible. Ceci dit, une deuxième précision s’impose celle du positionnement de l’auteur de ce billet. Avec un collègue de l’Université de Nice, nous sommes à l’origine d’un appel (lire ici:  http://lemuseedelacolo.fr/?page_id=393 ) des enseignant.e.s et chercheur.e.s en animation socioculturelle demandant au Ministre Vincent Peillon de prendre en compte cette animation socioculturelle dans la mise en place de cette réforme. Nous avions récupéré 37 signatures qui représentent l’ensemble des auteur.e.s de textes et livres en ce domaine, et les principaux enseignant.e.s universitaires. Ceci était une première dans notre champ. Aucune réponse n’est venue du ministère… Relancée et adressée à Najat Vallaud-Belkacem, cette fois la missive a obtenu une proposition vague de participation à un groupe sur l’éducation populaire… (voir ici : http://sep.unsa-education.org/index.php/18-les-actualites-du-sep/actualite-de-leducation/530-cnepj-entre-tensions-et-engagements )

 La réforme des rythmes scolaires doit être re-située dans son contexte. Elle correspond à une des étapes du projet de refondation de l’Éducation nationale, projet qui en comporte d’autres, celle des contenus, celle de la revalorisation du métier, celle de la formation…

 La question des rythmes scolaires était posée au départ dans des termes relativement simples : revenir à une semaine de 9 demi-journées. Puis, les premiers arbitrages ont amené vers la solution du mercredi matin plutôt que du samedi ne rendant pas la situation à l’identique de celle d’avant les 4 jours (en 2008). À partir de là, toute une série de conséquences sont apparues. Chemin faisant, elles ont données lieu à la recherche d’une doctrine.

 Du moins en apparence, cette vision serait juste si on oublie notre prémisse. En fait, l’orientation est relativement claire et porte sur une attaque frontale de l’école dans sa forme actuelle. Beaucoup d’enseignant.e.s ne s’en rendent pas vraiment compte vu le vocabulaire utilisé et instillé en permanence, « c’est la modernité qui s’exprime ! »

 L’étape suivante est mécanique puisque avec le passage à 9 demi-journées les cours doivent s’étaler, de fait, il faut trouver le moyen d’occuper les enfants entre la fin des cours et la fin de l’école. Apparaissent alors 45 minutes chaque jours. La solution proposée est la suivante : ces 45 minutes seront consacrées à des activités dites péri-scolaires.

 Les conséquences sont multiples et pour l’essentiel semblent imprévues. Devant les difficultés, le choix aurait pu être fait d’arrêter le processus et de tout mettre à plat. Cependant, nous avons assisté à une marche en avant implacable. À l’Élysée, on s’inquiète de la gestion par le Ministre de l’Éducation de la réforme jugée catastrophique. Rien n’y fait, le processus est enclenché et il paraît difficile de reculer. Peut-être que d’autres aspects se sont agrégés en cours de route rendant difficile l’arrêt de la réforme. Et puis différentes concertations avaient eu lieu mais elles n’ont pas montré la présence de forte résistances, alors…

 En réalité, il existe un script sous-jacent à cette réforme dans lequel de nombreux acteurs se reconnaissent appelons les les pro-éducation, et un autre, où d’autres acteurs se retrouvent mais ne se rendent pas compte de l’instrumentalisation qu’il suppose appelons les pro éduction populaire.

 Le script principal porte sur la montée en puissance de la doxa ultra-libérale des compétences qui visent à faire de l’école une succursale des entreprises (lire ici : http://www.cnt-f.org/nautreecole/?Au-sommaire-du-numero-29). Cette orientation fonctionne assez bien sans trop faire de vague. Il s’agit de préparer les collégien.ne.s au monde de l’entreprise et d’œuvrer au rapprochement entreprises-universités. Dans le cas de l’école primaire, la manœuvre consiste à faire passer le fameux socle des compétences qui deviendra le minimum vital que devra posséder tout individu ayant été scolarisé. Ce que ne dit pas ce script est que ce n’est pas seulement un minimum mais aussi un maximum : si on en accepte le principe alors on pourra diminuer la part de l’Éducation dans le projet de la nation et réserver la scolarité la plus longue pour celles et ceux qui le mériteraient. Comment sera opérée la sélection entre ces deux catégories, l’histoire ne le dit pas…

 Revenons à notre réforme, des acteurs sociaux (voir ici : http://www.prisme-asso.org/?p=6402) sont apparus pour se féliciter de celle-ci en raison de son rôle pour le livret de compétence. Comment fondent-ils ce raisonnement ? Les activités péri-scolaires pourront servir, « enfin ! » disent-ils, à faire reconnaître les compétences acquises hors de l’école dans ces fameuses activités péri-scolaires. Donc reprenons : si l’école n’arrive pas à faire son travail pour faire acquérir le socle de compétence, les animateurs et les animatrices socioculturels s’en chargeront (ou bien les entreprises de l’aide aux devoirs florissantes).

 Déjà, le champ de l’animation voit se développer des usages de ces livrets dans des domaines très variés (voir par exemple le fonds d’expérimentations des jeunes financés par l’entreprise Total et son rôle de ce point de vue : http://www.experimentation.jeunes.gouv.fr/97-livret-de-competences.html). Là encore, on ne s’interroge pas sur ceux qui auront les moyens d’accéder aux activités et les autres. Souvent des animateurs et des animatrices de bonne foi pensent que c’est bien de prendre en compte ces compétences acquises en dehors de l’école en se revendiquant d’une éducation populaire serait porteuse de cette idée. Mais ils et elles ont alors rarement conscience des conséquences sociétales, au sens de choix de société, d’une telle perspective libérale.

 Regardons ce qu’a produit cette réforme jusque-ici. Les enseignant.e.s le disent, comme les parents : l’école a été destabilisée (voir ici : http://www.mediapart.fr/journal/france/010814/rythmes-scolaires-aubervilliers-opte-pour-le-service-minimum). Le chaos s’est répandu. Les équipes ont perdu leur mode de régulation acquis au fil du temps. Des tensions nombreuses sont apparues entre personnels d’animation et enseignant.e.s et parfois sur la base de discours ethnicisés. Les contrats de travail du personnel de l’animation connaissent une incroyable régression en matière du droit du travail (comme des contrats d’une jeune, la remise en cause des conditions de diplôme [voir ici : http://sep.unsa-education.org/index.php/18-les-actualites-du-sep/actualite-de-leducation/530-cnepj-entre-tensions-et-engagements…). Alors quoi faire ?

 Certains préconisent de tout arrêter. D’autres, mettent en place la réforme en proposant des activités de qualité dans le cadre de budgets municipaux bien fournis. Beaucoup, essayent de faire pour le mieux face aux habitant.e.s potentiel électeur.trice.s !

 Au passage notons un autre élément de cette réforme du point de vue du script apparent. Un transfert massif du budget de l’État vers celui des collectivités territoriales est proposé de la mission de l’Éducation. En permettant, l’acquisition de compétences via les activités péri-scolaires, dûment inscrites sur les livrets de compétences, activités financées par les collectivités territoriales, le budget de l’État se trouve alors allégé par un joli tour de passe-passe. Bref, une prise en otage de l’Éducation populaire et de l’animation socioculturelle.

 Autre aspect, n’y aurait-il pas à s’interroger quand même sur la différence entre savoirs et compétences : est-ce que passer de l’un à l’autre est neutre ? Peut-on juste se satisfaire de l’idée que les compétences, c’est moderne ? 

Face aux difficultés de mise en œuvre de cette réforme, une mission parlementaire a consulté de nombreux acteurs concernés (voir ici : http://www.senat.fr/commission/missions/reforme_des_rythmes_scolaires/index.html). Il est intéressant de noter comment par son travail, deux éléments sont remontés sur le dessus de la pile dissipant un peu la poussière due à l’agitation médiatique et circonstancielle. En premier lieu, il est rapidement apparu nécessaire de préciser les intentions de la loi car des financements sont en jeu. La présidente et la rapporteure ont donc rendu visible le fondement de cette loi : « permettre l’accès à tous et toutes aux activités de loisirs, sportives, artistiques et culturelles ».

 Ceci peut et doit être la solution. D’abord, simplement, car ce principe est posé dans le cadre de la discussion parlementaire et donc peut amener à un consensus collectif. Ensuite, parce qu’il repose un fondement de notre démocratie : l’égalité.

 Tirons toutes les conséquences de ce principe. Que savons-nous aujourd’hui de l’accès des enfants à ces différentes activités ? Posons que certainement, tout le monde n’accède pas à celles-ci car il manque des moyens d’accès comme la présence d’équipements, de budget pour les ouvrir sur des plages horaires plus larges, parfois, ils sont trop loin, des manques de moyens financiers des parents. On le voit, de nombreuses questions fondamentales sont posées au travers de ce principe. Du point de vue budgétaire, il faudra aborder la question de la constitution d’une ligne budgétaire pérenne sur la base d’un impôt national permettant de procéder aux redistributions et péréquations qui s’imposent (ceci devrait permettre de repenser les conditions d’emploi des personnels de l’animation socioculturelle).

Ce faisant, nous ferions un pas de plus dans la post-modernité entendue pour nous comme la déconstruction de l’idéologie économique dans son rôle dans la désorganisation sociale. La voie est ouverte avec l’avancée en cours en matière d’égalité femme-homme. Des choses ont bougé sur les situations de handicap, où il reste beaucoup à faire surtout avec les régressions récentes sur les situations de handicap mental (voir ici : http://www.appeldesappels.org). Des pratiques se développent pour la prise en compte des malades. Il serait bien de faire de cette loi, recentrée sur "l’accès de tous les enfants à des activités de loisirs, artistiques, culturelle et sportives", le vecteur pour faire une avancée singificative quant à la place de l’enfance dans la société. 

Jean-Marie Bataille

Pédagogue, Enseignant et chercheur en animation socioculturelle   

 

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