Hubert MONTAGNER, docteur ès-Sciences (psychophysiologie, neurosciences)
Professeur des Universités en retraite,
ancien Directeur de Recherche à l’INSERM
Aujourd’hui mardi 23 septembre 2008, le journal LIBERATION publie un sondage réalisé auprès de 700 jeunes suivis par l’AFEV (Association
de la fondation étudiante pour la ville). Selon ce sondage, 42% ont œmal au ventre au moment de partir à l’école, 26% œne comprennent pas ce
qu’on leur demande de faire (œ84% des collégiens en grandes difficultés sont issus des catégories défavorisées).
Sans aucune gloriole, avec humilité mais quelque peu amer et désabusé, je constate que ces chiffres rejoignent ce que nous ne cessons de
dire, d’écrire et de démontrer depuis des années (voir œL’arbre enfant, 2006, Odile Jacob). La non sécurité affective ou l’insécurité affective
(reflétées dans le sondage par œle mal au ventre au moment de partir à l’école, mais on pourrait ajouter sans risquer de se tromper beaucoup
œle mal au ventre en arrivant à l’école) constitue un obstacle majeur au bien-être de l’enfant, à ses équilibres affectifs, relationnels, sociaux
et intellectuels, peut-être même biologiques, et à sa réussite scolaire. Et non pas forcément ou également les déficits dans ses processus
cognitifs et/ou ses supposés petits moyens intellectuels … d’ailleurs difficiles ou impossibles à quantifier sérieusement.
En revanche,l’installation des enfants-élèves dans la sécurité affective (le sentiment de ne pas être abandonné, délaissé, rejeté, maltraité, en danger)s’accompagne d’une prise de confiance en soi et dans autrui, et d’un développement de l’estime de soi. Avec pour conséquence la libération interactive du langage, des émotions et des capacités dites compétences-socles qui sous-tendent la libération des processus d’attachement, des équilibres affectifs et relationnels, des systèmes de communication, des processus cognitifs et des ressources intellectuelles. L’insécurité affective se nourrit principalement de l’empilement des difficultés que vit l’enfant au quotidien dans sa famille (problèmes de santé, chômage, pauvreté, rythmes de vie et de travail stressants, conflits récurrents ou permanents …), dans le groupe de pairs (enfants exclus, humiliés, boucs émissaires ou souffre-douleur) et à l’école (les enfants ont le sentiment de ne pas être aimés par le(s) professeur(s) et/ou par l’école, voire d’être rejetés). Pour débattre utilement de l’échec scolaire, Il serait nécessaire de bien cerner comment et dans quelles circonstances, conditions ou environnements l’insécurité affective naît, se développe et se renforce aux différents âges, et en même temps comment et dans quelles conditions un enfant insécure peut œnaître ou renaître en retrouvant un sentiment de sécurité affective (voir œl’arbre enfant).
En outre, dans les 26% de collégiens qui ne comprennent pas ce qu’on leur demande de faire à l’école, il y a très probablement un nombre non
négligeable de jeunes qui, œsouffrant d’un déficit cumulé de sommeil ou de œtroubles du rythme veille-sommeil, ne peuvent pas être
suffisamment attentifs, réceptifs, disponibles et lucides pour donner sens aux messages du professeur … parce qu’ils sont en manque d’éveil
et de vigilance (de capacités d’alerte par rapport aux informations et stimulations de l’environnement). Tout comme l’insécurité affective, le
déficit récurrent ou permanent de sommeil des enfants-élèves est une question-clé pour mieux comprendre les œraisons de l’échec scolaire,
en tout cas chez beaucoup de jeunes. Ce sont souvent les mêmes qui vivent dans l’insécurité affective et le déficit de sommeil, et qui œsont
issus des catégories sociales défavorisées.
Cela signifie que, même si les démarches, méthodes et techniques pédagogiques jouent évidemment un rôle essentiel dans le traitement
intellectuel et la prise de sens des messages pédagogiques du maître (il est stupide de méconnaître ou refuser de reconnaître l’importance de
la pédagogie !), elles ne peuvent ignorer les facteurs humains qui œpèsent lourd dans la balance de l’échec scolaire… quelles que que soient les qualités humaines et les compétences des professeurs.
Plus généralement, je pense qu’on ne peut bien débattre de l’échec scolaire que si on prend en compte les facteurs individuels (y compris
génétiques et ceux qui sont liés à l’histoire et au vécu de chacun), les facteurs familiaux, les facteurs pédagogiques, les facteurs liés à la
personne et à la personnalité du ou des maîtres, les facteurs inhérents au mode de fonctionnement et à l’organisation de l’école (la semaine
de quatre jours est incroyablement aberrante, et le manque d’espaces aménagés et œhabités par les jeunes relève d’une incurie persistante),
les facteurs sociaux et les facteurs institutionnels (moyens humains et matériels, nombre d’élèves par classe, aménagement du temps et des
espaces …).
Autrement dit, il serait nécessaire de créer un ou des groupes pluridisciplinaires qui œplanchent sur cette question non pas
seulement à l’occasion d’un colloque, mais tout au long de l’année. Ce qui conduirait enfin à bien définir les finalités de l’école, de toute
évidence maltraitée et mal traitée.