A propos de l’école aujourd’hui, Jean-Paul BRIGHELLI a écrit "La fabrique à crétins"… Mais qui sont les crétins? Le débat entre Philippe MEIRIEU et Jean-Paul BRIGHELLI, publié dans le Figaro le 29 septembre, ne manque pas d’intérêt et il a fallu beaucoup de courage au premier pour dialoguer avec l’auteur d’un écrit aussi "dégénérescent", aussi insultant pour les enseignants, aussi stigmatisant pour les élèves. Mais, profitant de l’air du temps, d’une opinion publique conditionnée par des médias dominés par les conservateurs et prompte à glorifier l’école de grand-papa même quand on en a été victime, il se vend bien et, comme ces enseignants obtus qui prônent le retour aux bonnes vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves sur des élites, il est sur tous les plateaux. Jean-Paul BRIGHELLI s’oppose à l’évolution de l’école et à la pédagogie. Comme beaucoup d’intellectuels contemporains, hélas, il est convaincu, intimement c’est sûr, authentiquement peut-être, qu’il n’y a aucune raison que ce qui a réussi pour lui et ses semblables hier et avant-hier, ne réussisse pas pour les autres aujourd’hui et demain. Comme si rien n’avait changé, ni la société, ni les savoirs, ni les enfants et les jeunes, ni les gens. Comme si tous ceux qui ont, avec les grands penseurs de notre temps, avec les chercheurs, avec les porteurs d’innovation, de la fin des années 60 à 2002, avec les responsables politiques de droite jusqu’en 81, de gauche et de droite alternativement ensuite, tenté de changer l’école, de l’ouvrir, de donner du sens aux apprentissages, d’inscrire les finalités nouvelles de l’école dans une perspective démocratique, généreuse, porteuse d’espoir, étaient des imbéciles. Certes le combat pour changer l’école, pour améliorer la réussite scolaire, pour développer un enseignement de masse et passer de la démocratisation quantitative indispensable à l’évolution de notre société à une démocratisation qualitative indispensable à la formation d’un humanisme pour le 21ème siècle, n’a pas été facile. Il est plus facile de conserver que de réformer. Il feint d’ignorer qu’en réalité, les réformes, souvent édulcorées et atténuées par les pressions des conservateurs et par les contraintes de l’électoralisme à court terme, n’ont pas franchi plus de 10 à 20 % des murs des classes, et que faire le procès des réformes sans savoir, comme en atteste THELOT lui-même, ce qui se passe réellement dans les classes, est une escroquerie intellectuelle. Attribuer les raisons des difficultés du système à des réformes qui n’ont été que faiblement mises en œuvre, c’est dissimuler l’ampleur de la résistance au changement et justifier à bon compte un retour à des pratiques qui n’ont pas ou qui ont peu changé fondamentalement. Dénoncer des réformes qui n’ont pas été appliquées (voir la loi de 89) pour justifier le confort de la stagnation peut atteindre les sommets de l’hypocrisie et de la mauvaise foi. Alors, tout est bon: présenter un exemple comme une preuve, généraliser abusivement, affirmer les contre vérités les plus flagrantes, jouer de la nostalgie, flirter avec le cynisme… Mais ce qui me semble plus grave encore, c’est le mépris. Prendre les élèves pour des crétins alors que l’on sait aujourd’hui que leurs capacités intellectuelles sont gravement sous estimées et sous exploitées par une école encore prisonnière de ses sacro saintes disciplines émiettées cloisonnées, juxtaposées, sédimentées, transmises sans être comprises, accumulées sans être mises en relation entre elles-mêmes et avec la vie, avec le réel, avec le monde tel qu’il est. Il faudrait revenir au passé figé dépassé alors que les savoirs s’accroissent chaque jour de manière exponentielle, que les moyens de communication et de diffusion les présentent au grand public à qui l’école n’a pas donné les outils de pensée, les compétences transversales nécessaires à leur compréhension. Si l’école fabrique aujourd’hui des crétins, on est en droit de s’interroger. Où sont et qui sont les pires crétins? Les élèves qui veulent comprendre et agir, ou ceux qui, accrochés à leurs vieilles certitudes, les empêchent de grandir et font tout pour que cela persiste en s’opposant à toutes les réformes? Pierre FRACKOWIAK Le 3/10/2005
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