Difficile d’imaginer que ces petits bâtiments de béton rose, ceints de jardinets, à cinq minutes de la gare RER de Noisy-Champs, abritent des familles parmi les plus meurtries par la vie. Jusqu’à leur accueil dans la Cité de promotion familiale, fondée par ATD Quart Monde il y a quarante ans à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), la plupart de ces trente-cinq familles ont connu l’errance. Une chambre chez des parents, des amis ou à l’hôtel. Au pire la rue, et le danger d’éclatement qu’elle recèle.
« Certains parents se sont vu retirer leurs enfants, et les récupèrent ici, où ils réapprennent à vivre ensemble et à aller de l’avant, jusqu’à leur relogement », explique Sylvain Lestien. Cet éducateur spécialisé de 31 ans est ce que l’on appelle chez ATD Quart Monde un « volontaire » : engagé à plein-temps dans la lutte contre la précarité, il vit lui aussi avec sa femme et ses deux enfants, dans ce centre d’hébergement et de réinsertion sociale. « Ma cité rose », dit-il. Avec, pour mission, l’encadrement des plus jeunes, « parce que l’errance est aussi éducative, avec des enfants déscolarisés ou changés d’école au gré des placements, des déplacements« .
Rebecca, 26 ans, n’a pas été séparée de ses trois enfants – bientôt quatre -, mais a vécu « la vraie galère » jusqu’à son arrivée ici, il y a quinze mois. Une expulsion en 2009, puis un an à s’entasser dans une chambre d’hôtel. « Quand mon aînée, Nawel, est rentrée en maternelle, nous vivions encore dans une seule pièce. Elle restait repliée sur elle-même en classe. En déménageant ici, j’avais très peur que le changement d’école la perturbe encore plus, mais ça se passe bien mieux que prévu. »
Deux demi-journées par semaine, Nawel, 4 ans et demi, fréquente le « prépivot culturel », un accueil « en soutien de l’école » qu’ATD Quart Monde propose aux enfants âgés de 3 à 6 ans, en petits groupes, les mercredis et samedis. « C’est un peu comme au rugby ou au basket, explique Sylvain Lestien, le responsable, on reçoit et on encadre les enfants pour mieux les relancer. On reconstruit l’estime de soi, la confiance en l’école, pour que toute la famille y trouve sa place. »
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L’équipe du « prépivot » a fait un pari : se convertir à la pédagogie Montessori, qui privilégie le développement de l’autonomie et de l’initiative chez les enfants. « Après les événements des banlieues en 2005, on s’est dit qu’on devait faire quelque chose, confie Patricia Spinelli, secrétaire générale de l’Association Montessori de France, à l’initiative du partenariat avec ATD Quart Monde. La France compte une cinquantaine d’écoles agréées Montessori, mais beaucoup sont privées hors contrat. Revenir en banlieue, c’était un peu comme un retour aux sources. »
A 10 heures, l’équipe de Sylvain Lestien fait la tournée des familles. Quand une douzaine d’enfants ont répondu présent, le groupe se dirige vers les locaux construits il y a cinquante ans par les habitants de ce qui était encore un bidonville, à l’initiative du père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Partout, des jeux, puzzles, livres sont laissés à la disposition des enfants. Dans une rotonde, Noé, 4 ans, joue à « flotte et coule ». Lana, 3 ans, et Janice, 6 ans, jardinent. Mehdi, 3 ans, « bouche et débouche », « fabrique de la mousse ». Chacun s’affaire au-dessus de son plateau. « Des activités 100 % Montessori, explique Agathe Henry, stagiaire éducatrice de jeunes enfants. Je ne connaissais pas avant mon stage… ça me plaît au moins autant qu’aux petits ! »
« PETIT COUP DE POUCE »
Son enthousiasme est partagé. « Je sens les enfants s’ouvrir, prendre du plaisir à venir, témoigne Yveline Picard, enseignante à la retraite qui seconde Sylvain Lestien. Leurs parents s’en rendent compte et sont heureux de partager avec nous les petits progrès de tous les jours. C’est valorisant. » Autour d’elle, les enfants s’activent. C’est l’heure du goûter, une salade de fruits qu’ils vont eux-mêmes préparer. L’occasion de décompter les morceaux de bananes, de pommes, de kiwis… « On n’entend pas se substituer à l’école, juste apporter le petit coup de pouce dont ces enfants ont besoin, note Yveline Picard. C’est plus simple quand on est trois adultes avec douze enfants… »
Construire le lien avec les familles peut prendre du temps. « Ces parents fondent un espoir immense en l’école, car elle est l’instrument d’un meilleur avenir pour leurs enfants, dit-elle, mais ils sont aussi très inquiets, parce que leur propre trajectoire scolaire a parfois été douloureuse, et qu’ils ont sans doute beaucoup plus peur de l’échec scolaire pour leurs enfants que n’importe quel autre parent. »
Dans un rapport remis en 2011, le Conseil économique, social et environnemental a rappelé que l’école, censée gommer les inégalités socioculturelles, ne remplit pas ce rôle : seuls 24 % des filles et fils d’ouvriers et d’inactifs arrivent en 6e sans avoir redoublé, contre 65 % des enfants de cadres ou d’enseignants. Et les résultats à l’entrée au CP sont déjà très différenciés socialement.
Rebecca, elle, aborde la scolarité de sa fille avec plus de confiance, et a trouvé sa place de « maman FCPE » à l’école. « Nawel a pris tellement d’assurance que son institutrice m’a dit ne pas reconnaître l’élève qu’on lui avait décrite l’an passé. Ça me rassure pour l’avenir. Ma fille dit qu’elle veut être maîtresse. Je suis très fière : c’est ce que je voulais faire moi aussi… avant. »
Mattea Battaglia
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