Roger-François Gauthier, IGAENR, professeur de politiques éducatives comparées à Paris-Descartes, est aussi membre du Conseil supérieur des programmes. Il vient de publier « Ce que l’école devrait enseigner ».
Dans votre livre vous dénoncez une école « désordonnée », avec des professeurs souvent perdus face aux programmes, où l’on se soucie plus de la sélection des élèves que du contenu des apprentissages. N’est-ce pas noircir le tableau ?
Ce constat, ce sont les enseignants et plus généralement les acteurs de l’école qui le font. Ils ont l’impression, et ils ont raison, d’être confrontés chaque année ou presque à des nouveautés, à des réformes votées sans que les précédentes aient été évaluées. Un exemple : depuis 2005, les professeurs des écoles et du collège doivent mettre en œuvre le fameux socle commun . Or ce dernier est apparu comme la référence de ce qui devait être enseigné, sauf que les programmes n’ont pas été touchés ! Une nouvelle façon d’évaluer les élèves est aussi apparue, avec le livret personnel de compétences, sauf que le Diplôme national du brevet (DNB) des collèges n’a pas été touché… Il est impossible de faire cohabiter des logiques professionnelles aussi différentes.
Si l’on observe beaucoup d’autres systèmes éducatifs en Europe, on constate surtout que les schémas sont plus clairs. Dans la plupart des pays, la certification à la fin du collège est la clé d’entrée au lycée. En France, les examens noient le poisson ! Ils ne permettent pas de repérer là où l’élève est bon. On peut très bien être reçu au DNB et se voir refuser l’entrée au lycée, ou l’inverse. Les examens n’ont que peu de valeur, l’important pour les familles c’est de savoir dans quel établissement leur enfant va être affecté ensuite, que ce soit au niveau du brevet ou du baccalauréat.
N’est-ce pas le rôle du Conseil supérieur des programmes , dont vous êtes membre, de se pencher sur la question des savoirs à enseigner ?
J’ai écrit ce livre à titre personnel mais il est évident que le CSP est au cœur de la réflexion sur les contenus des enseignements. Depuis les années 60, et ce fut le cas dans tous les pays ou presque, les réformes de l’éducation ont surtout touché les taux d’accès des élèves au collège et au lycée, ce qu’on a appelé la « massification », le contenu des enseignements était accessoire. Ils étaient censés « aller de soi » ! En 2013, étape importante, le législateur a dit que la question du contenu des enseignements n’était pas périphérique. Le CSP a été créé pour réfléchir aux programmes, avec pour préoccupation première la notion d’intérêt général.
Concrètement, qu’est-ce que l’école devrait enseigner qu’elle n’enseigne pas aujourd’hui ? Et à l’inverse y a-t-il des savoirs à laisser de côté ?
Je ne veux pas céder à la facilité et me prononcer pour telle ou telle discipline. Mais un exemple tout de même : jusqu’ici, il y avait dans les référentiels de l’école un certain nombre de textes qui définissaient les aspects éducatifs à prendre en compte, éducation à la citoyenneté, à la santé… Ils sont très souvent restés lettres mortes. Or l’école ne peut plus considérer l’éducatif, c’est-à-dire le rapport à autrui, comme une question marginale. Ce n’est pas le rôle uniquement de la famille. C’est à l’école, dans chaque discipline, qu’il faut apprendre la vie de la Cité et développer le sens critique des élèves. Notre vie collective en dépend.
Vous n’épargnez pas les enseignants dans votre livre qui, selon vous, n’ont « en général qu’une connaissance et un intérêt limités pour les autres disciplines et les autres niveaux ». Que préconisez-vous ?
Au contraire, je n’ai pas pour eux de projet plus valorisant ! C’est l’institution que je vise. On a besoin d’enseignants qui aient une vue générale sur le savoir de leurs élèves. Or aujourd’hui, beaucoup de professeurs ont du mal à communiquer entre eux, d’une discipline à l’autre, ou du primaire au « second degré ». Leur formation est différente. Leur « culture commune » est en réalité très faible. Les ESPE sont en train d’y remédier, mais il faut aller plus loin et permettre à chacun de se pencher sur des questions comme : Que sont les savoirs dans le monde contemporain, à l’heure d’internet et de certains retours du religieux ? Que sont les savoirs scolaires dans la société de la connaissance ? Les enseignants sont trop souvent traités comme des ouvriers spécialisés par l’institution. On voudrait une culture commune des élèves et pas des maîtres ? Ce n’est pas sérieux. Je me fais une haute idée de ce métier mais l’institution a trop spécialisé les enseignants. Il faut aussi que la formation initiale et continue soit beaucoup plus développée.
Parmi vos propositions, quelle est la plus urgente à mettre en œuvre ?
Depuis 2005 (loi Fillon) jusqu’à 2013 (loi Peillon), tout le monde est d’accord sur une urgence : il faut réussir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
Or jusqu’ici on n’y est pas parvenu, pour différents motifs que j’analyse. On tergiverse depuis 2005 ! Le Conseil superieur des programmes a produit en juin 2014 un nouveau projet de socle, comme le lui demandait la loi, qui va être soumis à une vaste consultation. La nouveauté principale est qu’au lieu de ne parler que de connaissances et de compétences, il inclut désormais la culture, c’est-à-dire le rapport instruit au monde.
Il faut maintenant réaliser vraiment pour tous les élèves un équipement de fin de scolarité obligatoire qui ne soit pas le socle du pauvre, et qui déchaîne chez tous les élèves la motivation pour apprendre. Il faut faire de l’entrée de tous les élèves dans la Cité l’objectif même de l’école, grâce à l’acquisition d’une culture commune.
Charles Centofanti