In Eduveille – le 11 juin 2014 :
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On ne peut qu’être interpellé par la démission d’Alain Boissinot, président du Conseil supérieur des programmes (CSP), simultanée à la publication des propositions du CSP pour la re-définition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture prévu par la loi dite de “refondation” de 2013.
La mise en place du CSP était un changement de taille dans le paysage hexagonal, dans la mesure où il consacrait, d’une part, l’idée que les contenus d’enseignement n’était pas la propriété privée de certains acteurs de l’éducation nationale (le CSP comprend des représentants de toute la société) et où il mettait, d’autre part, sur la place publique un processus d’élaboration des programmes souvent opaque jusqu’ici.
De ce point de vue, le CSP se situait dans le prolongement d’ouverture sociale de la démarche curriculaire qu’avaient entamée, avec ses avancées et ses limites, la consultation Thélot et le socle commun qui en était sorti dans les années 2000.
Rien d’étonnant que ce processus rencontre dés lors l’opposition qu’avait suscité le socle commun dans son principe même, puisqu’il remet en cause des intérêts liées à des places au sein du système éducatif ainsi que leurs représentations idéologiques de l’éducation.
Dès lors qu’on évoque en particulier des concepts comme le curriculum ou les compétences, on remet en effet en cause un axe structurant du système éducatif français, à savoir la centralité des disciplines scolaires telles qu’elles ont été construites pour l’enseignement secondaire depuis plusieurs dizaines d’années.
En m’interrogeant sur la question de la culture commune qui a été introduite dans le nouveau socle (cf. note de veille “scolarité obligatoire et socle commun“), j’avais eu beaucoup de mal à trouver une définition opérationnelle de ce terme.
En essayant de présenter devant le CSP comment on pouvait se servir des compétences dans l’enseignement, j’avais souligné l’intérêt de raisonner en compétences partagées car je sentais bien que beaucoup, dans le système éducatif, raisonnent d’abord en termes de forteresses assiégées dès lors qu’on semble vouloir ne pas mettre les disciplines canoniques au principe de tout.
C”est une particularité hexagonale d’avoir une régulation très dépendante des configurations disciplinaires forgées depuis le lycée napoléonien (voire avant ?) , dans lesquelles on trouve des processus et des institutions qui jouent un rôle majeur bien au delà de leur fonction formelle : on sait par exemple que l’agrégation est bien autre chose qu’un concours de recrutement pour le secondaire, et que l’IGEN est bien autre chose qu’une instance d’inspection et de conseil des enseignants. On sait aussi le poids dans l’imaginaire et la symbolique sociale du lycée général ou du baccalauréat, pour lequel bien des “intellectuels” sont prêts à pétitionner alors même que le collège, l’école primaire voire l’université attirent bien moins d’attention.
Même au niveau de la recherche en éducation, la France se singularise par un poids énorme des “didactiques” de toutes sortes, comme si toute réflexion sur les pratiques pédagogiques ne pouvait qu’emprunter au préalable un prisme disciplinaire. A contrario, la recherche sur le curriculum est assez modeste dans notre pays. Il suffit de comparer cette recherche avec la profusion des débats en terme de sociologie du curriculum dans le monde anglo-saxon ou avec les nombreux travaux sur les questions de compétences dans le reste de la francophonie (Belgique, Suisse, Québec, Luxembourg…).
Bref, la route est encore longue…