1. Plus qu’un simple mot, un néologisme…
L’apprenance est une disposition (une attitude) à apprendre. L’apprenance est une façon d’être. Les anglo-saxons utilisent learning readiness pour traduire cette idée, mais il n’existait pas d’équivalent français.
En 1998, ce néologisme a été utilisé par H. Bouchet (responsable UCI-FO et membre du Conseil Economique et Social) et en 1999 par H. Trocmé-Fabre (neuro-psycho-pédagogue)
- Ce néologisme est construit à partir de deux éléments :
- • un verbe latin « apprehendere » qui signifie saisir
- • un suffixe «-ance » qui traduit une dimension sociologique.
Cette approche permet de définir l’apprenance comme :
un ensemble de dispositions qui permet à l’individu de saisir et d’exploiter tout au long de sa vie toutes les occasions d’enrichir et de mettre à jour ses connaissances.
Dans son ouvrage de référence sur l’apprenance, Philippe Carré explique ce terme comme un ensemble de dispositions favorables à l’action d’apprendre dans toutes les situations formelles ou informelles, de façon expérientielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite.
Cette définition met en évidence une attitude globale de l’individu (sujet social) sur les trois registres suivants :
- • le plan affectif (ou l’aimer apprendre) : l’individu voit l’idée d’apprendre comme une source possible de plaisir, d’émotions, de sentiments agréables ;
- • le plan cognitif (ou le savoir apprendre) : dans l’acte d’apprendre, l’individu se met dans une situation facilitant le traitement de l’information (concentration, attention, métacognition, …) ;
- • le plan conatif (ou l’engagement pour apprendre) : l’individu a une démarche intentionnelle, proactive dans l’idée d’apprendre.
2. L’apprenance, vecteur d’une dimension sociologique…
La grande révolution du XXIe siècle est le passage à une société, non plus d’information, mais de connaissance (société cognitive). La connaissance devient une ressource essentielle, une richesse d’un point de vue économique, ressource stratégique pour tout un chacun et pour l’entreprise.
La Conférence de Lisbonne de 2000 illustre cette révolution en planifiant de faire de l’économie européenne "l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde".
Si la connaissance est une ressource, un bien, elle est donc aussi un atout stratégique pour chaque citoyen qui doit répondre à cette injonction de se former "tout au long de la vie". La société devient une société apprenante.
Le sujet social devient apprenant. Un renversement de la situation de formation, de la mise en œuvre de l’acte d’apprendre s’est produit : ce n’est plus la formation qui va à l’apprenant, mais l’apprenant qui va à la formation (en fonction d’un besoin, d’une nécessité, d’une envie,…).
Mais la formation tout au long de la vie restera un vain mot si on ne prend pas en compte réellement l’évolution de la situation de formation. Et ce qui manque dans ce contexte, c’est le "lien" entre le développement de cette économie de la connaissance et l’apprentissage permanent : cette injonction de formation exige une posture spécifique du sujet social. C’est en ce sens que l’apprenance apparaît comme le “chaînon manquant”…
3. Et les acteurs de la formation, des accompagnateurs de l’apprenance…
L’apprenance est au cœur d’un système à trois axes centré sur l’action :
Les acteurs de la formation accompagnent les apprenants pour répondre à ces trois questions que tout individu en situation d’apprenance peut se poser :
Pourquoi apprendre ?
Les individus peuvent ressentir de la motivation à apprendre car ils n’hésitent pas à se remettre en cause ou perçoivent la nécessité de se former dans leur activité professionnelle. Dans l’attitude d’apprenance, il est essentiel que l’individu soit acteur tant dans la détection de ses besoins de formation que le choix du dispositif de formation.
Le chef d’entreprise, en tant qu’acteur de la formation a un rôle à jouer pour susciter cette attitude chez ses salariés et les accompagner dans cette démarche proactive. Il peut, par exemple, proposer un dispositif d’évaluation des compétences avec une phase d’autoévaluation qui permet aux salariés de se positionner par rapport à son poste et de dégager les marges de progrès possibles.
La présence d’intranet agit favorablement sur l’individu puisque cette masse d’informations en permanence disponible peut favoriser l’auto questionnement. En effet, si le salarié ne rencontre pas de besoin impératif de formation aujourd’hui, il sait qu’il a accès à des dispositifs qui peuvent l’aider à progresser.
Ces deux exemples peuvent s’intégrer dans les quatre leviers mis en évidence par P. Carré pour jouer sur les motivations de l’apprenant : mise en œuvre d’un projet stimulant, sentiment d’efficacité à apprendre – confiance, pédagogie du choix – la liberté de choix de sa formation et de son parcours et le plaisir.
Où apprendre ?
Il n’y a pas d’espaces dédiés à l’apprenance. Formel, informel, non formel s’entrecroisent. D’après M. Lisowski, les espaces formels s’articulent autour de la formation académique (stages de formation classique, en salle ou à distance). Les espaces informels reprennent les situations d’autoformation, de coaching et d’échanges intergénérationnels, c’est-à-dire toutes les situations, intentionnelles ou non, hors ou dans l’entreprise. Les espaces non formels s’organisent autour des projets, des échanges de savoirs dans le travail, toutes les situations au sein de l’entreprise mais qui n’ont forcément vocation à la formation.
La FOAD facilite l’apprenance dans ces espaces au travers des environnements. Le travail collaboratif où un groupe d’apprenant se concentre sur le même sujet et le tutorat permettent d’entretenir la motivation en levant les blocages et apportant des solutions. D’après diverses expériences réalisées, l’absence de tutorat est une des causes principales d’abandon d’une formation. La présence d’un formateur référent qui guide les apprentissages, qui oriente les recherches permet de soutenir cette envie de progresser pour soi.
Comment apprendre ?
Des méthodes diversifiées ayant toutes en commun l’autoformation découlent naturellement de la porosité des espaces de l’apprenance. Les dispositifs actuels de FOAD permettent une démarche réflexive de l’apprenant sur son apprentissage :
– développer sa réflexion sur ses processus cognitifs, à travers le scoring et les relances automatiques de suivi (LMS),
– être accompagné dans sa démarche par du tutorat,
– participer à des communautés de pratiques via les forums, wikis, blogs,
– apprendre sur soi autour de son parcours de vie ou de ses processus cognitifs par le portfolio numérique.
Ce sont autant d’approches et de méthodes développant cette posture de l’apprenance.
De plus, l’enchevêtrement des formats de l’apprenance "Jouer – s’informer – se former – apprendre" permet l’accessibilité au public le plus large possible, et notamment celui généralement le plus éloigné de la formation professionnelle en axant aussi les dispositifs sur la médiation humaine, l’individualisation.
4. L’apprenance, une attitude sans limites ?
Pour que la rencontre entre l’apprenant et l’offre de formation ne soit pas un hasard, des contextes doivent la faciliter. Or il existe des limites, des freins à cette apprenance.
– Son développement n’est possible qu’à travers un véritable projet de société impliquant les organisations et les politiques qui soutiennent l’individu dans sa motivation.
– Les organisations génèrent des limites de différentes natures. La croyance répandue que l’autoformation est une formation non dirigée, vécue seule freine son développement dans les entreprises. Le levier de la liberté de choix est rendu difficile par un phénomène d’aliénation des acteurs aux normes, aux valeurs que l’entreprise transmet et que le l’individu reprend à son compte.
Enfin, la sollicitation trop marquée à l’engagement individuel dans l’organisation peut avoir des effets inverses et peut passer pour aliénante (quid de la liberté de ne pas avoir de projet professionnel).
– Les processus motivationnels ne peuvent fonctionner que si l’individu a des attentes.
Dans un monde où le changement est maître, la vitesse d’adaptation demandée est telle que certains individus sont susceptibles d’être dominés par la peur, l’incertitude. Le sujet social peut être alors confronté à une instabilité identitaire, "paralysante" plus que motivante :
- • Si son contexte professionnel n’est pas vécu comme motivant, il n’existe pas de levier possible (sphère personnelle prioritaire).
- • La méconnaissance des perspectives professionnelles et personnelles, des bénéfices possibles, et le déficit d’information sont une limite à l’engagement.
– L’apprenance sous-entend la responsabilisation accrue des individus. Les individus s’attribuent naturellement la responsabilité pleine et entière de leurs actes dont les échecs sans prendre en compte le rôle de l’environnement.
5. Et pour les plus curieux.
- * La porosité des espaces : Loïc Brémaud réfléchit sur la question de l’articulation entre pratiques formelles, non formelles et informelles d’apprentissage.
- Site de l’A-GRAF. Disponible sur internet http://lllearning.free-h.net/A-GRAF/Symposia/textes/2005/contributionLB.htm
- * Barbier, René. La Galaxie de l’autoformation. Site de R.Barbier disponible sur internet
- http://barbier-rd.nom.fr/IED-verrier-autoformation/S_3_La_galaxie_de_l_autoformation.pdf
- * Blog de Florence Meichel qui met en évidence les réseaux apprenants. Disponible sur internet http://reseaux-apprenants.blogspot.com/
- * Carré, Philippe. L’apprenance : Rapport au savoir et société cognitive, Cyber-savoirs, site de S. Alava, disponible sur internet
- www.u-paris10.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=2881
- * Caparros-Mencacci, N. / Vial, M. L’accompagnement professionnel ? Méthode à l’usage des praticiens exerçant une fonction éducative. De Boeck, 2007. 331 p.
- * Trocmé-Fabre, Hélène. J’apprends, donc je suis. Editions de l’organisation, 1997. 291 p.
* Trocmé-Fabre, Hélène. Réinventer le métier de formateur. Editions d’organisation, 1999. 288 p.
6. Sources
– Carré, Philippe. L’apprenance : vers un nouveau rapport au savoir. Dunod, 2005. 212 p.
– Carré, Philippe. Apprentissage, motivation et engagement en formation, Education permanente, n°136/ 1998-3, p.101-109
– Bourgeois, Etienne / Nizet, Jean. Apprentissage et formation des adultes. PUF, 2005. Coll. L’éducateur. 232 p.
– Carré, Philippe. Portée et limites de l’autoformation dans une culture de l’apprenance, Education permanente, n°168/ 2006-3, p.19 à 29, aussi disponible sur internet :
– Morier, Francis (GARF)/ Barré, Josselin (CCI Marseille)/ Degrotte, Béatrice (HSBC)/ Puzenat, Catherine (GARF) : L’apprenance ou le désir d’apprendre, une clé pour la réforme de la formation. GARF, 2005. Coll. Etudes du GARF. 23 p.
– Ferro, Adrien. Compte-rendu de l’Audition publique de Philippe Carré du 30 janvier 2006, Novantura, disponible sur internet
- http://www.novantura.com/blog/index.php?2006/02/16/39-audition-%20publique-de-philippe-carre
Version du 24 octobre 2010
Equipe de rédaction : Karine Adam, Philippe Bravard, Céline Chauvet, Evelyne Fossé