Stéphane KUS vous êtes ancien coordonnateur de ZEP. Comme ces Zones d’Éducation Prioritaire vont être redéfinies, quel est le diagnostic que vous portez aujourd’hui sur ces différents formats à appliquer à l’Éducation sur le territoire ?
« Quand on veut parler de travail en commun, de partenariat entre différentes institutions sur un territoire, on a un gros problème : pour l’instant, ce partenariat, la plupart du temps, ne se fait qu’à travers des dispositifs, et souvent dans le but de récupérer des financements. C’est la logique de guichet dont on parlait.
Je pense que la bonne question qui permet de mettre les gens au travail sur le terrain à propos de l’Éducation c’est d’abord de se dire mais quel est l’objet de notre travail en commun ? Et moi j’en vois un : la question de l’égalité. C’est peut-être un prisme du fait que j’ai été instituteur en ZEP dans une école fortement ségréguée avec des élèves dont j’ai vu le parcours se casser la figure au collège : les élèves que j’avais en CP qui n’arrivaient jamais au bout de la troisième et notamment pour les garçons parce qu’ils avaient été exclus du collège. Mais à un moment donné, je me dis que ce qui peut faire l’objet du travail commun c’est la question de l’égalité en Éducation et pour le coup de tout ce qui produit des inégalités. Et quand on met ça sur la table on se rend compte qu’on a tous du pain sur la planche…
Premier niveau, quand on travaille dans une école en ZEP avec plus de 90 % d’enfants issus de l’immigration et que 500 mètres plus loin il y a une école où la proportion d’enfants issus de l’immigration est inverse, on peut se poser une petite question. Cette frontière, cette limite des secteurs scolaires, comment a-t-elle été pensée ? Et quels espaces, quels lieux on se donne pour essayer de la repenser ensemble ? Entre la collectivité locale, le maire qui en est normalement le garant de cette sectorisation et puis les professionnels de l’Éducation, l’inspecteur de l’Éducation nationale qui y travaillent. Dans quel lieu on peut parler de ça ? Est-ce que c’est dans une réunion pour valider des actions CEL ? Je ne suis pas sûr. Mais, est-ce qu’il existe un autre lieu ? Si on continue un petit peu plus loin quand on arrive au niveau du collège on retrouve d’autres formes de ségrégations. Un exemple qui implique aussi une collectivité territoriale : à la cantine quand j’allais au collège à côté de l’École je ne voyais que les enfants des milieux les plus favorisés parce qu’il y avait une tarification unique du conseil général et que du coup cette tarification était hors de portée des familles des enfants du quartier où je travaillais. Dans quel lieu on peut en parler ? On pourrait aussi parler de la manière dont cette ségrégation se reproduit à l’intérieur du collège dans la constitution des classes. Dans un des collège avec lesquel je travaillais, en 1981 en même temps que la labellisation ZEP, ont été créées des classes bilangues, européennes, etc… où n’allaient que les enfants des écoles les plus favorisées du secteur du collège. Dans quel lieu on peut discuter de ça ? Est-ce qu’il y a un lieu où l’on va discuter entre l’inspection académique ou maintenant direction des services départementaux de l’Éducation nationale, les directions des collèges, les collectivités locales de ces problématiques là ? C’est-à-dire que, pour l’instant, il me semble que cette question là ne peut se travailler qu’à la marge et dans des lieux j’allais dire presque informels. Alors j’ai l’habitude d’en parler parce que c’est quelque chose qui a marqué le territoire où je travaillais et qui a eu je pense des impacts puisque encore aujourd’hui où j’entends parler du fait que le projet éducatif de territoire qui se monte où se déroule très bien et tout le monde se met autour de la table et je pense que c’est issue d’une culture commune qui s’est installée petit à petit, mais pendant longtemps pour travailler entre les différentes institutions, on avait un petit lieu qu’on s’est inventé qu’on a appelé la coordination des coordonnateurs, où on se retrouvait moi le coordonnateur des deux ZEP de la commune, la coordinatrice du PRE, les agents de développement sociaux des DSU, la coordinatrice CEL, le coordonnateur du CLSPD, la coordinatrice de l’Atelier Santé Ville, puis le coordonnateur jeunesse aussi qui nous a rejoint au bout d’un moment. Cette coordination des coordonnateurs qui montre quand même déjà qu’il y a un problème : si les coordonnateurs sont obligés de se coordonner entre eux c’est qu’il y a quand même des choses qui dysonctionnent dans la manière d’agir des politiques publiques. Dans ce lieu là, on a commencé à échanger, à partager, à s’expliquer comment fonctionnaient nos différents dispositifs et puis petit à petit on s’est mis à essayer de réfléchir à quels endroits il y avait en Éducation une rupture d’égalité sur nos territoires ? Comment au-delà des dispositifs, on pouvait essayer de réfléchir à mettre sur la table aussi les pratiques de droit commun ? Prenons un objet qui est un objet partagé par excellence : les devoirs à la maison. Ça fait trente ans qu’on finance des accompagnements à la scolarité, je parle même pas du soutien scolaire qui donne droit à l’abattement sur les impôts mais qui coûtent très chers à la société, sans jamais se poser la question : cette pratique des devoirs à la maison est-ce que l’on ne peut pas la réfléchir ensemble ? Est-ce qu’il n’y a pas des choses à revoir dans le fonctionnement de l’École, est-ce que l’on ne peut pas se poser des questions collectivement là-dessus ? Voilà un objet sur lequel on peut réfléchir ensemble. Je ne vais pas aller plus loin pour l’instant mais je pense que ce qui nous manque le plus ce sont des lieux comme ça où l’on puisse réfléchir au-delà des dispositifs, les différents acteurs de droit commun quelles sont leurs pratiques ? Quelles sont les pratiques qui posent problèmes ? Quelles sont les pratiques qui produisent de l’inégalité ? Et comment on peut réfléchir ensemble pour les faire avancer. Ces lieux-là, ils existent à plein d’endroit, mais ils sont souvent très informels : comment les institutions peuvent petit à petit les légitimer ? Voilà les questions que je me pose pour l’instant.
Quels sont pour vous les sujets qui doivent évoluer maintenant ?
On n’a même pas parlé là du problème de l’argent. Moi si il y a une chose qui serait vraiment à faire évoluer c’est cette logique de l’appel à projets. Je pense que ces appels à projets, d’abord mettent tout le monde en difficulté, qu’ils coûtent énormément chers en terme de temps de travail de ceux qui les posent, de temps de traitement des instances qui les valident et qui en plus mettent les gens en concurrence et c’est parfois les endroits où ça va le mieux qui sont les mieux à même de dégager des moyens dans ce cadre des appels à projets et alors que les endroits où c’est plus compliqués les gens sont le plus dans la fatigue, l’usure, etc… on est le moins en capacité de se mobiliser pour construire des réponses à appels à projets.
Donc je pense que derrière cette logique de l’appel à projets, il y a une profonde inégalité et je pense que c’est vraiment quelque chose qui peut-être coûte plus cher que ce que ça rapporte. Pour donner un exemple de ce que je veux dire, comme coordonnateur de l’Éducation prioritaire j’avais à trouver les financements pour monter un parcours théâtral pour les élèves de ma ZEP qui leur permettaient de faire du théâtre du CP jusqu’à la 3ème. Ça coutait 10 000 euros pour 300 élèves chaque année. C’est pas grand chose. Mais pour pouvoir trouver ces 10 000 euros et financer notre intervenante de théâtre il fallait qu’on mobilise des crédits de l’accompagnement éducatif à l’Éducation nationale. Qu’on pose une action au Contrat Urbain de cohésion sociale du côté de la politique de la ville. Qu’on fasse une autre demande au contrat éducatif local et qu’on sollicite par dessus encore des fonds attribués par le service Éducation de la mairie toujours sous ces mêmes logiques d’appel à projets, avec des calendriers différents : les appels à projets CUCS, et les autres n année scolaire. Je vous dis pas le casse-tête pour gérer ça avec la gestionnaire du collège et le temps que ça prenait.
A un moment donné, quand on est capable de mesurer les besoins, la difficulté sociale, scolaire, éducative à certains endroits, on est capable d’attribuer, comment dire, ces crédits en fonction de ces besoins et pas uniquement en fonction de la capacité des gens à se mobiliser. Et ça laissera peut-être d’autant plus de temps, d’énergie, aux personnes pour se mobiliser sur le vrai travail de coopération qui me semble nécessaire.