4 000 communes ont choisi de mettre en oeuvre la réforme des rythmes scolaires dès la rentrée Z013,ce qui représente 17% des communes et 22% des élèves des écoles élémentaires publiques 0,3 million d’écoliers). S’il est trop tôt pour effectuer
un bilan, voici les premiers enseignements (1).
La réforme des rythmes scolaires, approuvée initialement par l’ensemble de la communauté éducative, s’est vue, à mesure que les échéances se sont profilées, critiquée par les enseignants qui y ont vu une dégradation de leurs conditions de travail, les parents inquiets des changements organisationnels internes et les élus soucieux de la diminution annoncée des concours de l’État. La réflexion entreprise au sein des territoires, tant dans les communes engagées sur 2013 que dans celles choisissant d’attendre 2014, a cependant donné lieu à une dynamique collective et à un travail de concertation qui a alimenté les débats nationaux.
Parcours éducatif
Les parents et les enseignants sont sensibles au renforcement du temps scolaire du matin favorable aux apprentissages qui peut amener sur la base de cinq matinées de 3 h 30 à une augmentation de près de 50010 du temps hebdomadaire du matin (17 h 30) sur 24 heures. Les conséquences de ce positionnement sont importantes pour le temps scolaire d’après midi, réduit potentiellement de fait à quatre séances de moins d’1 h 40 : il convient donc de réfléchir au contenu de ce temps. Il semble que les équipes enseignantes n’aient cependant pas complètement intégré la nouvelle organisation et la demi-journée supplémentaire dans le séquençage pédagogique, ce qui diminue l’effet attendu de la réforme sur "l’étaIement" des apprentissages.
La continuité éducative fait réfléchir l’ensemble de la communauté éducative sur le lien entre le temps scolaire et le temps périscolaire : dans nombre de communes les enseignants acceptent d’intégrer les activités pédagogiques complémentaires (APC) au nouveau temps périscolaire (TAP), mais également d’animer des activités en étant rémunérés, aux côtés des professionnels de la ville et du monde associatif. L’idéal est d’associer, dès le départ, le corps enseignant pour favoriser la cohérence des actions entre les temps scolaires et périscolaires. Les associations et les structures culturelles qui utilisaient le mercredi matin doivent revisiter le socle des activités qu’elles sont en mesure de proposer sur les temps libérés. La notion de parcours permet de s’entendre sur les besoins des enfants (qui ne sont pas forcément les mêmes), de lutter contre la suractivité en proposant non pas un catalogue, mais des modules variés qui incluent des actions d’accompagnement scolaire (APC,Clas,études surveillées en attendant les suites des décisions nationales sur le travail personnel), des temps de jeux (individualisés, collectifs, coopératifs …) et de lecture, des ateliers orientés sur la découverte (avec l’objectif de susciter l’appétence pour les activités culturelles, artistiques, sportives). Il est essentiel de laisser du temps aux enfants et aux jeunes, pour eux, pour qu’ils fassent leur propre choix sur des temps qui, s’ils restent encadrés, doivent aussi pouvoir être libérés de toute "consigne" (ne rien faire, rêver, se reposer…).
Sortie anticipée
En matière d’horaires, le choix majoritaire se dessine sur une sortie anticipée en après-midi avec des variantes. Le mode alterné (journées pleines – deux journées réduites) est testé dans un certain nombre de villes, dont Paris. S’il n’est pas vraiment cohérent avec la volonté d’une diminution quotidienne du temps scolaire, puisque deux journées restent à 6 heures d’école, ni avec la volonté d’une semaine régulière, il permet de dégager des plages d’activités d’1 h 30, facilitant l’organisation des professionnels appelés à encadrer les enfants. D’ores et déjà, on peut indiquer la difficulté des enfants des écoles maternelles à suivre ce rythme. Par ailleurs, l’expérimentation semble montrer que l’équilibre, la stabilité, et une organisation identique toute la semaine permettent aux familles et aux enfants de mieux s’imprégner de la nouvelle organisation et de s’y adapter plus facilement.
La sortie anticipée régulière est le mode choisi majoritairement. L’avancement du temps périscolaire, au regard des dispositifs actuels d’aide personnalisée, d’études, d’atelier d’accompagnement qui finissent fréquemment vers 18 heures, peut véritablement alléger la journée de l’enfant en termes d’amplitude d’attention demandée. En lien avec l’incitation à la gratuité des TAP/NAP,les maires ont souvent fait le choix de trois quarts d’heures libérés ce qui oblige à une scission entre deux temps "périscolaires" qui complique la gestion et le suivi des élèves sur un temps de tuilage qui diminue d’autant le temps d’animation.
Le temps de midi a fait l’objet de débats très tendus avec les parents et la communauté enseignante, dans les communes qui souhaitent augmenter un temps qui peut concerner, en fonction des lieux, entre 30 et 80 % des enfants. La pertinence de démarrer la sieste des petits sans attendre le début de l’après-midi est vérifiée partout où elle se fait. Qu’elle soit élargie ou non, la pause méridienne doit voir son contenu éducatif transformé et amélioré, dans l’esprit de la continuité éducative.
L’enjeu de l’encadrement
Une école primaire de douze classes(300 enfants) qui accueille 200 enfants doit disposer de douze encadrants chaque jour. À partir du montage du projet éducatif, on peut recourir aux enseignants volontaires, aux professionnels de la collectivité (animateurs, Atsem, encadrants sportifs, culturels …), mais également faire appel aux professionnels associatifs qui sont déjà en contact avec les enfants et peuvent compléter des temps partiels. Il s’agit de constituer une véritable équipe d’animation et d’éducation en fédérant tous les professionnels et en mettant fin au cloisonnement des métiers. Les Atsem auront un rôle accru auprès des enseignants et pourront intervenir sur les temps périscolaires. Les agents de la restauration, les cuisiniers pourront proposer des ateliers "cuisine" sur les temps périscolaires, les animateurs devront se saisir des nouveaux temps d’activités. Il s’agira aussi d’engager l’ensemble des services de la collectivité, impactés de manière directe (enfance, culture et sport) ou indirecte (finances, bâtiments, transport et fluide) dans la mise en place d’une nouvelle organisation, mais aussi d’une nouvelle conception de la responsabilité dans la prise en charge des enfants.
Le nombre important des enfants qui participent aux actions (TAP)conduit à privilégier une organisation en accueil de loisirs réglementaire. Cela passe par l’identification d’un cadre directeur responsable des activités périscolaires (poste existant, à créer, à identifier dans les services actuels: éducateurs sportifs, directeurs d’accueil de loisirs, cadres culturels …) qui va être le garant de la bonne marche de l’activité. La gestion des transitions entre les moments qui génèrent pour l’enfant des changements de statut au fil de la journée constitue le noeud et l’enjeu de cette réforme. Les relations enseignants/animateurs sont la clé de cette réussite. La mise en place d’un binôme ville/Éducation nationale sur le pilotage des TAP et éventuellement des APC lorsqu’elles portent sur des projets éducatifs intégrés au projet éducatif territorial (PEDT), peut constituer un outil de la cohérence et de la continuité. Un certain nombre de collectivités disposent d’animateurs titulaires qui ont vocation naturelle à intervenir sur ces temps; d’autres ne disposent pas des mêmes professionnels et se doivent de faire un effort considérable de formation sur des personnels intervenant dans les garderies, les restaurants scolaires, la surveillance des cours. La possibilité d’acquérir par validation de l’expérience, le certificat de qualification professionnelle (donnant une qualification reconnue en accueil de loisirs sans hébergement périscolaire) doit faire l’objet d’une attention soutenue entre le CNFPT, les collectivités, les mouvements d’éducation populaire susceptibles d’accompagner ces personnels dans un parcours qui peut être difficile.
Nouvelle forme éducative
Le contenu des parcours éducatifs est un des sujets les plus fondamentaux dans la réforme des rythmes, car si l’allongement du rythme éducatif implique le développement d’activités artistiques, créatives ou sportives, sur les temps du midi et de l’après école, il faut que ces temps aient une portée et une nouvelle forme éducative qui permet de faciliter la complémentarité.. Si les personnels ne sont pas qualifiés et n’ont pas de moyens, cette réforme sera perçue par les enseignants et parents comme une étape de la dévalorisation supplémentaire de l’école. En revanche, si le temps éducatif est repensé avec ambition et inspiration et favorise l’innovation, la réforme prendra tout son sens. Ceci suppose au-delà des problèmes de financement, une réflexion de fond sur la participation des territoires au projet éducatif et sur le décloisonnement des acteurs éducatifs, enseignants, personnels municipaux, parents, associations, etc. Les circulaires vont en ce sens puisqu’elles parlent de nécessité de "continuité éducative" entre les projets des écoles et les activités proposées sur les temps périscolaires et de "synergie entre les acteurs" ou encore lorsqu’elles décrivent le PEDTcomme un cadre de collaboration rassemblant l’Éducation nationale, le ministère des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative et les autres administrations, etc. Ce n’est donc pas tant le rythme scolaire qui est en jeu dans le débat actuel, que l’impérieuse nécessité d’une réflexion sur ce nouveau temps éducatif engendré par l’allongement des charges quotidiennes de l’enseignement obligatoire..
Laurent Thoviste
Sur la base d’une enquête et d’un rapport de l’Andev réalise pour le comité de suivi des rythmes
[1) Enquête et rapport de l’Andev réalisé pour une audition par le comité de suivi des rythmes le 13 novembre 2013 et pour une
audition de la mission commune d’information au Sénat le 5 février 2014.183 communes ont répondu au questionnaire.