Le 23 juillet dernier, un rapport de diagnostic sur l’évaluation de l’éducation prioritaire (EP)(1) signait un énième constat d’échec des politiques menées depuis plus de trente ans. Un plan d’action est prévu pour 2014. Avec quel contenu ? Camille Bedin et Marc Douaire ne partagent pas les mêmes orientations.
Camille Bedin : Enseignante à l’lEP de Paris et cofondatrice de deux associations de coaching de jeunes en zones d’éducation prioritaire (ZEP) à Nanterre (Hauts-de-Seine), elle est aussi cofondatrice de la Droite forte et secrétaire générale adjointe de l’UMP, en charge des questions d’égalité des chances (http://ump-nanterre.fr/equipe/).
Marc Douaire : Cet ancien professeur des écoles et directeur d’établissement à Nanterre, puis coordonnateur en ZEP, est aujourd’hui président de l’Observatoire des zones prioritaires (OZP) (www.ozp.fr).
Quelles sont vos orientations en matière d’éducation prioritaire ?
CB : Pour vraiment donner plus à ceux qui ont moins, il faut, dès la primaire, accorder une autonomie totale aux établissements, en matière de gestion des ressources humaines et de recrutement, ainsi que pédagogique (petits groupes, classes de niveau…).
MD : Nous rejoignons les pistes données par ce rapport. Primo, la nécessité réaffirmée d’une éducation prioritaire (EP). Secundo, le diagnostic d’un constat d’échec, non pas tant des résultats obtenus que des pilotages discontinus menés depuis 1980. Il faut laisser du temps aux acteurs de terrain (enseignants, maires, associations …) pour créer un rapport de confiance et travailler ensemble.Tertio, il est indispensable de mettre fin à l’empilement des dispositifs, pour se concentrer sur l’action pédagogique.
Faut-il aller vers une refonte totale des ZEP ?
CB : Je le pense, sous peine d’arriver à un système opaque et totalement inutile. Mes propositions : parvenir à 100 % d’autonomie des établissements sous quinze ans, dont un tiers rendu autonome dans les cinq premières années, en accompagnant davantage ceux qui en ont le plus besoin.
MD : Le taux des élèves concernés par l’EP est passé de 10 % en 1981-1983 à 20 % aujourd’hui, au collège comme en primaire. Un chiffre beaucoup trop élevé au regard de la mission originelle des ZEP. Il faudrait reconfigurer la carte de l’EP en la calquant sur celle de la politique de la ville, dont le nombre de quartiers prioritaires devrait être largement revu à la baisse en 2014. Mais cette réforme n’aura de sens que si elle se conjugue avec la refondation de l’école, car notre système éducatif est des plus ségrégatifs d’Europe.
Comment sélectionner les établissements ?
CB : En publiant les évaluations ou auto-évaluations de chacun. Nous préconisons la mise en place de contrats d’objectifs sur trois à cinq ans, avec un suivi des établissements les plus en difficulté et au terme desquels, si l’établissement n’a pas réussi à améliorer ses performances, la solution pourrait aller de la mise sous tutelle par un autre établissement plus performant
(partage des bonnes pratiques) à la suppression pure et simple.
MD : On pourrait imaginer, d’une part, un coeur de réseauvraiment identifié « EPlI, auquel seraient consacrés, au jour le jour, les moyens les plus importants. Et, d’autre part, des établissements correspondant aux Réseaux de réussite scolaire actuels, financés par l’Éducation nationale sur la base de contrats triennaux ou quadriennaux.
Quels financements pour ces choix stratégiques ?
CB : D’abord, le ticket choix-étaslissement : un chèque que chaque famille recevrait en début d’année pour pouvoir choisir son école. Ensuite, via un bilan annuel sur les moyens de l’établissement, assorti du retrait des subventions à ceux qui vont bien au profit d’autres moins favorisés. Enfin et surtout, en incitant les structures, dès le primaire, à mener une politique active de
mécénat.
MD : Dans le cadre de la refondation de l’école, l’EP bénéficie actuellement d’une dotation supplémentaire d’un milliard d’euros. Une somme qui sert essentiellement à diminuer le nombre d’élèves par classe, à indemniser les personnels et à créer des emplois d’accompagnement et de coordination.
Comment motiver les enseignants de façon à les attirer et les retenir dans les quartiers ?
CB : Contre le turnover, les primes sont loin d’être les seules solutions. Ce qui motive un enseignant, c’est un projet d’établissement portant des valeurs et des objectifs communs.
MD : Il faut agir sur deux leviers. D’abord, mieux accompagner les équipes. Ensuite, reconnaître dans les obligations de service les tâches remplies en périphérie du face-à-face pédagogique: organisation du travail en réseau, rencontres d’intervenants extérieurs, suivi des élèves…
L’école doit-elle cibler les fondamentaux ou promouvoir un discours citoyen ?
CB : La mission d’éduquer les enfants ne revient pas, en premier lieu, à l’Éducation nationale, mais à leurs parents. Il faut arrêter de vouloir tout enseigner aux élèves (sécurité routière, théorie du genre, nutrition …), pour se concentrer sur un objectif: que tous sachent compter, lire et écrire à la fin du CM2.
MD : L’une des missions historiques de l’école française en général, et de l’EP en particulier, est l’enseignement, dès la maternelle, du vivre ensemble … Il ne faut pas y déroger.
Quelle politique mener contre la violence scolaire ?
CB : Nous prônons de ne plus avoir peur de l’autorité (autorité des savoirs, autorité des « surveillants », présence d’un policier référent). Dans l’établissement de demain, les élèves pourraient porter l’uniforme pour jouir du sentiment d’appartenance et de respect envers une communauté, tout en bénéficiant d’une grande liberté pédagogique, grâce aux nouveaux outils numériques. par exemple.
MD : Il faut travailler beaucoup plus sur les règles de vie, l’espace commun. Et aussi réinsuffler de la continuité entre premier et second degrés, via l,à remise en place de la politique des cycles.
Dans quelle mesure la réduction des effectifs par classe est-elle la solution ?
CB : C’est important, mais pas forcément de façon uniforme partout: aux chefs d’établissement de faire leurs choix en fonction de leurs besoins, ressources et situation.
MD : Le rapport DGESCO de bilan des réseaux « ambition réussite », publié en juin 2010, a montré que ce qui porte le plus ses fruits à long terme est l’intervention de deux enseignants sur un cycle d’apprentissage, avec le dispositif « plus de maîtres que de
classes ».
Quel travail en réseau avec les acteurs locaux ?
CB : Il faut laisser tous les établissements nouer des partenariats avec les acteurs municipaux et locaux de leur choix, publics comme privés.
MD : Le métier d’enseignant ne peut plus s’exercer individuellement. Il faut innerver ce travail local avec de la ressource intérieure et extérieure: formateurs, chercheurs en éducation, acteurs éducatifs …
Faut-il sortir les meilleurs élèves des ZEP ?
CB : La suppression des internats d’excellence a démotivé élèves, familles et enseignants. Mais la vraie question est de permettre aux parents d’inscrire leurs enfants là où ils le veulent. À terme, les établissements devraient pouvoir se concentrer sur un projet pédagogique spécifique et être choisis avant tout en fonction des centres d’intérêt et des valeurs de la famille.
MD : Nous sommes opposés à une philosophie visant à extraire quelques élèves et à abandonner le reste. Je prônerais plutôt, là encore, un retour à la politique des cycles, qui permettait à des élèves en appétence d’aller plus loin. Il est indispensable de conserver l’hétérogénéité des classes et des écoles.
Propos recueillis par Catherine Piraud-Rouet