In L’Expresso – le Café Pédagogique – le 18 décembre 2013 :
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"Relevez vos défis éducatifs avec les fonds européens". Premier budget de l’Etat, le ministère de l’éducation nationale invite les recteurs à faire les poches de l’Europe pour financer des projets essentiels. Ou comment pour éviter la révolution, on en introduit une autre..
L’idée flotte dans les couloirs de la rue de Grenelle depuis bien avant l’arrivée de V. Peillon. Elle se concrétise sous la forme d’une brochure d’une trentaine de pages destinée autant au public qu’aux recteurs. Elle invite les académies à aller piocher dans le Fonds européen de développement régional (FEDER) et dans le Fons social européen (FSE) de quoi financer leurs projets. "Entre 2007 et 2013 plus de 93 500 projets ont reçu un soutien de l’union européenne pour un montant total de 41 milliards". Ainsi chaque année l’éducation nationale pourrait récupérer 200 ou 300 millions de cette manne de 7 milliards annuels.
C’est particulièrement vrai pour les TICE. Alors que le budget ministériel a fondu comme neige au soleil en quelques années, la brochure encourage les recteurs à solliciter le Feder pour payer le développement des ENT. Ainsi à Montpellier le CRDP a fait financer la moitié des frais de son ENT grâce à des fonds européens FEDER, l’autre moitié étant pris sur les fonds rectoraux. Autre domaine prioritaire, la lutte contre le décrochage. Là les rectorats sont invités à taper dans la caisse du FSE, à l’image de l’académie d’Aix Marseille qui finance une action contre le décrochage à 17% sur fonds européens du FSE.
Un Eldorado ? Evidemment on pourra toujours mettre en avant l’idée de la bonne gestion. Puisque l’opportunité existe , pourquoi l’administration s’en priverait-elle ? Mais, dans les couloirs de la rue de Grenelle, l’appel à ces fonds est plutôt perçue comme un Eldorado que comme de la gestion ordinaire. En témoigne d’ailleurs cette nouvelle brochure. A travers les exemples lis en avant, les fonds européens sont présentés comme la solution miracle qui permet aux académies de retrouver une capacité d’action.
Pour le citoyen, cette brochure est surtout un révélateur de la panne de gestion. Comment l’Etat en est-il arrivé à faire financer par d’autres des politiques prioritaires comme la lutte contre le décrochage scolaire ? Pourquoi faire dépendre de fonctionnaires européens des programmes qui devraient bénéficier d’un traitement prioritaire dans les budgets académiques ? Quel aveu d’impotence en matière de numérique quand l’Etat croit retrouver de la liberté d’action auprès de l’Europe pour financer des projets qui sont soumis au bon vouloir des collectivités locales ?
Ce n’est pas à Bruxelles qu’est la clé des politiques éducatives nationales. Le changement de gouvernement a permis, pour la première fois depuis des années, une réelle augmentation du budget de l’éducation nationale et de la dépense intérieure d’éducation. V Peillon a fléché ces moyens vers la mise en place de la formation initiale des enseignants.
Mais s’il se trouve à sec pour financer les autres politiques c’est aussi parce qu’il n’arrive pas à dégager des moyens en interne. La révélation vient d’en être faite avec l’affaire des CPGE. Le ministère a échoué à récupérer quelques millions sur un dispositif éducatif qui est ruineux. Du coup il doit faire face au mécontentement des enseignants plus modestes, comme ceux du primaire, qui trouvent que le changement tarde.
Cessons de suivre les étoiles européennes pour guider l’action ministérielle. A moins d’accepter de voir sombrer la refondation, dans un contexte où la situation économique du pays ne se relève pas, il faudra bien dégager en interne les moyens des priorités ministérielles. L’attention attribuée par le ministère aux fonds européens distrait de l’essentiel. Le vrai trésor de l’éducation nationale n’est pas à Bruxelles. Tout le monde sait rue de Grenelle où il se trouve. Il reste à aller le chercher ou à se taire à jamais.
François Jarraud