In Le Nouvel Observateur – le 16 novembre 2013 :
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Le chronopsychologue François Testu, spécialiste des rythmes biologiques, défend le passage aux quatre jours et demi par semaine, qu’il juge essentiel pour l’équilibre des enfants.
L’essentiel est surtout de bien respecter la rythmicité propre aux enfants. (BEP/LeRépublicainlorrain/MaxPPP)
Difficile de réconcilier les pro et les anti réforme des rythmes scolaires : les uns pensent que le retour de quatre jours et demi de classe par semaine à l’école primaire (au lieu de quatre) est bénéfique pour ouvrir les enfants, les autres qu’elle les épuise. Mais, au-delà des opinions, qu’en dit la science ?
Interview de François Testu, chronopsychologue et professeur à l’université François-Rabelais de Tours.
Est-il si important de revenir aux quatre jours et demi de classe par semaine à l’école primaire prescrits par la réforme de Vincent Peillon ?
– C’est crucial vous voulez dire ! Cela fait trente ans que je travaille sur les questions de rythmicité biologique et il y a consensus sur le fait que les quatre jours d’école hebdomadaires sont néfastes pour les enfants. Quand le ministre Xavier Darcos a décidé ce passage aux quatre jours en 2008, on n’a pas entendu grand monde le critiquer. Je me sentais bien seul dans mon désert ! Mais ensuite, le bon sens est revenu : des instances comme l’Académie de médecine, la Cour des comptes, une commission de l’Assemblée nationale et la Conférence nationale sur les rythmes scolaires sont tombées d’accord pour et prôner le retour aux quatre jours et demi. Le fait qu’aujourd’hui, certains remettent en cause cette avancée m’inquiète fortement.
Vous voulez dire les syndicats enseignants, qui se sont mis en grève jeudi 14 novembre contre la réforme ?
– Ils n’osent pas encore tout à fait réclamer un retour aux quatre jours, car ils savent que cette demande est contraire à l’intérêt des enfants, donc tout à fait inacceptable. Alors, ils discutent de la qualité des activités périscolaire, de l’organisation de la réforme, de son coût, de la sieste des petits en maternelle… Mais qu’ont-ils réellement derrière la tête ? Il faut le dire et le répéter : un maintien de la semaine de quatre jours serait catastrophique !
Mais pourquoi les quatre jours sont si néfastes ?
– Parce que de nombreuses études démontrent scientifiquement que les quatre jours d’école altèrent le rythme biologique des enfants qui ont besoin de régularité, de continuité entre les activités scolaires et ce qu’ils font à la maison. L’alternance deux jours de repos [samedi-dimanche]/deux jours de classe [lundi-mardi]/un jour de repos [mercredi]/deux jours de classe [jeudi-vendredi] agit comme un yoyo très nuisible sur eux. Il a des conséquences physiologiques et psychologiques. Nous sommes nombreux à avoir mesuré que cela occasionne des troubles en terme de comportement et des baisses de performances scolaires, etc. Les quatre jours sont en effet une généralisation du fameux "effet week-end".
C’est quoi, l’"effet week-end" ?
– Le week-end casse le rythme que les enfants ont pris à l’école. Quand ils rentrent en classe le lundi matin, il faut qu’ils se remettent dans le bain. Quand le week-end dure un jour et demi [que le samedi matin est travaillé, donc], la journée du lundi est nécessaire. Quand il dure deux jours pleins, le mardi matin leur est parfois nécessaire !
Mais pourquoi le fait d’être à la maison plutôt qu’à l’école occasionne-t-il une telle différence pour les écoliers ?
– Il faut préciser que cela ne concerne pas tous les écoliers : la réforme des rythmes scolaires a surtout été pensée pour les enfants les plus fragiles, issus des familles les moins favorisées sur le plan culturel – les 20% d’élèves qui se trouvent en échec scolaire quand ils arrivent en classe 6e. Ceux-là, quand ils se trouvent hors des murs de l’école, sont trop souvent livrés à eux-mêmes, ne bénéficient pas assez d’émulation intellectuelle, n’ont pas assez de régularité dans leurs horaires, pas assez d’encadrement éducatif, etc. Donc ils souffrent énormément du retour à l’école du lundi et du jeudi car, tout à coup, ils retombent dans un environnement extrêmement régulier en terme d’horaires et où leur intelligence est à nouveau très sollicitée. Ce contraste est terrible.
On entend beaucoup de parents dire que le retour aux quatre jours et demi épuise les enfants. C’est donc faux ?
– Je dirais plutôt que c’est subjectif. Qu’est-ce qui leur permet de dire que leurs enfants sont plus fatigués que l’année précédente ? Les scientifiques qui s’intéressent à la question le savent : mesurer la fatigue physique et psychologique est une chose très complexe. En tout cas, on est sûrs d’une chose depuis longtemps : les enfants qui retournent en classe en septembre après la coupure estivale sont épuisés jusqu’aux vacances de la Toussaint – et cela, la réforme des rythmes scolaires n’y est pour rien.
Les partisans de la réforme disent que les enfants sont couchés de plus en plus tard et que c’est surtout ce qui explique leur fatigue…
– C’est peut-être vrai, mais je ne veux pas jeter la pierre aux parents. Beaucoup rentrent tard, dînent tard et le fait qu’ils veuillent un peu profiter de leurs enfants avant de les coucher est compréhensible. Mais c’est vrai qu’il faut essayer, dans la mesure du possible, d’éviter que la vie échevelée des adultes ne se décalque trop sur celle des enfants.
Vous avancez que la réforme des rythmes pourrait être remise en cause à l’école maternelle…
– En effet, elle n’est peut-être pas indispensable avec les plus petits. La distinction entre scolaire et périscolaire n’est pas aussi marquée en maternelle qu’à l’école primaire et il est indispensable de tenir compte de l’âge des enfants. Mais soyons cléments avec cette réforme : elle est entrée en application en septembre, il y a quelques mois à peine. Il est normal qu’elle mette du temps à trouver ses marques. Il faut que les établissements et les collectivités se l’approprient selon une configuration qui leur est propre. Dans l’intérêt des enfants, faisons preuve de souplesse !
Propos recueillis par Arnaud Gonzague