In Démocratisation-scolaire – le 15 novembre 2013 :
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Depuis plusieurs semaines, à l’initiative d’enseignants, de parents d’élèves voire même, dans certaines villes comme Aubervilliers, d’animateurs, se développent des mouvements de protestation contre la réforme dite des « rythmes scolaires », engagée par nombre de municipalités dès la rentrée scolaire 2013. La plupart des commentaires sur cette affaire mettent l’accent sur les effets insupportables pour les élèves et l’ensemble de la communauté éducative – différents selon les communes et les populations concernées – des modalités de mise en œuvre de cette nouvelle organisation du temps scolaire hebdomadaire étalé sur quatre jours et demi – dont le mercredi matin – au lieu de quatre auparavant. L’absence de moyens et l’insuffisance de la concertation entre tous les partenaires intéressés sont mises en cause. Ici, on constate que les enfants ne se voient proposer qu’un peu de garderie. Ailleurs, ce sont au contraire la multiplication des activités et la fatigue accrue des élèves qui sont dénoncées. Ailleurs encore les horaires aberrants, le manque d’animateurs qualifiés ou l’inadaptation des locaux. Dans une telle situation, le gouvernement semble se priver de la possibilité même d’engager une transformation qualitative d’ampleur du système scolaire, s’attaquant simultanément aux inégalités territoriales, aux incohérences des programmes et aux insuffisances de la formation.
A y regarder de plus près, on peut d’ailleurs se demander si la désorganisation actuelle n’aurait pas vocation à s’installer durablement comme une modalité de gestion du système scolaire, avec une disparité accrue des moyens mis à disposition des écoles et des familles, et toute une série d’ajustements locaux portant sur les savoirs enseignés et ceux délégués au périscolaire. Est-il vraiment question ici d’une tentative de réforme dans l’intérêt de l’enfant, ou n’avons-nous pas affaire aux prémisses d’une véritable réforme structurelle du système éducatif à venir dans le cadre de la loi de décentralisation organisant l’éclatement du service public national en unités géographiquement plus restreintes , par exemple à l’échelle des régions ? La territorialisation des politiques éducatives est devenue pour l’État depuis des décennies un objectif récurrent, un moyen privilégié de se désengager et de limiter les dépenses budgétaires. Alors que chacun sait bien que les collectivités territoriales ne disposent pas toutes des mêmes ressources, et que leurs choix différenciés du fait des configurations politiques locales et des priorités différentes contribuent au renforcement des inégalités territoriales, au risque d’un nouvel affaiblissement de l’unité du service public d’éducation nationale et du droit de tous les jeunes à une formation d’égale qualité.
1 – Notons tout d’abord l’incroyable autoritarisme dont font preuve ce gouvernement et quelques édiles socialistes décidés, envers et contre toutes les mises en garde et alertes qui se sont multipliées l’an dernier, au moment de la préparation concrète de cette rentrée (pensons à la grève massive des enseignants parisiens au printemps dernier !). Comment comprendre un tel autisme – qui plus est à quelques encablures des élections municipales – et le fossé que révèle cette coupure entre certains responsables politiques trop sensibles au lobbying des associations péri-scolaires directement intéressées par la manne financière attendue (formation d’animateurs et prestations ) et la gravité du malaise du monde éducatif ? L’urgence était à améliorer les conditions d’enseignement en diminuant les effectifs par classe, par exemple, en scolarisant les enfants à partir de l’âge de deux ans, notamment dans les quartiers populaires, ou encore à s’interroger sans a priori sur les causes réelles de l’échec dramatique de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour près d’un élève sur quatre, etc. Bref, à repenser ensemble – parents, enseignants, élus – les conditions d’une véritable redynamisation d’un système éducatif mis à mal par plusieurs décennies de politiques destructrices. Au lieu de quoi nous avons eu droit à une loi qui conforte les orientations les plus rétrogrades de la réforme Fillon de 2005, et à un décret sur les rythmes scolaires qui organise le creusement des inégalités territoriales existantes, bouleverse les équilibres de vie des parents comme des enseignants sans aucun effet positif sur les conditions d’apprentissages scolaires, et transfère sur les collectivités territoriales et les familles les coûts d’une réforme qui ne garantit même pas la qualité minimum requise des prestations éducatives promises.
On reste, du coup, tristement admiratif devant l’habileté avec laquelle on se défausse une fois de plus de la question fondamentale des apprentissages, des conditions didactiques et pédagogiques dans lesquelles les dispositifs et pratiques d’enseignement en viennent aujourd’hui à produire tant d’échecs dont pâtissent largement les enfants d’origine populaire. Entre des conditions scolaires incapables de s’attaquer véritablement aux insuffisances du système et les nouveaux rythmes, c’est à la double peine que Peillon les condamne en essayant de faire croire qu’il aura accordé la priorité au primaire.
On ne peut que s’étonner, au passage, qu’à un moment où les partisans de la réforme refusent la remise en cause du maître unique dans le premier degré, au bénéfice de maîtres mieux spécialisés dans leur discipline d’enseignement, et cela au prétexte du risque de déstabilisation des repères de l’enfant (allant jusqu’à préconiser la primarisation du collège de ce point de vue), les mêmes instaurent un système qui multiplie le nombre d’intervenants et de lieux d’activités dans le nouveau cadre horaire instauré par les nouveaux rythmes scolaires : comprenne qui pourra !
2 – L’annonce du nouvel horaire hebdomadaire des élèves ramené à 5 demi-journées au lieu des 4 imposées par l’abandon arbitraire de l’école le samedi en 2008 par le ministre Darcos pouvait laisser penser à un rétablissement du temps antérieurement consacré aux apprentissages, à un moment où l’alourdissement et la complexification des programmes scolaires nécessitent, de l’avis de tous les spécialistes, « du temps pour apprendre ». Or il n’en est rien : le temps scolaire stricto-sensu reste réduit à 24 h hebdo au lieu des 27 qui étaient de règle antérieurement. Tous les enseignants se plaignent du manque de temps dont ils disposent pour bien conduire leur enseignement et « boucler le programme ». Ainsi, on peut craindre que certains enseignements tels que la musique, les arts graphiques (dessin, peinture etc.) et l’éducation physique soient retirés des programmes scolaires pour être confiés aux collectivités territoriales en dehors du temps scolaire imposé nationalement : seul le Smic des enseignements fondamentaux relèverait de l’éducation nationale, le reste relevant des collectivités territoriales et des familles disposées à payer pour des formations non obligatoires. Mais, alors que cette nouvelle organisation ne permet en aucune manière d’améliorer les conditions d’efficacité des apprentissages, les activités péri scolaires restent, dans les faits, largement optionnelles et potentiellement payantes, par opposition à l’école obligatoire et gratuite. Est ainsi avalisé, de fait, le consumérisme à la mode sur le « moins d’école » et l’individualisation des parcours scolaires alors qu’est absente du débat la question essentielle : que fait-on pendant le temps scolaire ? Tous les spécialistes savent, en effet, que la fatigue de l’élève et tous les désagréments qu’elle entraîne (inattention, conduites perturbatrices, etc.) sont directement liés au degré d’intérêt qu’il porte aux activités qui lui sont proposées, aux conditions concrètes dans lesquelles elles sont mises en œuvre (lourdeur des effectifs qui interdit de fait tout suivi individualisé des enseignements par exemple) et, en bout de course, au sentiment de réussite ou d’échec qu’il éprouve dans le déroulement de sa scolarité. Or il est avéré qu’un élève qui se sent en situation d’échec dès ses premiers apprentissages (lecture-écriture) non seulement se « fatigue » rapidement lorsqu’il doit produire un effort cognitif en classe, mais cumule rapidement les difficultés dans un processus d’échec scolaire durable et devient perturbateur pour ses camarades de classe. Dès lors, la vraie question devient : comment faire pour que l’élève apprenne vraiment et ne s’ennuie pas en classe ? Que faire pour qu’il réussisse ? Quels temps de repos nécessaire entre deux activités ? Quelle alternance éventuelle entre des activités exigeant une forte mobilisation intellectuelle pour des apprentissages et des activités culturelles plus ludiques ; et qui doit faire quoi ? Et quelle répartition de ces activités dans l’emploi du temps global de l’élève ? À ces questions décisives, seule une vraie concertation sans préalables avec les vrais professionnels de l’éducation que sont les enseignants aurait été susceptible d’apporter des réponses satisfaisantes en termes de conduites pédagogiques à mettre en œuvre .
3 – Notons par ailleurs la confusion savamment entretenue entre rythmes scolaires (incluant de fait les activités péri -scolaires), phases de développement de l’enfant et rythmes d’apprentissage. Bien entendu, l’organisation du temps scolaire (nombre d’heures de cours dans la journée, de demi-journées mobilisées dans la semaine, durée de l’année scolaire et périodicité des vacances, équilibre entre ces divers éléments, etc.) n’est pas sans conséquences sur la disponibilité physique et intellectuelle des élèves vis-à-vis des apprentissages proprement dits. Mais la question des rythmes d’apprentissage relève d’autres paramètres propres à chaque enfant, différents selon les âges et plus difficiles à appréhender au niveau collectif (c’est précisément là une des difficultés inhérentes à toute pédagogie de groupe !). La non-différenciation de ces facteurs conduit de fait à fragiliser encore plus ce qui est déjà fragile chez les élèves les plus en difficulté, fragilisation encore accentuée du fait des modalités souvent incohérentes de mise en œuvre des activités périscolaires (déstabilisation des horaires, confusion des lieux, etc.). Insistons sur cet aspect du problème : les enfants (notamment les petits) ont besoin de stabilité et non d’une explosion des repères et des cadres comme l’induit presque automatiquement le morcellement du temps qu’impose aujourd’hui cette réforme.
4 – Pour autant, on ne saurait nier l’intérêt de développer en direction de tous les jeunes des activités prenant en compte les usages sociaux et culturels plus ou moins directement liés aux disciplines scolaires (théâtre, musique, danse, arts plastiques…) dont la pratique est aujourd’hui réservée à un nombre restreint de jeunes provenant le plus souvent de milieux sociaux favorisés, et directement pilotée par des familles sachant utiliser les structures associatives subventionnées par nombre de municipalités ou, à défaut, des associations privées. Encore faut-il que ces activités soient vraiment conçues comme étant complémentaires aux apprentissages, ce qui implique pour le moins un soin particulier à apporter à leur qualité : il ne saurait être question, par exemple, de les confondre avec de la garderie scolaire, ou avec du soutien scolaire, voire avec de l’ « aide aux devoirs », qui doivent rester de la seule responsabilité de l’école. Cette orientation implique un grand soin apporté à la formation des animateurs concernés, et une articulation intelligente des temps, des contenus et des lieux réservés à chaque activité. On remarquera au passage que la différenciation introduite dans le temps scolaire entre activités d’apprentissage et autres activités – dites périscolaires – à caractère culturel (dans le meilleur des cas !) repose sur une conception hiérarchisée et élitiste des savoirs et de la culture, et plus généralement de l’être humain tout à fait contestable. Toutes ces activités contribuent, chacune à sa manière, à la formation de l’esprit , au développement de la curiosité intellectuelle et de l’intelligence du monde qui nous entoure, et c’est à l’école publique et à ses maîtres de s’en préoccuper, si nécessaire en collaboration avec des partenaires éducatifs.
Pour conclure (provisoirement)
L’organisation des activités scolaires complémentaires aux apprentissages scolaires ne saurait être laissée à l’aléatoire des situations locales (capacités financières des municipalités, ressources culturelles) ou familiales, dont se nourrissent les inégalités sociales face à l’école.
Pour autant, il serait inconséquent de ne pas prendre en compte le potentiel enrichissant, souvent novateur, de nombre de dispositifs locaux existants – souvent depuis des décennies – tant associatifs que municipaux. Ces dispositifs sont essentiellement dédiés à des activités culturelles, mais celles-ci sont souvent isolées et ne font pas système, par défaut d’inter-organisation. Réunies et coordonnées, elles pourraient constituer la matrice d’un véritable projet culturel.
Il resterait alors à traiter la difficile question des inégalités territoriales. Celle-ci pourrait être résolue par la création d’un service public national décentralisé de proximité, cogéré par les représentants de l’Éducation nationale, des élus locaux, des associations péri-éducatives concernées reconnues d’intérêt public, et des familles. Ce service public aurait pour fonction la mise en œuvre adaptée aux conditions locales d’un cahier des charges national, aux contenus et contours éducatifs de qualité, entièrement gratuit pour les famille. Il serait co- financé par les collectivités locales et l’État, ce dernier assumant notamment une fonction égalisatrice, employant un personnel qualifié par l’obtention d’un diplôme national, et recruté dans un cadre statutaire de la fonction publique.