In Pédiablog – le 19 septembre 2013 :
Accéder au site source de notre article.
LES RYTHMES SCOLAIRES POUR LES NULS
Frédéric DELIGNE (21.01.2013) |
La rentrée 2013 remet à la page ce que l’on nomme les rythmes scolaires. Il s’agit d’essayer d’adapter au mieux les conditions d’apprentissage des élèves au tempo de leur horloge biologique. Ce sujet n’est pas nouveau et cette nécessité qui paraîtrait logique avait été démontrée depuis longtemps, dans les années 1980, par les spécialistes en la matière (1) qui ont dénommé chronobiologie les fluctuations régulières des fonctions humaines lorsque le temps s’écoule.
Que sait-on de ces rythmes biologiques chez l’enfant ?
L’espace-temps se découpe en périodes, en rythmes variables d’une espèce animale à l’autre. Le rythme le plus connu est le rythme circadien, défini par la durée d’une journée (dérivé du latin circa=presque et diem=jour) avec son alternance jour-nuit. Tout au long de ces 24 heures, notre organisme n’a pas les mêmes besoins, la même activité, les mêmes sensations. En fonction de ces facteurs variables dans le temps, une horloge interne, située dans les noyaux supra-chiasmatiques de la base du cerveau va coordonner ces rythmes biologiques.
Cette horloge va réguler les secrétions hormonales afin de respecter les besoins qui se répètent régulièrement au fil des jours sous la commande de facteurs endogènes et aussi de facteurs exogènes, facteurs qui interviennent de façon conjointe (2).
Les facteurs exogènes sont de nature socio-écologique, liés à l’environnement, telles que les alternances lumière-obscurité, repos-activité, chaud-froid, horaires des repas, alternance des saisons. Ces facteurs ne créent pas les rythmes, ils ne font que les moduler. Le rôle du sommeil est fondamental et la privation de sommeil est capable de modi?er notablement ces rythmes biologiques.
Les facteurs endogènes sont dépendants de caractères génétiques. Ils peuvent par exemple intervenir dans la régulation du cycle veille-sommeil et sont impliqués dans la typologie du sommeil (petits ou gros dormeurs, sujets du matin ou du soir) de chacun de nous.
Le rythme veille-sommeil est l’un des facteurs de régulation de ces rythmes biologiques. Toute privation de sommeil, même partielle, déclenche chez l’enfant des perturbations des apprentissages des taches complexes (créatives) mais aussi des taches habituelles si elles sont réalisées en fin de journée. On voit donc que le respect des besoins de sommeil chez l’enfant, en fonction de son âge et de sa maturité cérébrale, sont primordiaux pour sa scolarité.
Variations des performances à 3 épreuves selon l’horaire (selon Testu, 1994) |
Comment nos sociétés traitent leurs enfants à travers cet espace-temps ?
L’historique du temps scolaire permet de ne pas oublier d’où nous sommes partis.
– Le calendrier scolaire était initialement celui de Jules Ferry, promoteur de "l’école gratuite et obligatoire" (1882). L’écolier est en classe 6 heures par jour et 5 jours sur 7 (Le jeudi est consacré à l’instruction religieuse). Les grandes vacances durent 1 mois et demi, auxquelles s’ajoutent une semaine à Pâques et quelques jours fériés dans l’année. Jusqu’à la première guerre mondiale, les élèves n’ont qu’un seul mois de vacances l’été. Celles-ci vont ensuite s’allonger, tandis que d’autres périodes de repos apparaissent. Elles sont alors dictées par les calendriers religieux et agricole (les moissons et les vendanges) pour s’étaler du 15 juillet au 30 septembre.
– Fin des années cinquante : l’équilibre entre temps de travail et de repos pour l’élève est souligné par les pouvoirs publics. Une circulaire recommande en 1956 la suppression des devoirs du soir.
– Années soixante, le début des grandes vacances est fixé au 28 juin et la rentrée est avancée au 16 septembre. Les grandes vacances atteignent leur durée record (dix semaines). Ce sont "les trente glorieuses" : la croissance économique, la démocratisation et l’essor du tourisme font du calendrier scolaire un enjeu économique.
– 1969 (Edgar Faure), les cours du samedi après-midi sont supprimés et la durée des cours hebdomadaires passe donc de 30 à 27 H. Trois ans plus tard, le mercredi remplace la pause scolaire du jeudi.
– Années 1980, sous l’influence des sociologues, on commence à s’inquiéter des rythmes scolaires et de leurs répercussions. Les études scientifiques soulignent la fatigue des enfants à l’école. Un rapport du Conseil économique et social souligne que la France est le pays où la durée des grandes vacances est la plus longue avec la journée scolaire la plus chargée. En 1981 (Jacques Lang), les vacances d’été sont raccourcies de 2 semaines (passant à 2 mois), au profit des vacances de la Toussaint et d’hiver, tandis que les vacances de Pâques subsistent mais deviennent les vacances de printemps. En 1986, première tentative de rythmicité : une période de 7 semaines d’école est suivie de 2 semaines de repos (rythme 7/2). Cette tentative fera long feu, ne durant qu’une année. Les élèves fréquentent l’école durant 26 heures hebdomadaires, soit 936 heures annuelles.
– en 2008 (Xavier Darcos), malgré les avis négatifs des spécialistes, la semaine de quatre jours se met en place, avec 24 heures de cours hebdomadaires, soit 6 H. par jour (sans compter les heures de soutien)
– 2012, Vincent Peillon, nouveau Ministre de l’éducation nationale, annonce le retour de la semaine de 4 jours 1/2 et une réforme des rythmes scolaires.
Il était plus que temps que cette réforme s’engage lorsque l’on compare les chiffres français à ceux de nos voisins européens (4).
Comparaison des rythmes scolaires en Europe. Sur la dernière ligne, |
Nous sommes les seuls à avoir adopté un rythme de 4 jours de classe par semaine au cours de laquelle se cumulent 24 h. d’enseignement, soit 6 heures par jour. Chez nos voisins, les élèves répartissent un nombre d’heures moindre sur une semaine de 5 jours, permettant donc des journées plus courtes, moins denses et moins fatigantes. La durée de chaque cours est volontiers plutôt de 3/4 h. que d’une heure.
Le changement est-ce vraiment maintenant ?
Le Ministère de l’éducation nationale a débuté à la rentrée 2013 de façon progressive des réformes qui introduisent, dans les communes volontaires (environ un quart d’entre elles), des semaines scolaires de 4 jours 1/2 au lieu de 4, permettant de mieux étaler dans le temps les apprentissages sur 180 jours au lieu de 144 jusqu’à présent. Des activités péri-scolaires (sports, arts, activités culturelles) doivent être mises en place en fin de journée afin de raccourcir la durée du travail effectif quotidien et d’ouvrir l’enfant à des apprentissages variés sous une forme plus ludique (6).
Un raccourcissement à 6 semaines de la durée des vacances d’été est aussi dans les cartons du Ministère, avec une plage commune de 4 semaines (mi-juillet/mi-août) et un zonage rajoutant 2 semaines soit avant, soit après, selon les deux régions qui seront concernées. Ceci permettrait d’allonger la durée du temps scolaire de 35 à 37-38 semaines par an.
L’inertie administrative de l’usine à gaz du Ministère sera sûrement un frein moteur gênant la concrétisation des annonces du Ministre. Les crédits à trouver dans les communes concernées par la mise en place des activités péri-scolaires devront faire l’objet de choix privilégiant une classe d’âge qui n’a pas encore droit au bulletin de vote. Les activités proposées devront s’adresser en priorité aux enfants des milieux défavorisés qui risqueraient sinon de remplir ce temps vide par le désœuvrement ou la vacuité culturelle de la télévision. Les avantages acquis de certains enseignants, devant revoir leurs emplois du temps, devront être renégociés et leurs salaires revus à la hausse en fonction de ces horaires plus contraignants. L’industrie du tourisme devra s’adapter aux nouveaux calendriers scolaires. Le conservatisme de parents méfiants vis-à-vis de telles nouveautés qui leur sont édictées d’en haut devra faire appel à de la pédagogie et à l’explication des avantages de cette réforme pour leurs enfants. Ces mêmes parents devraient comprendre que l’enfant ne devrait pas être systématiquement l’otage de leurs horaires de travail, des gardes alternées, de leurs loisirs et de leur réservations vacancières.
Il faudra garder à l’esprit que finalement les décideurs concluront toujours grâce à un consensus fait pour satisfaire la majorité des citoyens et non par forcément l’intérêt de celui qui est vraiment concerné et au centre du problème. Le respect des rythmes de l’enfant risquerait alors de se transformer en un alibi destiné à justifier des changements à minima. Le débat persistera toujours, "débat dont, pour certains, les enjeux sont plus sociétaux que spéci?quement attachés à l’optimisation des rythmes scolaires, au pro?t des enfants, de leurs acquisitions et de leur bien-être à l’école" (8).
Que recommandent les experts des rythmes de l’enfant ?
– Il est primordial de respecter les besoins de sommeil de l’enfant qui évoluent tout au cours de la croissance et de tenir compte du rythme veille-sommeil propre à chacun d’entre eux (petits et gros dormeurs, enfants du matin et enfants du soir). La sieste chez le jeune enfant n’est pas un luxe ou du temps perdu, c’est une temps de repos indispensable jusqu’à l’âge de 4 à 5 ans, parfois au delà, que les responsables des classes maternelles doivent respecter et quelque soit le rythme scolaire hebdomadaire adopté. Les horaires de travail des parents, les jeux vidéos, les tablettes et les programmes télévisés ne sauraient servir de référence à l’heure de coucher des jeunes enfants. La télévision ou les tablettes de jeu n’ont pas leur place dans la chambre d’un enfant si l’on veut encourager un endormissement calme et serein. Les horaires de coucher et de lever réguliers sont plus profitables au respect des rythmes physiologiques. Les levers trop tardifs en dehors des périodes scolaires seraient par contre néfastes sur le long terme.
Pour la classe d’âge des adolescents, le début des cours devrait être retardé vers 9 H. L’adoption dans cette classe d’âge d’horaires de sommeil très décalés durant les weekend ne fait que favoriser les difficultés d’endormissement et la tendance à la somnolence diurne.
– Il serait également bon que certains parents, soucieux de ne rien rater pour leurs enfants ne leur imposent pas des semaines "marathon", cumulant plusieurs activités artistiques et/ou sportives avec parfois les mêmes enjeux d’évaluation et de compétition que le système scolaire qu’ils critiquent. Les temps de jeux sont aussi nécessaires que les récréations. Les temps libres de rêverie et de créativité de l’enfant ne sont pas des trous ou des blancs à combler systématiquement. Il sont là pour lui permettre de développer sa vie imaginaire et sa maturité psychique.
Ces réformes ne résoudront cependant pas, d’un coup de baguette magique, la trop forte proportion d’échecs de notre système scolaire actuel (10,4 % des jeunes de 17 ans sont en difficulté de lecture et 4,8 % en grande difficulté (11) 150.000 jeunes sortent du système éducatif sans diplôme chaque année).
Le principe de la seule valorisation de l’excellence et de la réussite scolaire à tout prix est un écueil franco-français (système des notations aboutissant à un classement des élèves, punitions inappropriées, programmes surchargés, collège unique pour des élèves aux capacités diverses et multiples, filière professionnelle souvent perçue comme une option par défaut pour des élèves jugés incapables de suivre la noble voie du général, quota de plus de 80% de bacheliers à obtenir à tout prix aboutissant à dévaloriser totalement cet examen). Les ruptures trop brutales entre la maternelle et le CP puis à l’entrée du secondaire, entre CM2 et la sixième sont déstabilisantes pour l’enfant.
Dominique LE HOUEZEC
(3).TESTU F. Quelques constantes dans les ?uctuations journalières et hebdomadaires de l’activité intellectuelle des élèves en Europe. Enfance 1994b, 4 : 389-400
(5) CHARBONNIER E. L’année scolaire dans le primaire est-elle trop chargée en France ? 16 oct 2011
(6) De nouveaux rythmes scolaires à l’école primaire. Ministère de l’éducation nationale
(7 ) TOUITOU Y. BEGUE P. Aménagement du temps scolaire et santé de l’enfant. Bull Acad Natle. Med. 2010; 194, 1 : 107-122
(9) TOUITOU Y. A propos des rythmes de vie chez l’enfant. Arch. Pediat. 1999, 6, 289-291.