PREFACE
Pouvez-vous imaginer un ouvrage sur un sujet aussi complexe, polémique ,politique « redouté » par la plupart des responsables du système éducatif sur « la souffrance d’enseigner » qui réussisse le pari insensé de présenter de façon claire et oecuménique l’ensemble du spectre de cette problématique -en passe de devenir un problème de société- du constat clinique aux solutions pratiques en passant par les analyses psycho-sociales et de gestion des ressources humaines ?
La réponse est là sous vos yeux oui, trois fois oui . Le faisceau de raisons qui structure cette approbation et le grand intérêt de cet ouvrage reposent d’abord sur le croisement et la « fertilisation croisée » de deux regards, deux expériences , deux compétences mais aussi sur le parti pris de concevoir cet ouvrage comme un véritable guide qui mène le lecteur à partir de situations vécues au quotidien à comprendre ce qui les composent et ensuite le conduit par l’offre d’un vaste panel d’outils soit à une lucidité plus grande sur la difficulté d’enseigner et à la mise en œuvre des pratiques de prévention soit à s’engager plus avant dans une reconversion réfléchie et construite.
Pour comprendre cette réussite et cette singularité de conception de cet « OVNI » dans la littérature de l’éducation il faut se reporter aux profils des deux auteurs :
Rémi Boyer enseignant d’ une ténacité peu commune ,animé par une volonté sans failles pour porter aide et soutien aux enseignants en souffrance et porter à la connaissances des responsables du système éducatif les carences d’organisation que ce soit dans le domaine de la santé et de la prévention ou celui de la gestion des ressources humaines .A noter qu’aujourd’hui les résultats de cette activité bénévole se trouvent concrétisés par la pérennité et le succès de son association « Aide aux Profs » et par la reconnaissance des institutions et organisations éducatives .
José Mario Horenstein médecin psychiatre de la Mgen porteur d’une conception humaniste et psycho-sociale de l’aide aux difficultés d’enseigner qui l’a amené à concevoir son métier comme un engagement au service du collectif et des valeurs d’échanges mutuels et de solidarité mais aussi comme une profession qui ne peut se justifier sans une être irriguée en permanence par la recherche-action .Cette volonté l’a amené à produire loin de la « nomenklatura » médicale des études pointues sur les souffrances des personnels de l’éducation nationale et la qualité de vie au travail dans les établissements.
Afin de guider le lecteur dans cette « Encyclopédie pratique » il est possible de dégager plusieurs points forts et structurant de ce travail. Le premier est un point fondamental qui tord le cou, peut-être définitivement, à une image caricaturale et erronée de la santé des enseignants .Non cette profession n’est pas plus sujette aux problèmes de santé mentale que les autres professions .Toutes les études ici rappelées le démontrent .Et globalement pour clore le sujet il est rappelé « qu’il n’y a pas de psychopathologie propre au travail excepté le « Burn-out, le mobbing et le stress ».Le second qui pourrait s’apparenter à une lapalissade mais qui malheureusement est encore loin de l’être « Tous les enseignants ne sont pas préparés psychologiquement et assez tôt à toutes les exigences et aléas de ce métier qui s’apprend avant tout sur le terrain .L’école aggrave un terrain psychologique existant en le diversifiant ».Le troisième met en évidence l’importance de la formation et de la médiatisation dans l’émergence de ces troubles et montre que c’est la représentation d’un métier de souffrance et d’impuissance qui est la plus à risque du Burn-out et celle d’un métier de relations et à facettes variées qui est la plus protectrice.
Posés ces repères ,les auteurs nous font découvrir une étape essentielle et pourtant totalement méconnue de la plupart des aspirants enseignants :les stratégies d’anticipation pour éviter de se tromper dans un choix qui conditionne non seulement une vie professionnelle mais aussi une vie personnelle .Pour ce faire ce guide propose un outil simple et efficace :une grille d’auto-évaluation concernant les motivations et une série de conseils ayant prouvé sur le terrain leur efficacité dont celui de l’avantage que procure une diversification de ses expériences professionnelles avant le passage du concours. Activités qui se révèlent d’excellents facteurs d’adaptation au métier d’enseignant et que les corps d’inspection constatent régulièrement.
Un autre grand mérite de cet ouvrage est d’insister fortement en l’illustrant de nombreux témoignages sur le fait que rien dans le métier d’enseignant ne peut être tenu pour acquis quel que soit le nombre d’années d’enseignement .Cette situation est totalement consubstantielle à l’exercice du métier .Face à cette réalité apparaît très clairement -ce que chaque acteur de terrain du système éducatif constate régulièrement mais qui est ici pris sur « le vif » et à travers des situations de souffrance -une gestion des ressources humaines de l’éducation nationale défaillante et inadaptée.
Enfin loin d’épuiser toutes les pistes ouvertes par cet ouvrage il me semble utile de relever un phénomène méconnu (si ce n’est occulté par certains responsables du système éducatif ) qui confine à « l’omerta « dans certains les établissements scolaires : « le manque d’acceptation du collectif source d’isolement et parfois d’agressions ».Deux enquêtes récentes(1) montrent que ce phénomène est loin d’être négligeable :14% des personnels enseignants du 1er degré et 17% des directeurs d’école se déclarent harcelés ;près de 40% de ces harcèlement sont le fait de collègues ; 14% estiment avoir subi une mise à l’écart de la part d’au moins une partie des membres du personnel. A noter aussi que plus de 12% des chefs d’établissement se déclarent « harcelés »en majorité (55,4) par les personnels de l’établissement et pour des raisons professionnelles.
Face à ce constat général Rémi Boyer et José Mario Horenstein ont le grand mérite,-car les controverses « idéologiques »sur ce sujet sont nombreuses -de prendre le risque de nous présenter un très vaste choix de moyens de traitement et de prévention .Pour ma part loin des récentes querelles « psychologiques et psychanalytiques » sur ce domaine je relèverai celui de la reconversion professionnelle. D’une part parce qu’elle est symptomatique de l’impuissance et de la courte vue des décideurs responsables du système éducatif ;D’autre part et pour certains enseignants elle apparaît comme l’unique voie de salut pour partir à la reconquête et de l’estime de soi. A ce sujet n’est-il pas temps de faire savoir « urbi et orbi » que ce souhait et/ou cette volonté de reconversion sont ,contrairement à une idée assez répandue dans certains milieux politico-administratif , très importante ; près de 30% des enseignants pensent souvent quitter leur travail( 2) ;33% des professeurs (des écoles et du second degré) ont le projet de cesser d’enseigner de façon temporaire ou définitive à échéance moyenne de neuf année.73% des enseignants du 1er degré considèrent comme « Très intéressant/Intéressant » la possibilité d’une seconde carrière dans l’administration ( 3) ;près de 30% des professeurs d’EPS répondent qu’ « une bivalence choisie en cours de carrière » « est une mesure importante » pour améliorer leur métier(4).
Cette vision « tubulaire » rigide et hermétique du métier d’enseignant -que de plus en plus de collègues perçoivent comme une véritable « nasse » -apparait comme un des éléments majeurs à changer pour d’une part prévenir et gérer le « mal être » d’enseigner et d’autre part comme un frein important à l’attrait du métier pour les jeunes générations nettement plus mobiles dans leur vie professionnelle que leurs aînés
Pour conclure Rémi Boyer et José Mario Horenstein nous délivrent ici le fruit de leurs expériences et de leurs pratiques professionnelles ; pour l’un constamment à l’écoute, recueillant et conseillant depuis une décennie plus de 6000 collègues avec son association « Aide aux profs » ; pour l’autre nous apportant son recul scientifique et une expertise unique acquise auprès de plus de 10000 personnels de l’éducation nationale ayant sollicité son aide. Ils ouvrent des chantiers « colossaux » en sachant sûrement que ce dossier est considéré comme un des plus explosifs par les responsables politiques de l’éducation nationale et de la fonction publique .Un ministre ,naguère ,n’est-il pas allé jusqu’à reprendre une information journalistique erronée pour essayer de jeter le discrédit sur un travail, pourtant réalisé avec ses services, et qui portait sur la qualité de vie au travail dans les Lycées et Collèges !
Les temps changent et l’espoir est de nouveau permis .Le ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon ne vient-il pas de déclarer « Il existe un malaise diffus chez les professeurs qui s’interrogent sur le sens de leur métier et sur le cadre dans lequel ils l’exercent ;ils ne se sentent plus soutenus voire respectés ».Ne vient-il pas d’ouvrir le grand chantier sur la redéfinition du métier d’enseignant ,attendu depuis des décennies, et dont dépend fortement l’avenir de notre système éducatif.
Que ce guide lui soit utile comme aux 13 groupes de travail et comme à tous les enseignants
Georges Fotinos
Chercheur/Docteur ès géographie
Ex Enseignant (1er et 2em degré ) et Inspecteur (Lycée ,Collège)
Ancien Conseiller du Président de la Mgen
(1)-Violences et climat scolaire dans les établissements du second degré ; Eric Debarbieux et Georges Fotinos ;Observatoire International de la Violence à l’école CASDEN(2011).
– L’école entre bonheur et ras-le-bol ; Enquête de victimation et climat scolaire auprès des personnels de l’école maternelle et élémentaire ;Eric Debarbieux et Georges Fotinos ;Observatoire International de la Violence à l’Ecole-UPEC (2012)
(2)-La qualité de vie au travail dans les lycée et collèges ;Le » burn-out »des enseignants Georges Fotinos et José Mario Horenstein ;CASDEN (2011)
(3)-Portrait des enseignants du 1er degré .Dossier 167 septembre 2005. DEPP/MEN.
(4)-Etre professeur d’éducation physique et sportive en 2009 .Dossier 195 février 2010 DEPP/MEN