In Libération – le 3 octobre 2013 :
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Pour Jean-Michel Barreau, auteur du «Dictionnaire des inégalités scolaires», l’école a encore une longue route à parcourir vers l’égalité.
> Jean-Michel Barreau sera présent au Forum «A bas la crise !» organisé par Libération le 19 octobre à Paris. Entrée libre, plus d’informations ici.
Il y aura innovation sociale réelle quand la République interviendra concrètement sur ce que l’on pourrait nommer «l’égalité des malchances» dans son école. C’est-à-dire ces conditions sociales pénalisantes qui pèsent de façon relativement «égale» – si l’on peut s’exprimer ainsi – sur les milieux sociaux les plus défavorisés, garçons et filles confondus. Et qui préfigurent assez mal de leur réussite scolaire. Où, pour le dire autrement, qui préfigurent assez bien de leur malchance à réussir à égalité avec d’autres, plus protégés dans ce domaine.
Certes, notre école républicaine n’en est plus à la préhistoire de ses inégalités socialo-scolaires. Quand, sous la troisième République, «école du peuple» et «école de la bourgeoisie» étaient séparées en deux mondes parallèles et étanches qui fixaient les destins de ses enfants en les plaçant sur des rails aussi divergents que ceux des métiers pour les uns et de la notabilité pour les autres. Avec ses 1% d’une classe d’âge qui obtenaient le baccalauréat en 1880, pour n’atteindre que 2,6% dans les années 30, tout était dit de l’absence de la répartition sociale des diplômes scolaires et universitaires. Dans cette maigre pitance de justice scolaire, les filles étaient touchées de plein fouet. En 1900, on ne comptait que 624 étudiantes dans les universités françaises.
De même, l’école de la cinquième République n’en est plus à relever ses inégalités scolaires avec des chiffres dont on supporterait mal l’outrance aujourd’hui. Dans les années 60, Pierre Bourdieu relevait magistralement à quel point les malchances frappaient ceux qui n’étaient pas les «héritiers» de la culture scolaire de l’époque : «un enfant de cadre supérieur a 80 fois plus de chances d’entrer à l’université qu’un fils de salarié agricole et 40 fois plus qu’un fils d’ouvrier et ses chances sont encore deux fois supérieures à celles d’un cadre moyen». De prolongation obligatoire à 16 ans, en création du collège unique en 1975, puis de Zones d’Education prioritaire en 1981 en loi d’Orientation en 1989, la cinquième République gaullienne, giscardienne et mitterrandienne a incontestablement démocratisé l’école et travaillé sur ses inégalités scolaires.
Mais, à défaut d’être aussi brutales, les inégalités scolaires dans la France des années 1990-2000 sont encore puissantes. Dans les classes de 6ème, 16% des élèves sont enfants de cadres supérieurs et 56% ont des parents ouvriers inactifs ou employés. A bac+5, les premiers représentent 42% des diplômes et les seconds 24%. Au collège, 84% des élèves des sections pour jeunes en difficulté sont issus de classes sociales défavorisées. Dans les classes préparatoires, la composition par sexe et par catégorie sociale n’a quasiment pas évolué depuis dix ans et la représentation des catégories populaires y est particulièrement faible. A l’ENA, les enfants d’ouvriers sont huit fois moins représentés que les enfants de cadres et de professions intellectuelles supérieures. Quant aux filles, alors qu’elles représentent 58% des étudiants à l’université, elles constituent 75% des étudiants en Lettres et Sciences humaines et sont moins de 30% dans le domaine des sciences fondamentales.
La République a toujours proclamé avec fierté son désir d’égalité au fronton de ses écoles. Au XXIème siècle, l’innovation sociale passera par une comptabilité précise de ses victoires, et de ses actuelles défaites, sur ses inégalités scolaires. Afin que l’on puisse passer du principe de plaisir de la proclamation d’égalité, au principe de réalité de sa concrétisation
> Venez débattre de l’égalité à l’école avec Jean-Michel Barreau le 19 octobre à 18h15, à l’occasion du Forum «A bas la crise !» organisé par Libération à Paris. Entrée libre, plus d’informations ici.