PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Veille & Analyse TICE – le 13 octobre 2013 :

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Parler d’éducation, ce n’est pas seulement parler de l’école. La confusion entre le monde de l’éducation et le monde de l’enseignement est souvent un moyen de ne pas poser les questions importantes. Tantôt le monde scolaire rejette à l’éducation les problèmes. Tantôt on renvoie au monde de l’enseignement le devoir de tout résoudre, éducation comprise. Avec l’informatique, puis le numérique, le problème est identique : l’école devrait former au et par le numérique. On s’aperçoit aussi que c’est l’éducation aux médias qu’il faudrait faire tout en observant que c’est l’éducation familiale qui serait défaillante ou en cause. En d’autres termes la confusion entre enseignement et éducation doit être combattue si l’on veut agir avec efficacité. C’est en particulier le cas si l’on veut dépasser le mythe des miracles éducatifs (scolaires ?) que le numérique pourrait amener.

Relire Seymour Papert est toujours intéressant pour identifier ce mythe, tant il l’a porté dans ses différents ouvrages. Interroger certains propos de Michel Serres renverrait rapidement aussi à ce mythe, même si chez lui il introduit d’autres dimensions. Relire Pierre Lévy pourrait aussi amener à parcourir aussi les éléments constitutifs de ce mythe. Le miracle du numérique éducatif (scolaire en l’occurrence) a aussi traversé les propos de Jean Michel Fourgous et de certains de ses collaborateurs. Sans entrer dans le débat de la pertinence d’une approche technophile ou technophobe, ce sont les mécanismes à l’oeuvre qui demandent à être interrogés, mais aussi les changements produits par le numérique dans les multiples sphères de l’éducation.

L’exemple le plus illustratif des mécanismes qui oeuvrent derrière ces questions est celui du rapport de l’académie des sciences “l’enfant et les écrans”. Ce rapport montre bien que l’articulation éducation familiale et le vécu scolaire s’articulent pour former une culture de l’écran. Mais il met aussi en évidence que l’espace éducatif familial est déterminant dans ce travail. Reste cependant la question des adultes. Elle est rarement posée telle quelle et pourtant on sait combien elle est importante pour les deux autres dimensions de l’acte éducatif. Car ce sont les adultes qui donnent forme à l’éducation. Après l’avoir écrit à plusieurs reprise, il faut réaffirmer l’importance de la posture d’adulte, son évolution, dans la place donnée au numérique. Beaucoup d’entre eux considèrent que le phénomène numérique leur est extérieur. Ils l’expriment en disant qu’ils pensent ne rien pouvoir y faire, renvoyant à la société (entité mal définie) la responsabilité de ces évolutions. Entre miracle et irresponsabilité, les adultes ont bien du mal avec cette évolution.

La récente étude PIAAC publiée par l’OCDE confirme l’importance de l’attention à porter au monde adulte en matière d’éducation et de développement du numérique. En entrant dans la problématique de l’éducation par les adultes, et par l’internalisation du problème, on renverse les schémas habituels. Les propos sur les générations nouvelles (X, Y, Z ou C), les déplorations sur l’éducation familiale, les critiques du système scolaire sont tous des discours qui externalisent le problème et tendent à renvoyer le questionnement à des instances extérieures, magiques voire imaginaires. A cela s’ajoute un discours sur l’inéluctabilité des évolutions techniques, leur rapidité de renouvellement, sans compter le poids d’une économie marchande et libérale, qui lui aussi externalise le problème. Parler de miracle éducatif en lien avec le numérique relève aussi de cette externalisation de questions qui sont d’abord internes.

Internaliser la question de l’éducation dans un contexte numérique suppose d’abord que chacun s’interroge sur son rapport personnel avec les objets du numérique. Cette interrogation vise à faire émerger ce que chacun met en jeu sur un plan psychologique, social et professionnel dans les usages qu’il fait de ces moyens. Bien évidemment le déni est souvent la première manière de faire, tant nous avons développé un discours convenu sur ces questions et que nous avons souvent des attitudes personnelles un peu éloignées. Une fois que cette mise au jour est effectuée, il y a le projet d’action ou plutôt l’expression du sens de l’action et des modalités de mise en oeuvre. Quels choix fait-on en tant qu’adulte dans la place que l’on donne aux objets numériques ? A partir de là entre en jeu la relation aux autres. Dans cette relation aux autres, il y a ce que l’on montre de soi, il ya ce que l’on dit de soi et il y a ce que l’on fait en direction des autres. Avec le numérique, la visibilité de ces attitudes est amplifiée et dépasse les limites habituelles. L’exposition de soi ne dépend pas que de la volonté de l’individu mais aussi de la lecture que les autres peuvent faire des traces (actions explicites) laissées en ligne et au delà. Dans la relation aux autres, il y a la capacité à se métisser dans l’interaction avec l’autre. L’éducation ce n’est pas la que transmission, ça ne s’y réduit pas. L’éducation c’est d’abord du métissage. Pourquoi ? Parce que les contextes évoluent, la technique nous l’impose (souvenons nous que récemment encore, l’hygiène domestique était loin de ce qu’elle est devenue, que les moyens de soin hospitaliers ont fortement évolué, que les moyens d’information et de communication ont largement changé). C’est du métissage aussi parce que si l’adulte accepte le dialogue alors il entre dans le partage. Or le coeur de l’éducation c’est le partage.

L’école est fondée sur un partage externe codifié, pas un partage intime comme l’est la relation éducative parentale par exemple. Dès lors que le numérique intervient aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère publique, il crée un pont qui pose problème. Comment accepter que les deux modalités se rejoignent alors que le monde scolaire ne change que très peu, fondamentalement ? De même nombre d’adultes sont pris dans la même difficulté. Assurés qu’ils sont devenus de par leur expérience ils imaginent difficilement de nouveaux métissages dont certains peuvent être des remises en cause importantes.
On le voit le numérique ne permet de miracles éducatifs, bien au contraire. Du coup on peut comprendre la difficulté du monde scolaire à prendre en compte les effets du numérique sur les comportements sociaux quotidiens. Le risque, pour le monde scolaire, est de constater au moins son incompréhension au mieux de tenter d’imaginer un miracle avec le numérique. Nombreux sont ceux qui  l’y poussent. Mais se fier uniquement au numérique, c’est oublier l’humain, c’est à dire la relation que chaque acteur de l’éducation entretient avec cet univers. On l’a vu ce n’est pas aussi évident que certains peuvent le croire. Les livres de recettes ne sont pas faits pour l’éducation, même avec le numérique.

A suivre et à débattre

BD

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Parler d’éducation, ce n’est pas seulement parler de l’école. La confusion entre le monde de l’éducation et le monde de l’enseignement est souvent un moyen de ne pas poser les questions importantes. Tantôt le monde scolaire rejette à l’éducation les problèmes. Tantôt on renvoie au monde de l’enseignement le devoir de tout résoudre, éducation comprise. Avec l’informatique, puis le numérique, le problème est identique : l’école devrait former au et par le numérique. On s’aperçoit aussi que c’est l’éducation aux médias qu’il faudrait faire tout en observant que c’est l’éducation familiale qui serait défaillante ou en cause. En d’autres termes la confusion entre enseignement et éducation doit être combattue si l’on veut agir avec efficacité. C’est en particulier le cas si l’on veut dépasser le mythe des miracles éducatifs (scolaires ?) que le numérique pourrait amener.

Relire Seymour Papert est toujours intéressant pour identifier ce mythe, tant il l’a porté dans ses différents ouvrages. Interroger certains propos de Michel Serres renverrait rapidement aussi à ce mythe, même si chez lui il introduit d’autres dimensions. Relire Pierre Lévy pourrait aussi amener à parcourir aussi les éléments constitutifs de ce mythe. Le miracle du numérique éducatif (scolaire en l’occurrence) a aussi traversé les propos de Jean Michel Fourgous et de certains de ses collaborateurs. Sans entrer dans le débat de la pertinence d’une approche technophile ou technophobe, ce sont les mécanismes à l’oeuvre qui demandent à être interrogés, mais aussi les changements produits par le numérique dans les multiples sphères de l’éducation.

L’exemple le plus illustratif des mécanismes qui oeuvrent derrière ces questions est celui du rapport de l’académie des sciences “l’enfant et les écrans”. Ce rapport montre bien que l’articulation éducation familiale et le vécu scolaire s’articulent pour former une culture de l’écran. Mais il met aussi en évidence que l’espace éducatif familial est déterminant dans ce travail. Reste cependant la question des adultes. Elle est rarement posée telle quelle et pourtant on sait combien elle est importante pour les deux autres dimensions de l’acte éducatif. Car ce sont les adultes qui donnent forme à l’éducation. Après l’avoir écrit à plusieurs reprise, il faut réaffirmer l’importance de la posture d’adulte, son évolution, dans la place donnée au numérique. Beaucoup d’entre eux considèrent que le phénomène numérique leur est extérieur. Ils l’expriment en disant qu’ils pensent ne rien pouvoir y faire, renvoyant à la société (entité mal définie) la responsabilité de ces évolutions. Entre miracle et irresponsabilité, les adultes ont bien du mal avec cette évolution.

La récente étude PIAAC publiée par l’OCDE confirme l’importance de l’attention à porter au monde adulte en matière d’éducation et de développement du numérique. En entrant dans la problématique de l’éducation par les adultes, et par l’internalisation du problème, on renverse les schémas habituels. Les propos sur les générations nouvelles (X, Y, Z ou C), les déplorations sur l’éducation familiale, les critiques du système scolaire sont tous des discours qui externalisent le problème et tendent à renvoyer le questionnement à des instances extérieures, magiques voire imaginaires. A cela s’ajoute un discours sur l’inéluctabilité des évolutions techniques, leur rapidité de renouvellement, sans compter le poids d’une économie marchande et libérale, qui lui aussi externalise le problème. Parler de miracle éducatif en lien avec le numérique relève aussi de cette externalisation de questions qui sont d’abord internes.

Internaliser la question de l’éducation dans un contexte numérique suppose d’abord que chacun s’interroge sur son rapport personnel avec les objets du numérique. Cette interrogation vise à faire émerger ce que chacun met en jeu sur un plan psychologique, social et professionnel dans les usages qu’il fait de ces moyens. Bien évidemment le déni est souvent la première manière de faire, tant nous avons développé un discours convenu sur ces questions et que nous avons souvent des attitudes personnelles un peu éloignées. Une fois que cette mise au jour est effectuée, il y a le projet d’action ou plutôt l’expression du sens de l’action et des modalités de mise en oeuvre. Quels choix fait-on en tant qu’adulte dans la place que l’on donne aux objets numériques ? A partir de là entre en jeu la relation aux autres. Dans cette relation aux autres, il y a ce que l’on montre de soi, il ya ce que l’on dit de soi et il y a ce que l’on fait en direction des autres. Avec le numérique, la visibilité de ces attitudes est amplifiée et dépasse les limites habituelles. L’exposition de soi ne dépend pas que de la volonté de l’individu mais aussi de la lecture que les autres peuvent faire des traces (actions explicites) laissées en ligne et au delà. Dans la relation aux autres, il y a la capacité à se métisser dans l’interaction avec l’autre. L’éducation ce n’est pas la que transmission, ça ne s’y réduit pas. L’éducation c’est d’abord du métissage. Pourquoi ? Parce que les contextes évoluent, la technique nous l’impose (souvenons nous que récemment encore, l’hygiène domestique était loin de ce qu’elle est devenue, que les moyens de soin hospitaliers ont fortement évolué, que les moyens d’information et de communication ont largement changé). C’est du métissage aussi parce que si l’adulte accepte le dialogue alors il entre dans le partage. Or le coeur de l’éducation c’est le partage.

L’école est fondée sur un partage externe codifié, pas un partage intime comme l’est la relation éducative parentale par exemple. Dès lors que le numérique intervient aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère publique, il crée un pont qui pose problème. Comment accepter que les deux modalités se rejoignent alors que le monde scolaire ne change que très peu, fondamentalement ? De même nombre d’adultes sont pris dans la même difficulté. Assurés qu’ils sont devenus de par leur expérience ils imaginent difficilement de nouveaux métissages dont certains peuvent être des remises en cause importantes.
On le voit le numérique ne permet de miracles éducatifs, bien au contraire. Du coup on peut comprendre la difficulté du monde scolaire à prendre en compte les effets du numérique sur les comportements sociaux quotidiens. Le risque, pour le monde scolaire, est de constater au moins son incompréhension au mieux de tenter d’imaginer un miracle avec le numérique. Nombreux sont ceux qui  l’y poussent. Mais se fier uniquement au numérique, c’est oublier l’humain, c’est à dire la relation que chaque acteur de l’éducation entretient avec cet univers. On l’a vu ce n’est pas aussi évident que certains peuvent le croire. Les livres de recettes ne sont pas faits pour l’éducation, même avec le numérique.

A suivre et à débattre

BD

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