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Fatigués, en souffrance et frustrés : les animateurs, coordinateurs, directeurs de centre de loisirs ou d’ALAE accusent le coup de la réforme. Ils dénoncent surtout le manque de place fait à l’animation et à l’éducation populaire par les nouveaux rythmes.
« Chez nous, la réforme met en lumière le fait que l’éducation n’est pas une priorité pour les élus : je n’ai ni budget, ni encadrants supplémentaires et les activités mises en place relèvent du bon vouloir des animateurs », déplore une encadrante de Haute-Garonne, qui préfère l’anonymat. Et pourtant, les ateliers proposés ne désemplissent pas. « Les enfants sont contents qu’on s’occupe d’eux, que les activités soient variées ».
Car tout n’est pas si noir : « C’est un gros dispositif, très compliqué. On voit bien qu’on essuie les plâtres. A la première session, les enfants étaient perplexes. Mais quatre semaines après la rentrée, les idées fusent, les enfants ont des tas d’envies! », sourit Jean-François Cauche, qui intervient en tant que prestataire dans un atelier d’initiation ludique à l’électronique à Roubaix.
Avec les enfants, il détourne des objets pour en tirer des sonorités (toy-bending) ou transforme des pommes en interface pour ordinateur (grâce à une carte makey-makey). Et constate que les filles s’y intéressent bien plus que les préjugés ne le laissent penser. Par le jeu donc, sa pratique, comme celles de nombreux animateurs, atteint un but que les cours n’ont pas.
De réels problèmes d’organisation – Récrés oubliées, problèmes de locaux, d’orientation des enfants…, les difficultés sont cependant réelles, indéniables. « Le passage des enfants d’un temps à un autre est chronophage, les petits manquent de repères. Nous avons un peu l’impression de nous “repasser” les enfants, d’un temps à l’autre. En outre, rien n’est clair sur la responsabilité et la sécurité des enfants : que se passe-t-il s’il arrive un accident à un enfant qui est en TAP, sans y avoir été inscrit? », interroge Marianne Albert, coordinatrice Enfance jeunesse à Aimailloux.
A dire vrai, les principaux « déboussolés » dans certaines villes, ce sont plutôt les parents, qui ne distinguent pas les « temps d’accueil périscolaire » des « APC » ou des activités traditionnellement mises en place, et inscrivent leurs enfants partout. « Nous gérons les sorties et c’est l’enfer : il y a 180 enfants à orienter et chaque parent qui vous demande où va son enfant! », illustre l’encadrante de Haute-Garonne. Mais ces difficultés font l’objet d’ajustements en permanence.
Des choix horaires qui oublient les enfants – Des « temps d’activité périscolaire » de 45mn, placés tous les jours, entre 15 et 16h, sont-ils adaptés aux rythmes de l’enfant ? Choisi par 72% des communes dotées d’un projet éducatif territorial, cet horaire correspond souvent à la volonté des enseignants de finir tôt.
« Du coup, les enseignants réveillent les plus petits de leur sieste, ce qui les fatigue. Ce rythme est contraire à la chronobiologie des enfants », relève une encadrante en Ariège, qui constate aussi les effets délétères d’un décalage de 15 mn pour les cours du matin : « déposés tôt à l’accueil du matin, certains enfants doivent attendre 5 heures pour manger le midi ! ».
Motivés par la réforme, voilà donc les animateurs rendus amers par les choix qui président à son application : « Nous sommes déçus, car l’application de la réforme s’est éloignée de l’intérêt de l’enfant. Pour la première fois, la place des collectivités dans l’école était reconnue, au travers du PEDT, on avait l’opportunité de travailler ensemble, mais curieusement, nous avons abouti à l’inverse », déplore l’ariégeoise.
Un impact non négligeable sur les animateurs – « Nous avons réfléchi au sens de la réforme pour proposer des activités apaisantes, des jeux du théâtre. Mais les ateliers sont facultatifs et il y a beaucoup d’absentéisme, surtout en maternelle : c’est difficile à gérer pour les animateurs, qui ont la culture du projet et ne souhaitent pas faire de “l’occupationnel”, même si des sessions de 45mn laissent peu le temps de monter des projets », constate un encadrant limousin, qui préfère garder l’anonymat.
Souvent grignoté par le passage des enfants de la classe au TAP ou de la récré au TAP, ce laps de temps de 45mn en perturbe plus d’un. « Nous sommes titulaires de BPJEPS, de DEFA et, au final, on anime des récrés… c’est une dévalorisation de notre métier. Sans compter que le personnel municipal qui est envoyé en renfort, n’est pas formé, et s’inscrit, quant à lui, dans une pratique de garderie », poursuit l’intervenant limousin.
Sans compter, encore, qu’en milieu rural, mutualisation oblige, les animateurs passent leur temps à rallier un site à un autre en voiture. « Résultat : le temps dédié à la préparation des ateliers est en fait consumé sur les routes».
A Aimailloux, Marianne Albert interroge la place laissée aux animateurs par les enseignants : « Au début, cela me plaisait, cette idée d’avoir une place, nous, les animateurs, dans l’éducation des enfants. Mais on doit se caler sur le projet d’école, on se demande bien quelle est la place réelle de l’éducation populaire. On a l’impression de jouer les bouche-trous de l’Education nationale : les heures de cours ont baissé, mais pas les heures de présence des enfants à l’école ».
Espoir – A quoi ressemblerait alors la « réforme rêvée des animateurs ? » Du Nord au Limousin, la réponse est identique : « de plus petits groupes d’enfants, bien sûr. Mais, surtout une intégration complète au cursus scolaire, du dialogue avec les enseignants et une salle, un laboratoire où stocker le matériel », énumère Jean-François Cauche. Et son collègue limousin d’expliciter : « La réforme offre une vraie opportunité pour que le monde de l’Education nationale et celui de l’Education populaire se rencontrent. C’est important que les familles comprennent qu’on peut apprendre autrement qu’en classe ».