In Cairn.info :

Accéder au site source de notre article.

Depuis la loi de 1975 en faveur des personnes handicapées, un ensemble de textes législatifs a défini un véritable droit des jeunes à être scolarisés en milieu ordinaire. Ainsi tous les élèves qui vivent sur le territoire national devraient-ils pouvoir fréquenter l’école de leur quartier au mieux de leurs possibilités. La loi du 11 février 2005 en souligne encore le bien-fondé. Mais les limites qui l’accompagnent laissent craindre une mise en application encore limitée. De nombreux auteurs ont déjà tiré les sonnettes d’alarme : « des dizaines de milliers d’enfants handicapés ou en grandes difficultés sont actuellement peu scolarisés, mal scolarisés ou pas scolarisés du tout ! » (Bonjour, Lapeyre, 2004). Si les données statistiques disponibles en ce domaine présentent toutes un caractère incertain[1] [1] Le recensement et le suivi du nombre d’élèves handicapés…
suite, elles montrent l’existence de nombreux exclus du système médico-socio-pédagogique. Depuis une décennie, ces chiffres tendent cependant à diminuer. Le rapport igen-igas (1999) indique par exemple : « au cours des cinq dernières années, dans les départements ayant cherché à développer l’intégration scolaire, l’accroissement du nombre d’enfants correctement intégrés dans le premier degré peut être évalué entre 10 et 30 %, alors que dans le second degré, ce même accroissement peut être évalué entre 15 et 20 % ». Ces avancées ne peuvent faire oublier que l’intégration scolaire reste parcellaire et que les résultats des évaluations de compétences de l’ensemble des élèves[2] [2] Résultats de l’évaluation pisa 2003 (Programme pour…
suite tendent à remettre en cause l’organisation traditionnelle française. Notre système mixte, qui fait coexister éducation spécialisée séparée et/ou intégration, apparaît pour beaucoup peu satisfaisant. Il entretient dans l’imaginaire collectif l’existence de deux mondes : l’un « marginal » réservé aux élèves qui s’écartent de la norme, l’autre « normal » conçu pour tous les autres. Cet univers éducatif historiquement clivé s’accommode de passerelles permettant à un petit nombre d’intégrer le système ordinaire, ou au contraire de le quitter presque incognito.

2 Enseignante spécialisée durant plus de vingt ans[3] [3] En centre de rééducation de l’ouïe et de la parole,…
suite, proviseure adjointe en lycée professionnel et chercheure en sciences de l’éducation, mon expérience dans le domaine de l’adaptation et de l’intégration scolaire me conduit aujourd’hui à prendre position en faveur d’une école inclusive, attentive à chacun sans exception. Je me fais ainsi l’ambassadrice d’un courant international qui donne lieu à des débats souvent passionnés. Dans quelle mesure et à quelles conditions le concept d’inclusion peut-il faire disparaître toute discrimination et modifier ainsi durablement le paysage éducatif ? Comment passer de l’intégration à l’inclusion scolaire ?

3 Le terme d’intégration appliqué aux élèves en situation de handicap est aujourd’hui souvent récusé. Le rapport Lachaud (2003) le présente comme un abus de langage lourd d’implicite : « Il est temps de cesser de parler d’intégration scolaire car il n’est pas concevable qu’un individu ait besoin d’intégrer la communauté nationale sauf à en être étranger. » La notion d’inclusion scolaire, bien que critiquée[4] [4] En langue française, le terme d’inclusion utilisé en…
suite, lui est préférée. Elle implique un changement radical de perspective dans notre système éducatif trop souvent clivé entre secteur « ordinaire » et secteur de l’adaptation et de l’intégration scolaire. Elle se réfère à des valeurs ayant trait à une société valorisant la diversité et les différences entre êtres humains et constitue ainsi un processus particulier de construction de communauté. S’appuyant sur la présence des enfants ou adolescents à besoins éducatifs spécifiques, elle la considère, non comme un ralentissement ou une perturbation pour les autres élèves, mais comme une richesse. Les ajustements pédagogiques qu’ils suscitent sont en effet facteurs de progrès pour tous.

4 La tradition française est ébranlée par cette évolution de la pensée, comme le montre Bernard Gossot, inspecteur général de l’Éducation nationale. Mais si l’intérêt du passage d’un système d’éducation intégrative à un système inclusif est reconnu au niveau politique, il reste à opérer une « véritable révolution des consciences »… L’histoire de Pierre, racontée parNicole Lacroix, écrivain, est à ce titre édifiante. Un parmi d’autres, cet élève ouvre la voie d’une éducation pour tous, sans étiquette. Refusant la notion même d’intégration, il vit une situation « inclusive » exemplaire, alors même que le concept n’est jamais évoqué. Dans cette mise en acte spontanée, le développement d’une reliance entre pairs, entre famille et professionnels, entre professionnels eux-mêmes, semble la clé de la réussite. Les situations de Viky et Léa, présentées par Michèle Lapeyre, psychologue scolaire, montrent les aléas générés par les pratiques intégratives et soulignent l’intérêt de bâtir une école inclusive. Cette élaboration cependant ne peut se faire sans analyse structurelle. Aussi Serge Ebersold nous convie-t-il à étudier l’organisation requise, évoluant d’un modèle médical à un modèle managérial. Les ressources mises au service des enseignants sont elles aussi la cible de nécessaires transformations. Claude Baudoin, directeur du crdp de Créteil, s’en fait l’écho.

5 Les notions d’intégration et d’inclusion relèvent-elles uniquement d’une bataille sémantique comme le laisse entendre Jean-Manuel Hergas ? Ce dernier, cadre RH/Organisation chez thales, raconte comment le contexte de sa scolarisation, loin de se transformer en situation de handicap, a intégré les contraintes générées par sa déficience motrice et lui a permis de poursuivre des études de haut niveau. Pour lui les facteurs déterminant la réussite d’une scolarité « en milieu ordinaire » relèvent essentiellement de « rencontres » qui permettent à chacun d’occuper sa place. Les députés européens, Henri Weber et Christa Prets, introduisent à une lecture plus politique de la situation européenne relative à l’intégration et au handicap. L’exigence d’évaluation qui en découle vise expressément l’amélioration de la qualité du service public. Bien comprise, elle permet d’analyser les pratiques eu égard aux objectifs poursuivis, de maintenir et diffuser ce qui fonctionne bien, de transformer ce qui ne donne pas entière satisfaction. Elle introduit par conséquent les acteurs à une démarche de recherche et de veille permanente. José Puig, inspecteur d’académie et inspecteur pédagogique régional, directeur des études de la Fondation santé des étudiants de France, donne des clés de lecture pour aborder les multiples discours actuels. Il clarifie la notion d’accompagnement scolaire, et en donne des repères pour l’action. L’étude européenne, rapportée par Claudie Rault, inspectrice de l’Éducation nationale ais, responsable académique des formations, montre les besoins en ce domaine chez les enseignants débutants et soumet aux différents pays membres de la communauté une liste de préconisations.

6 Siri Wormnæs, professeur associé au département des besoins éducatifs spécifiques à l’université d’Oslo, illustre cette posture. Il retrace l’histoire du passage de l’intégration à l’inclusion scolaire en Norvège. Loin de présenter cette transformation comme un modèle à reproduire, il invite chacun à inventer la voie d’une mutation culturelle adaptée à chaque entité nationale, en vue d’une école inclusive au service de tous les élèves.

7 Jean-Pierre Garel, chercheur et professeur honoraire au cnefei, balise le domaine de l’éducation physique et sportive. À partir de situations concrètes, il interroge la pertinence et les limites de l’adaptation des situations aux élèves et trace, tel un funambule sur son fil, l’équilibre périlleux à tenir. Cet équilibre qui met en tension « singulier et universel », « particulier et collectif », « identité personnelle et culture partagée » relève de compétences professionnelles pouvant faire l’objet de formation.

Notes

[ 1] Le recensement et le suivi du nombre d’élèves handicapés scolarisés sont difficiles pour deux raisons. La première tient à la notion même de handicap et à sa reconnaissance. La seconde est relative à la diversité des modes de scolarisation et à leur évolution rapide dans le temps.

[ 2] Résultats de l’évaluation pisa 2003 (Programme pour le suivi des acquis des élèves), enquête internationale pilotée par l’ocde. http://www.pisa.oecd.org/

[ 3] En centre de rééducation de l’ouïe et de la parole, classe de perfectionnement, classe thérapeutique, groupe d’aide psychopédagogique, réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.

[ 4] En langue française, le terme d’inclusion utilisé en biologie a une fâcheuse connotation d’enfermement.