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Les jeunes des milieux modestes sont cruellement sous-représentés dans l’enseignement supérieur. Cela les expose non seulement leur vie durant à des salaires inférieurs, mais cela fragilise en outre les fondements de la croissance économique. Que faire ? Les étudiants défavorisés bénéficient de bourses et de prêts pour les troisièmes cycles, mais il faut aussi les aider dès les premières années de leur scolarité.
La Grande récession a clairement montré qu’aucun groupe social ni aucun pays n’est à l’abri des effets d’un ralentissement économique majeur, même avec un niveau d’éducation élevé. Pourtant, un haut niveau de qualification constitue l’une des meilleures protections, à la fois pour les pays et pour les individus.
Du moins est-il évident que les personnes davantage qualifiées ont eu plus de facilité à conserver leur emploi ou à se reconvertir pendant la crise. Entre 2008 et 2010 – les premières années de la récession – le taux de chômage déjà élevé de la zone OCDE a bondi de 4,9 % à 7,6 % pour les diplômés du deuxième cycle de l’enseignement secondaire, et de 8,8 % à 12,5 % pour les non diplômés. Il est en revanche resté bien inférieur à 5 % pour les diplômés du supérieur.
Les chiffres de l’OCDE indiquent également que la récession mondiale a encore creusé l’écart de revenus pourtant déjà important entre les diplômés du supérieur et les moins qualifiés, que ce soit dans les pays industrialisés ou dans les autres pays. De fait, c’est désormais au Brésil qu’il est financièrement le plus intéressant de suivre des études supérieures : l’avantage financier à être diplômé du supérieur y est en moyenne trois fois plus élevé que dans les pays de l’OCDE.
Acquérir des qualifications de pointe offre donc un net avantage, même si tout le monde n’en a pas la possibilité, en particulier les jeunes de familles défavorisées ; leur très faible représentation dans l’enseignement supérieur est extrêmement préoccupante. Dans les pays de l’OCDE, la proportion de jeunes de familles défavorisées achevant leurs études supérieures est en moyenne deux fois moins élevée que pour le reste de la population. De plus, il ne s’agit là que d’une moyenne : dans certains pays, les chiffres chutent à environ un cinquième. À l’inverse, un jeune dont au moins un des parents est diplômé a en moyenne deux fois plus de chance de suivre des études supérieures.
Pour les jeunes défavorisés, des frais de scolarité élevés peuvent être un obstacle majeur à la poursuite d’études. Quelle est alors la meilleure manière de les aider : gratuité de la scolarité, prêts, bourses ou formule combinée ? Avant de tenter de répondre à cette question, nous devons étudier l’évolution de l’impact des financements publics et privés dans l’enseignement supérieur.
Au cours de la dernière décennie, la part des dépenses versées par les ménages aux établissements d’enseignement supérieur a plus que doublé dans la zone OCDE, sans toutefois engendrer une baisse des dépenses publiques. En effet, depuis 2000, aucun pays de l’OCDE n’a vu baisser ses dépenses publiques d’enseignement supérieur. En pratique, on constate que davantage de fonds privés offrent davantage de places à davantage d’étudiants, ainsi qu’un enseignement de meilleure qualité. Autrement dit, nous devons comprendre tant l’obstacle financier pesant sur les individus que celui pesant sur les finances publiques, lequel risque de limiter l’accès aux études.
Cela peut expliquer pourquoi les données de l’OCDE n’indiquent aucune relation d’un pays à l’autre entre le montant des frais de scolarité et le taux d’inscription des jeunes défavorisés dans le supérieur. Certains pays ont des frais élevés, mais parviennent tout de même à assurer un accès aux études à une grande partie des jeunes défavorisés ; d’autres pays n’ont pas de frais de scolarité, mais voient peu de jeunes de cette catégorie sur les bancs universitaires.
Comment les pays peuvent-ils fixer un montant de frais d’inscription permettant à davantage d’étudiants de se former sans entrave ? Les données montrent que ni les pouvoirs publics, qui considèrent l’enseignement supérieur essentiellement comme un bien privé, ni les étudiants, qui plaident pour l’abandon des frais de scolarité, n’ont raison. En revanche, les pays qui répartissent les coûts de l’enseignement supérieur entre l’étudiant et le contribuable, en fonction de leurs gains respectifs, affichent les meilleurs résultats.
Les données de l’OCDE montrent que les études procurent d’importants avantages sociaux, sous forme de croissance économique, de cohésion sociale et de valeurs civiques, qui justifient l’investissement public. De même, à la lumière des avantages privés de plus en plus considérables que procure un diplôme supérieur, il serait légitime que chaque diplômé prenne également en charge une partie des coûts de sa formation. L’option de la répartition des coûts se justifie encore davantage lorsqu’un budget public limité engendre une baisse du nombre d’étudiants, une baisse de la qualité de l’enseignement ou une restriction des ressources mises à disposition des étudiants défavorisés. Cette répartition permet aux systèmes de continuer à se développer sans sacrifier la qualité de l’enseignement. De plus, la répartition sensibilise les établissements aux besoins des étudiants ; moins dépendants de l’argent du contribuable, les établissements sont incités à lever leurs propres fonds. Les économies ainsi réalisées peuvent servir à élargir l’accès à l’enseignement supérieur tout en consolidant les systèmes d’aide aux étudiants.
Toutefois, il faut savoir raison garder. Les pays qui fondent leur appréciation du coût des études supérieures sur le seul marché voient souvent les frais de scolarité atteindre des niveaux stratosphériques, à l’instar des États-Unis. L’enseignement supérieur y devient inabordable pour de nombreux aspirants étudiants, compromettant la capacité du pays à améliorer les niveaux d’instruction de sa population. Plaider en faveur de mesures de stabilisation visant à limiter les frais d’inscription est donc une position sensée.
Outre ces mesures, la clé du succès repose sur un système efficace d’aides aux étudiants, de préférence basé sur un dispositif généralisé de prêts remboursables en fonction des revenus futurs, complété par un programme de bourses accordées sous condition de ressources. Les prêts permettent à l’étudiant de financer sa formation pendant qu’il étudie et, dans la mesure où ils sont fonction des revenus futurs, reflètent la capacité de remboursement de l’étudiant après l’obtention de son diplôme. Ces prêts étant progressifs, les diplômés qui gagnent plus reçoivent moins d’aides publiques. Les bourses accordées selon des critères sociaux favorisent l’accès à l’enseignement supérieur des groupes vulnérables, dont font partie les jeunes mal informés des avantages que procure une formation supérieure. Ces bourses peuvent être corrélées à l’obtention de résultats satisfaisants (obtention d’un nombre déterminé de crédits par exemple). Leur efficacité est optimale quand, accompagnées d’un prêt, elles couvrent la totalité des frais de scolarité et de subsistance des jeunes désireux de suivre des études, qui sans ces dispositifs seraient contraints d’y renoncer.
Pour autant, même le dispositif de financement des études le plus sophistiqué ne garantit pas l’égalité des chances. De nouvelles données de l’OCDE montrent que les problèmes auxquels sont confrontés les étudiants issus de milieux défavorisés commencent bien avant les années d’études supérieures. En 2000, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) a évalué les résultats des élèves de 15 ans, et montré que le milieu socio-économique d’origine impacte à hauteur de 37 % la variation, d’un pays à l’autre, de la proportion d’élèves issus de familles peu instruites qui poursuivaient des études supérieures neuf ans plus tard. Autrement dit, les pays qui ne parviennent pas à réduire l’influence du milieu d’origine sur les résultats des élèves au cours de la période de scolarité obligatoire ont peu de chance de résoudre le problème d’accès élargi à l’enseignement supérieur.
Mais là encore, des pays aussi différents que la Finlande en Europe, le Canada en Amérique du Nord, ou le Japon et la Corée en Asie, montrent qu’il est possible d’y arriver. D’autres pays prouvent que des progrès significatifs peuvent être rapidement atteints. Par exemple, une refonte majeure du système éducatif polonais a permis de réduire les écarts de résultats entre les écoles de manière considérable, de remettre en selle les établissements les moins performants, de faire remonter les établissements les moins performants, et d’améliorer les résultats d’ensemble de plus d’une demi-année scolaire, le tout en seulement six ans. Le Portugal, l’Allemagne et la Hongrie ont su consolider leur système éducatif fragmenté et améliorer à la fois les performances d’ensemble et l’égalité des chances. Leur réussite indique que des réformes bien pensées peuvent bel et bien contribuer à ouvrir plus largement les portes de l’éducation.
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