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In Sciences Humaines – le 28 février 2013 :

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Père fondateur de la sociologie en France, Émile Durkheim s’attache à montrer que les faits sociaux ont une logique propre, qui peut éclairer certaines des dimensions les plus intimes de notre existence.

La sociologie d’Émile Durkheim prend son envol avec son étude sur la « division du travail social » qui est le fruit des réflexions qu’il a engagées sur la société moderne. Comme la plupart des classiques des sciences sociales, il veut caractériser la société de son temps tout en mettant en œuvre une approche scientifique des faits sociaux. La réflexion de Durkheim se construit autour de deux axes : la connaissance des fondements de la société moderne et la construction d’un savoir sociologique à prétention scientifique. Dans La Division du travail social, Durkheim se distingue d’emblée de plusieurs modèles d’analyse : le darwinisme social d’Herbert Spencer, la théorie de l’imitation de Gabriel Tarde, la philosophie utilitariste de Stuart Mill et la doctrine libérale d’Adam Smith. Pour Durkheim, tous ces modèles souffriraient d’un manque de scientificité.?

Lui s’inspire alors de l’idéal positiviste exposé par Auguste Comte. Durkheim définit ainsi la sociologie comme une « science morale », c’est-à-dire une science des mœurs propres à différentes sociétés. Or ces mœurs prennent forme en fonction du degré de rapprochement des individus, ainsi que de la densité et de l’intensité des relations sociales. De ce point de vue, la société moderne a engendré un basculement fondamental, qui est celui du passage d’une « solidarité mécanique » à une « solidarité organique ». La première, spécifique aux sociétés dites traditionnelles, se caractérise par une forte conscience collective, qui laisse peu de place à l’expression de l’individualité. Les individus pensent et agissent par similitude, respectant l’harmonie d’un groupe fortement intégrateur. Dans les sociétés à solidarité organique, dites modernes, la différenciation sociale s’accroît, ce qui conduit à une spécialisation plus grande des différentes activités sociales. Cela concerne évidemment le domaine productif mais, au-delà, toutes les dimensions de la vie sociale (l’éducation, la famille, la religion, etc.). Dans ces sociétés, l’individualité tend à se renforcer et les marges de liberté augmentent.??

De l’influence du social sur le suicide?

Selon Durkheim, les sociétés à solidarité organique accordent une place plus significative à l’autonomie individuelle. La dimension « individualiste » de la personnalité tend ainsi à se renforcer au détriment du collectif. Cela ne signifie pas que les institutions n’exercent plus aucune contrainte sur les individus mais que leur pouvoir s’affaiblit. Pour Durkheim, le risque de cette poussée d’individuation caractéristique des sociétés modernes est celui d’« anomie ». Il y a situation d’anomie lorsque les normes sociales s’imposent aux individus avec moins d’efficacité. Durkheim parle également de perte de repères. Concrètement, une situation anomique a des effets négatifs sur le corps social, conduisant notamment à une augmentation de phénomènes pathologiques dont le suicide peut être une manifestation.?

Dans Le Suicide, résultat d’une vaste enquête sur les variations des taux de suicide selon différentes variables (l’âge, le sexe, la situation matrimoniale, la confession religieuse, etc.), Durkheim établit que ce phénomène, loin de résulter de strictes motivations individuelles, présente des causes sociales. Il en déduit une typologie selon le degré d’intégration des individus (suicides égoïste et altruiste) et le degré de régulation sociale (suicide anomique). Le suicide égoïste se produit lorsqu’il y a défaut d’intégration sociale. Il concerne les personnes en situation d’isolement. Par exemple, le célibataire se suicide davantage que le marié, intégré au sein d’un foyer protecteur. Durkheim s’intéresse ensuite au suicide altruiste, plus fréquent dans les sociétés traditionnelles que dans la société moderne. Cette forme de suicide se rencontre toutefois dans une institution qui exerce une forte action intégratrice, l’armée, une institution où les intérêts du groupe étouffent ceux de l’individu, comme c’est le cas également dans l’institution carcérale. Enfin, Durkheim propose une longue analyse du suicide anomique qui résulte d’un défaut de régulation sociale lorsque la cohésion sociale est perturbée.?

Les crises économiques peuvent être une cause d’accroissement du taux de suicide. Il existe néanmoins d’autres situations d’anomie, comme l’« anomie conjugale ». Durkheim montre en effet que le taux de suicide est plus élevé parmi les personnes veuves ou divorcées que parmi les personnes mariées. L’enjeu du Suicide était de montrer que les logiques sociales permettent d’expliquer objectivement les variations des taux de suicide.?

L’œuvre de Durkheim a eu une influence déterminante sur la sociologie. Si elle a fait l’objet de fortes réticences, en particulier contre son positivisme qui consiste à considérer la sociologie comme une science et les faits sociaux comme des choses, elle a fait école : Marcel Mauss et Maurice Halbwachs en furent ses premiers héritiers. L’animation de la revue L’Année sociologique aura joué un rôle prépondérant dans la consolidation et la diffusion de ses théories, avec la formation d’une « école française de sociologie » soucieuse de respecter les grandes lignes de son projet sociologique.

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Categories: 4.2 Société

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