En écoutant les infos, en lisant les articles sur le problème posé aux collectivités locales par cette fichue demi-heure, raccourcie pour les uns (enseignants) à occuper pour les autres (collectivités locales), cette sacrée réforme des rythmes, petit à petit pose les vrais problèmes, si on réfléchissait un peu !
On s’obstine à vouloir séparer le temps scolaire des autres temps et espaces de vie de l’enfant (donc à raccourcir ce qui paraît enfin insupportable et néfaste à des enfants). Mais on ressent bien enfin l’importance de ces autres temps (temps méridien, temps périscolaire, temps postscolaire…). On s’obnubile sur le fait que ces temps périphériques doivent être occupationnels, et même réparateurs du temps scolaire, temps réservé aux enseignants et soi disant celui des apprentissages (les autres temps restent quand même considérés comme de l’accessoire). On ne se préoccupe surtout pas de ce qui se fait pendant le temps scolaire, mais de ce qu’on devra faire faire aux enfants après le temps scolaire, qui ne soit pas trop du scolaire. On se préoccupe de qui va le faire. Le temps de l’enfant est découpé, cloisonné, suivant les cases dans lesquels il faut le fourrer et suivant qui va s’occuper de ces cases.
Il ne vient pas à l’idée que tous ces temps et ce qui peut s’y faire, s’y vivre, interfèrent, se croisent, se recoupent, se mélangent.
Il ne vient pas à l’idée que les rythmes de chaque enfant s’inscrivent dans un temps global et continu. Les enfants n’en disposent même plus dans leur famille (après tous les autres temps) où son temps est dépendant des horaires de travail de ses parents et de leur fatigue, des impératifs sociaux, familiaux…
Il y a le temps où l’enfant est captif de l’obligation scolaire (admettons qu’elle soit encore nécessaire) et son espace/temps périphérique tant que l’espace/temps familial ne lui est pas accessible. Si on prend le temps dans sa continuité, ce n’est pas son découpage qui importe, c’est ce que l’enfant va pouvoir y faire et y vivre suivant ses rythmes, sa fatigue, ses intérêts, les stimuli qui provoquent l’intérêt et l’activité,…
Si on n’est plus dans la conception de la transmission des savoirs découpés mais dans la construction cognitive de tous les langages (1), il n’y a pas d’activité qui soit plus importante qu’une autre, plus inutile qu’une autre, y compris la sieste, la rêverie, le jeu… dans le cerveau, toutes interfèrent, toutes sont en interaction. Le cerveau n’est pas programmé pour être alimenté, stimulé à tel moment pour tel apprentissage, dans telle de ses cases qu’il n’a pas. Le cerveau se moque des découpages rationnels. Il n’est pas rationnel, il est complexe. Sa construction continue s’effectue dans ce que Alain BERTHOZ a appelé la simplexité.
Pourquoi repousser l’intervention de l’animateur de théâtre, du peintre, du marionnettiste, à l’occupation hors scolaire ? Pourquoi cantonner le travail littéraire ou syntaxique d’un texte, l’écriture d’une lettre, une recherche mathématique, un tâtonnement expérimental scientifique… dans un temps déclaré scolaire ? Tout est possible quand on envisage le temps de la globalité !
Oui ! Mais !
Nous serions alors au-delà de la pédagogie que l’on traduit surtout en « méthodes » et réservée au temps scolaire et aux matières qui découpent ce temps. Nous serions dans une autre approche globale de l’acte éducatif, dans une autre approche de l’aménagement de l’espace scolaire, espace de vie, dans une autre conception du rôle des divers professionnels de l’éducation (enseignants, éducateurs, animateurs, intervenants…). Les pédagogies modernes, en particulier la pédagogie Freinet, ont amorcé depuis longtemps cette mutation nécessaire. Mais c’est insuffisant si on ne poursuit pas leur logique. Insuffisant parce que le cadre actuel va à leur encontre.
Cette logique tend à briser les divers cloisonnements du temps et de son emploi, le cloisonnement des matières, le cloisonnement des apprentissages, le cloisonnement des âges, le cloisonnement des rôles. Elle tend à généraliser et à étendre ce que la pédagogie Freinet appelle « les ateliers permanents » libres d’accès à tout le temps et à tout l’espace où l’enfant doit rester hors de sa famille. C’est alors l’espace et ses fonctions qui doivent être aménagés pour que l’enfant, les enfants, dans leurs temps propres, dans leurs rythmes propres, dans leurs activités, puissent y poursuivre au mieux et au plus loin la construction de tous leurs langages.
Alors, résumons une problématique : pour une grande partie des enfants, pour des raisons socioéconomiques, il y a un temps où ils ne peuvent plus être dans l’espace familial, grosso-modo de huit heures du matin à dix-huit heures le soir. Dans ce temps et un autre espace, il faut qu’ils puissent poursuivre la construction de leurs langages, de leur socialisation. Il faut qu’ils puissent continuer de vivre.
Il y a donc nécessité d’aménager un autre espace provocateur pour que les enfants puissent y inscrire la sinusoïde de leurs propres temps et rythmes dont dépendront leurs activités et leurs apprentissages. Il y a nécessité de revoir le rôle de tous les adultes qui auront à intervenir dans cet espace et dans ce temps. Ils y seront tous, au même titre, des éducateurs. Il ya aura la nécessité de concevoir autrement leurs temps d’intervention (de travail).
Alors, les enseignants dans tout ça ? On peut admettre qu’ils sont un peu plus que les autres des spécialistes de la construction des langages. Il leur sera nécessaire de coordonner toutes les interventions des autres professionnels et adultes qui auront un rôle dans l’espace-temps scolaire. Il leur sera nécessaire d’aménager l’espace, de le faire évoluer suivant ce que la vie d’une entité induit. Il leur sera nécessaire d’assurer le suivi, l’harmonie, la permanence d’un ensemble. Ils seront les garants de l’orientation éducative de l’espace-temps scolaire.
Il ne faut plus tourner autour du pot : le métier des enseignants devra changer. Il faudra que leur formation change. Leur temps de travail et son occupation devra changer.
Je l’ai vécu, je l’ai écrit, il n’y a plus de problèmes de rythmes dans une école du « 3ème type » ou « l’école de la simplexité » ! Nous allons finir par y arriver… si on commence à penser un peu autrement !
(1) Langages : j’entends par langages les outils neurocognitifs qui créent et interprètent les différents mondes qui font nos sociétés. Langage verbal oral, langage verbal écrit, langage mathématique, langage scientifique, langages dits artistiques, langages corporels… Ces outils neurocognitifs se construisent dans l’interaction.