S’il est un sujet qui met en émoi immédiat la société française, c’est bien celui du changement des rythmes scolaires. L’actualité en témoigne avec les récentes déclarations du ministre de l’Éducation nationale et du Président de la République. Les raisons sont à chercher à l’intersection des intérêts individuels et collectifs et à la croisée des champs économiques, sociaux et éducatifs. Toutefois, dans la plupart des analyses, un fait est constamment minoré, si ce n’est occulté : l’importance de la mauvaise organisation du temps scolaire sur la santé, le bien-être de l’enfant/élève et, in fine, sur l’efficacité des apprentissages et de notre système éducatif.
À l’origine, dès les années 1960, la réflexion sur la nécessité de changer les rythmes scolaires en France provient de leaders de la médecine pédiatrique : les professeurs R. Debré, D. Douady, G. Vermeil, E. Lévy, sans oublier le professeur J. Bernard qui, dans son rapport au ministre, en 1974, souligne les conséquences du surmenage scolaire et la priorité absolue de prendre en compte la biologie : « Un système qui ne tient pas compte en premier lieu de la biologie de l’enfant et de l’adolescent, est une menace sur sa santé et le rend inapte à fixer les connaissances enseignées. L’éducation la meilleure est inefficace si elle n’est pas reçue. » Ces alertes sont relayées et approfondies par la recherche en chronobiologie et chronopsychologie par F. Testu, A. Reinberg, H. Montagner, Y. Touitou, C. Leconte1.
De nos jours, après une reconnaissance par les pouvoirs publics de ce phénomène et la mise en oeuvre d’expérimentations (réussies) entre 1985 et 1998, la situation s’est aggravée du fait du fort accroissement de la pression sociale et familiale sur l’école, des rapports des élèves aux savoirs scolaires, et de l’inertie, voire d’une dérive, de l’institution quant aux réponses apportées. En effet, notre pays, pour l’école primaire, détient les records (OCDE) :
– du nombre de jours d’enseignement le plus faible (144 jours contre 187 jours en moyenne) ;
– du nombre annuel d’heures d’instruction le plus élevé (de 864 heures à 936 heures avec aide personnalisée, contre en moyenne 765 heures pour les élèves âgés de 7 à 8 ans et 804 heures pour les élèves âgés de 9 à 11 ans) ;
– du temps annuel de vacances le plus important (16 semaines contre en moyenne 13 à 14 semaines) ;
– de la concentration unique au monde (pays industrialisés) des apprentissages hebdomadaires sur quatre jours : « Une organisation qui paraît beaucoup plus en rapport avec des préoccupations d’adultes, de vie familiale, et des enjeux économiques qu’avec les apprentissages scolaires2. »
Docteur ès géographie, ancien responsable du dossier Rythmes scolaires au ministère de l’Éducation nationale, membre du comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires.
1 Lire à ce sujet l’article de G. Vermeil ; A. Reinberg ; C. Leconte-Lambert ; P. Leconte ; H. Montagner ; F. Testu ; Y. Touitou, « Rythme scolaire : le blocage des adultes », Le Monde, 20 octobre 1995.
2 G. Fotinos, Changer les rythmes scolaires à Issy-les-Moulineaux. Une réponse locale à une situation d’« alerte » nationale. Constat, analyse, propositions, avril 2012. Rapporte de recherche consultable sur le site de la ville d’Issy-les-Moulineaux.
Les conséquences de ces « aberrations » temporelles se trouvent non seulement dans les témoignages quotidiens des acteurs de l’école mais aussi dans de très récents rapports officiels qui font autorité3, plus particulièrement celui de l’académie de médecine, Aménagement du temps scolaire et santé de l’enfant, qui, après avoir décrit l’organisation actuelle du temps scolaire en France, souligne :
– l’importance de la prise en compte des rythmes biologiques et psychologiques de l’enfant dans toute réflexion sur ce sujet ;
– la désynchronisation des enfants, c’est-à-dire l’altération du fonctionnement de leur horloge biologique lorsque celle-ci n’est plus en phase avec les facteurs de l’environnement, et qui entraîne fatigue et difficultés d’apprentissage ;
– le rôle néfaste de la semaine de quatre jours sur la vigilance et les performances des enfants les deux premiers jours de la semaine, lié à une désynchronisation due au week-end prolongé ;
– le rôle primordial du sommeil chez l’enfant, qui permet un développement harmonieux, restaure les fonctions de l’organisme, permet de lutter contre la fatigue et favorise les apprentissages.
D’une façon générale, ces rapports mettent en évidence que la bonne santé de l’enfant à l’école est nécessaire à son épanouissement personnel et scolaire et qu’elle doit être suivie en parallèle par les parents, enseignants et médecins. Il faut ajouter ici comme une « preuve à charge » de ce lien santé-école, les résultats d’une récente enquête sur les rythmes scolaires que nous avons menée auprès des médecins d’Issy-les-Moulineaux. Deux questions étaient directement liées à leur activité médicale.
Pensez vous que certaines pathologies soient liées à l’activité du « métier d’élève » et à ses rythmes ?
OUI : 60.7 %
NON : 10.7 %
Non répondu : 25 %
Dans quelle proportion les consultations d’enfants d’âge scolaire vous paraissent-elles dues à une médicalisation de l’anxiété et/ou de l’échec scolaires ?
1 à 10 % : 53.6 %
11 à 20 % : 32.1 %
> 20 % : 10.8 %
Les résultats généraux de cette enquête montrent que les médecins sont unanimes sur l’importance à accorder au temps de sommeil de l’enfant qui conditionne l’exercice d’une concentration variable au cours de la journée. Ils constatent que l’anxiété induite et la situation ressentie d’échec scolaire motivent pour une très large part la consultation en cabinet des enfants scolarisés, le rythme de travail pouvant, pour 61 % des praticiens, être à l’origine de certaines pathologies. Ils sont favorables à une adaptation des horaires à l’âge des enfants et à une réorganisation des temps quotidiens, hebdomadaires et annuels. Ils considèrent comme utile la création d’un observatoire des temps de l’enfant sur la ville et éventuellement d’un comité scientifique composé d’universitaires chargés d’évaluer les effets d’un changement de rythmes scolaires sur les élèves et sur l’organisation de l’école.
3 Nous renvoyons les lecteurs au rapport de la Cour des comptes : L’Éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves, mai 2010 ; aux rapports et études de l’Inspection générale de l’Éducation nationale : L’aménagement des rythmes scolaires à l’école primaire, 2001, 2002, 2009 ; au rapport de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale : Quels rythmes pour l’Ecole ?, décembre 2010 ; au rapport de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires : Des rythmes plus équilibrés pour la réussite de tous, juillet 2011.
Au regard de ce constat médical qui rejoint celui de l’académie de médecine, il est évident que l’école n’est pas neutre dans cette « médicalisation ». Toutes les évaluations menées depuis des décennies montrent clairement que modifier le temps de l’école en tenant compte des moments de l’apprentissage, de l’âge des élèves et de l’environnement éducatif, c’est créer d’autres rapports de l’enfant avec l’école, avec les enseignants ; c’est créer le plaisir de s’y rendre et de progresser ; c’est aussi faire disparaître ou diminuer cette « anxiété » qui caractérise souvent, au regard des exemples étrangers, notre école.
Parmi les raisons explicatives de ce fonctionnement anxiogène, celle qui nous semble la plus importante mais aussi la plus minorée est que notre système éducatif dans son ensemble repose principalement sur la « faute » et la « sanction ». Pour l’élève, le droit à l’erreur n’est pas admis. Il faut toujours répondre « juste » sous peine de réprobation et/ou de mauvaise note. À noter à ce propos que le système éducatif finlandais, en tête du classement PISA réalisé par l’OCDE, n’instaure les notes qu’à partir du… collège. Le développement du stress que l’on enregistre aujourd’hui, tant celui des élèves que celui des parents d’élèves mais aussi celui des enseignants, y trouve en partie sa source. Plus ces acteurs sont stressés, plus ils sont « inhibés » ou « excités », moins ils sont capables d’apprendre, d’agir et d’innover. Une des voies à explorer pour changer cette situation ne serait-elle pas de développer le sens de l’autonomie, de l’initiative, de l’esprit critique chez les élèves ? Et, pour ce faire, mieux former les enseignants mais également les solidarités éducatives, par la mise en oeuvre d’enseignements pluridisciplinaires fondés sur le travail en équipes des enseignants, le travail en groupes pour les élèves et l’association étroite, sans préjugés, des familles et des partenaires locaux, semble indispensable.
Pour compléter ce tableau, le déclin de la réussite à l’école française est patent. Dans le classement PISA (OCDE, 34 pays), en dix ans, elle passe de la 12e à la 18e place dans la compréhension de l’écrit, de la 13e à la 16e pour les mathématiques et pour les sciences, elle campe toujours à la… 21e place. Pire, si l’on ose dire, près d’un quart des élèves sont « à la traîne », et le système éducatif français bat des records d’injustice : un classement général sur les inégalités scolaires place la France 33e sur 34. Quant aux inégalités éducatives, un classement réalisé par l’UNICEF la place en 24e position sur 25.
Comment enrayer cette chute constante et régulière depuis 10 ans ?
L’aménagement du temps scolaire apparaît aujourd’hui comme un des moyens les plus consensuels et les plus efficaces pour amorcer le changement nécessaire à l’avenir de notre pays. Ce fil rouge constitué autour des objectifs de santé, de bien-être et de réussite scolaire des élèves conduit nécessairement à modifier :
– l’organisation du temps scolaire, soit l’allègement du temps des apprentissages quotidiens en lien avec une répartition plus équilibrée sur la semaine et l’année scolaires ;
– les pratiques pédagogiques et les contenus éducatifs ;
– les comportementaux familiaux et les politiques éducatives locales.
En effet, toutes les expérimentations fondées sur ce triptyque montrent des effets systémiques bénéfiques sur le fonctionnement de l’école et la réussite de ses acteurs. C’est ainsi que pour les élèves, on note de fortes améliorations sur :
– le comportement, notamment en termes d’autonomie, de responsabilisation, de socialisation, de respect du contrat, de capacité de mener une action jusqu’à son aboutissement ;
– la réussite, c’est-à-dire la motivation pour les activités, le désir et le plaisir de continuer, l’enrichissement personnel, la découverte d’outils nouveaux et d’activités non scolaires, la maîtrise de soi, la concertation, l’attention soutenue ;
– l’élargissement de l’horizon des élèves, via l’accès, tout au long de l’année, à plusieurs activités culturelles et sportives.
À tous ces effets, il faut ajouter ceux, bénéfiques, sur la participation à la vie de la cité, le renforcement de la dynamique locale associative et la chute de la délinquance juvénile.
À ce moment de la lecture, certains peuvent à juste titre se poser la question : existe-t-il des liens entre l’organisation scolaire et la réussite scolaire ? Les rares études faites sur ce sujet, notamment celles réalisées par la Direction de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’Éducation nationale à la fin des années 1980, sur onze sites pilotes expérimentaux, montraient que pour les élèves « aux situations familiales instables » et ceux des classes d’initiation, l’amélioration des résultats scolaires à partir d’épreuves spécifiques normalisées était importante.
Un rapport du ministère de la Jeunesse et des Sports de 1998 indique que quatre parents sur cinq jugent favorable l’impact des activités sur les apprentissages fondamentaux, et que ces aménagements agissent préventivement contre les situations d’échec scolaire. L’explication de ces liens trouve en partie sa source dans un des éléments les plus importants de la théorie de l’apprentissage, mal connu mais pourtant observable régulièrement par les enseignants et les éducateurs : celui du « transfert ». Ainsi pouvions-nous y lire que « tout apprentissage limité et spécifique d’une matière donnée se communique de proche en proche à une collections d’apprentissages de nature analogue d’abord et à une variété de matières de contenu tout à fait différentes. » La fertilisation croisée des disciplines scolaires et des activités éducatives, élément essentiel de tout aménagement du temps scolaire et de son efficacité au niveau des apprentissages, trouve ici sa source.
Pour conclure, l’école française doit évoluer sous peine d’échouer. Un des meilleurs leviers possibles pour déclencher cette « réaction en chaîne » à tous les niveaux de fonctionnement de notre système éducatif repose sur une autre organisation du temps scolaire. Les premières décisions politiques prises à ce sujet laissent à penser que nous sommes désormais sur le bon chemin…