In SNUIpp – FSU Paris :
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Claire Leconte est professeure émérite de psychologie de l’éducation et chercheuse en chronobiologie
SNUipp-FSU Paris : Quelles sont les principales critiques que vous formulez sur le projet de décret réorganisant les rythmes scolaires ?
Ce décret est une réécriture de celui de 2008 dont l’économie principale était la suppression du samedi. Dans le cadre de la refondation de l’école on attendait un décret donnant aux enfants et aux enseignants les moyens en terme d’organisation temporelle d’apprendre mieux, avec « apprendre » dans les deux acceptions du terme.
Or le cadre temporel imposé rigidifie totalement l’emboîtement des heures, scolaires, non scolaires. Il émiette les temps des enfants, et celui des enseignants, au lieu de leur donner la cohérence indispensable au développement harmonieux des enfants. Il ne permet aucunement de construire un projet éducatif permettant des transferts d’apprentissage. Il met hors-la-loi les projets construits ainsi voici plus de 16 ans et qui font encore leurs preuves aujourd’hui pour le bien-être des enfants mais aussi la meilleure qualité de vie professionnelle des enseignants.
Il faut donc réécrire ce décret et non juste l’amender.
Pour passer à 4,5 jours dans ce cadre, de nombreuses communes envisagent d’allonger la pause méridienne de 3/4 d’heure en justifiant cet allongement par des plages horaires plus propices aux apprentissages en fin d’après-midi. Quel est votre avis ?
Les auteurs auxquels on se réfère pour prétendre qu’il y a reprise de l’attention après 15h ont eux-mêmes détaillé les très nombreux facteurs qui font que cette reprise n’est pas avérée (1). Testu a montré que la courbe de ces fluctuations attentionnelles varie en fonction de l’âge de l’enfant. Cette reprise d’attention ne se retrouve pas pour des activités intellectuelles, dépendant par ailleurs des compétences de l’enfant, du niveau de difficultés de la tâche, de la motivation, du milieu de vie de l’enfant (2).
La pause méridienne est une période des plus compliquées à organiser correctement par les collectivités. Il faut offrir aux enfants un vrai temps de repos, de pause, un repas sans stress… Il s’agit bien d’une PAUSE méridienne. Les activités offertes à ce moment là ont plus tendance à énerver les enfants qu’à leur proposer la relaxation nécessaire. Cette période nécessite des encadrants particulièrement bien formés et soucieux du respect du rythme de l’enfant. Un allongement trop important ne rend donc pas service aux enfants, sauf si on leur propose suffisamment de lieux, pas uniquement le préau ou la cour de récréation, pour profiter de ce moment pour bouquiner, ne rien faire, faire des jeux collectifs calmes, regarder un documentaire, etc. Si ces conditions ne sont pas réunies, aucune reprise attentionnelle n’est possible ensuite, au contraire ! Une longue pause méridienne de plus de 2 heures n’existe nulle part ailleurs !
Pour les enseignants, ce sont là des temps contraints qui émiettent leur emploi du temps journalier. Or c’est aussi pour eux la PAUSE méridienne ! Enfin comment accepter que les trois arguments avancés par les élus soient :
1. c’est facile à mettre en oeuvre donc ils pourraient l’appliquer partout dès 2013 !
2. c’est plus facile à gérer pour les collectivités, car elles emploient les mêmes personnels pour le repas du midi et les animations qui suivent. Mais cela signifie bien qu’on y fait des « animations » et qu’on ne construit pas un projet éducatif.
3. c’est le plus économique pour la collectivité car tous les enfants ne restent pas à la cantine et donc ne seront pas forcément à prendre en charge ensuite. Ils laissent même entendre une augmentation de la part payée par les familles pour cette pause méridienne comprenant une « animation ».
C’est donc cela que « vaut » un enfant dans notre pays ?
Selon vous, au contraire, quelle réforme des rythmes scolaires faudrait-il envisager ?
C’est une réforme portant sur l’aménagement des temps de l’enfant qu’il faut envisager. Si cette réforme a avant tout l’objectif de respecter les besoins de l’enfant, j’ai toujours considéré qu’avoir en classe un enseignant « bien dans sa vie » va largement dans l’intérêt de l’enfant. Or imposer à celui-ci des temps contraints ne permet pas d’améliorer sa qualité de vie professionnelle. C’est au contraire en libérant des temps dans la semaine, comme en profitent les profs du secondaire, en responsabilisant les enseignants dans la gestion de ces temps, pour assurer leurs activités « invisibles », qu’on renforce leur motivation intrinsèque pour leur métier. Ils retrouvent du sens à leur métier et leur qualité de vie s’améliore.
Organiser 24h sur 5 jours, avec 5 matinées de 4h (3 séquences pédagogiques grâce à 2 pauses de 15 minutes) dans lesquelles toutes les disciplines peuvent s’inscrire, 2 après-midi de 2h de cours peu coûteux cognitivement et 2 après-midi de parcours éducatifs pris en charge par la collectivité permet :
une constante disponibilité cognitive des élèves, de tous âges,
un plaisir décuplé pour l’école,
des rencontres entre PE mais aussi avec les intervenants facilitées,
des temps de travail personnel plus efficaces pour les PE,
une facilitation des transferts d’apprentissage car dans un parcours éducatif, on découvre que ce qu’on apprend en classe est utile en dehors de l’école et vice-versa. Voir le site de Lomme.
On peut parler alors de Projet Éducatif car on valorise les activités éducatives non scolaires. On rend tous les temps cohérents.
A quelles conditions pourrait-elle se mettre en oeuvre et surmonter les défis de recrutement et de financement d’intervenants qualifiés, des inégalités territoriales… ?
C’est en valorisant ces temps éducatifs qu’on peut recruter des intervenants qualifiés, pas sur une animation de 3/4 d’heure. Les collectivités, quelles qu’elles soient, doivent recenser toutes les ressources dont elles disposent et d’expérience je sais qu’elles ne les connaissent pas toutes. Elles doivent travailler avec toutes les associations susceptibles de s’intéresser au projet. Cela donnera envie aux enfants de poursuivre à l’extérieur une activité découverte dans le projet.
1) Montagner, H. et Testu, F. 1995 Rythmicités biologiques, comportementales et intellectuelles de l’élève au cours de la journée, Pathologie Biologie, 44, 519-533.
2) à nouveau démontré récemment par Ponce et Alcorta, 2012