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Sur le principe, personne ne conteste la réforme des rythmes scolaires. Mais sa mise en œuvre s’avère d’autant plus complexe que son coût demeure un mystère. Une "grève massive" est attendue mardi 22 janvier 2013 à Paris, et mercredi dans toute la France, après un appel des syndicats d’enseignants du primaire. Enfin, information exclusive de dernière minute : le gouvernement pourrait pourtant tenter un passage en force auprès de la Commission consultative d’évaluation des normes, qui a refusé d’examiner le texte une première fois : le projet de décret, remanié seulement à la marge, pourrait lui être présenté à nouveau mercredi lors d’une réunion exceptionnelle.
« Nous subissons une pression éhontée, un chantage au bien-être de l’enfant, pour nous organiser au plus vite. Les communes qui n’y parviendront pas risquent d’être stigmatisées, alors même que nous sommes pris à la gorge par le gel des dotations de l’Etat et qu’il nous est difficile d’évaluer le coût de la réforme », tempête Philippe Dubourg, maire de Carcarès-Sainte-Croix (500 hab., Landes).
Le projet de décret sur les rythmes scolaires prévoit une semaine de neuf demi-journées et trois heures hebdomadaires d’activités pédagogiques complémentaires (APC), réparties entre les enseignants et la mairie.
Les communes sont appelées à se prononcer avant le 1er mars sur une application de la réforme en 2013 ou en 2014. Mais combien celle-ci va-t-elle leur coûter ?
Assouplissement en vue – Présidente de l’Association nationale des élus de montagne (Anem) et députée (PS) de l’Ariège, Frédérique Massat résume les angoisses des élus des zones rurales et de montagne : « Pour se positionner avant mars, encore faut-il avoir une idée des contours du projet éducatif demandé. Quelle est la part à la charge des communes et celle qui revient aux enseignants ? Et chez nous, la mutualisation est impossible, je connais des hameaux de 150 habitants avec une classe… Vous imaginez le coût que représente la venue d’un intervenant sportif ou culturel avec les qualifications nécessaires ? »
L’Association des maires ruraux de France (AMRF ) anticipe une hausse de 18,8 % des budgets « éducation » pour la mise en œuvre de la réforme. De son côté, l’Association des petites villes de France sonde ses adhérents.
Les grandes collectivités apparaissent, elles, mieux outillées pour échafauder des calculs. A Paris, la maire adjointe (PS) chargée de l’éducation, Colombe Brossel, précise : « Nous lançons un débat avec les Parisiens sur le contenu du projet. Nous leur proposons d’élaborer des parcours d’activités culturelles et sportives calés sur les cycles d’apprentissage. Aujourd’hui, le périscolaire représente 128 millions d’euros sur un budget de 250 millions et nous prévoyons une hausse de 10 %. »
Mais où trouver, en nombre suffisant, les encadrants qualifiés appelés à intervenir durant les trente à quarante-cinq minutes de périscolaire en sus ? Demandé par les élus, un décret d’assouplissement des normes d’encadrement est en discussion entre le ministère de la Jeunesse et les associations d’élus.
Il permettrait d’avoir moins de personnel à embaucher pendant cinq ans, sous réserve d’élaborer un projet éducatif. « Ces normes d’encadrement ouvrent droit à la prestation de service unique [PSU] de la caisse d’allocations familiales dès 2013.
En ajoutant le contrat enfance-jeunesse et les aides du fonds d’amorçage, cela donne une base de financement intéressante », avance Yves Fournel, vice-président de l’Association des maires des grandes villes de France (AMGVF).
L’AMF prône un fonds pérenne – « La PSU ne représente que 16 % du financement des activités périscolaires et la prestation de service enfance-jeunesse, à peine 15 % : c’est intéressant, mais pas suffisant pour financer la pérennisation de la réforme », avertit Anne-Sophie Benoit, présidente de l’Association nationale des directeurs de l’éducation des villes de France (Andev).
Autre question : que prévoir pour le mercredi ? La scolarisation du matin, entraînera-t-elle une demande accrue pour la cantine et le centre de loisirs, l’après-midi ?
« Dans une collectivité comme Dunkerque [92 000 hab., Nord], une hypothèse haute induirait un surcoût de 1,2 million d’euros pour 2013, car elle inclurait l’accueil du matin, la restauration scolaire, les transports et le centre de loisirs pour des élèves en plus grand nombre ainsi que les trois heures d’APC en semaine. Une hypothèse basse, excluant l’accueil du matin et la cantine, reviendrait à 600 000 euros », décrit Anne-Sophie Benoit, également directrice de l’enfance et de la jeunesse de Dunkerque.
Le fonds d’amorçage suffira-t-il ? « Il doit être pérennisé et orienté vers les communes rurales en priorité, car nos dépenses sont durables », estime Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, tandis que Vanik Berberian, président de l’AMRF , s’inquiète de voir réserver le bonus de 40 euros à seulement « 27 % des communes rurales ».
Dernière inconnue : « Si l’Etat exige une prise en charge obligatoire des élèves jusqu’à 16 h 30, quel est le statut des activités éducatives organisées hors des cours : obligatoire ou facultatif ? Si nous nous trouvons dans l’obligatoire, l’Etat doit compenser les dépenses », met en garde Jacques Pélissard.
« A Sceaux, nous prévoyons une hausse de 1,5 point d’impôt »
Philippe Laurent, membre de la CCEN, vice-président de l’AMF et maire (UDI) de Sceaux
« Le 8 janvier, en tant que président de la séance de la commission nationale d’évaluation des normes [CCEN], j’ai demandé le report de l’examen du projet de décret concernant les rythmes scolaires. Nous avions demandé au ministère de l’Education nationale de chiffrer les conséquences financières de la réforme pour les collectivités. Il nous a été répondu qu’en la matière tout ce que les communes feront est de l’ordre du facultatif, ce qui n’entraîne aucun coût. De tels arguments poussent à croire que la réforme ne coûtera rien aux collectivités, or c’est faux ! Ne serait-ce qu’à Sceaux, ma commune, son coût équivaudrait à une hausse de 1,5 point d’impôt. La réponse du ministère est d’autant plus étrange que celui-ci nous avait demandé des éléments pour évaluer ce coût. Aujourd’hui, il dispose de trois solutions : nous fournir les éléments chiffrés pour la prochaine session qui aura lieu le 7 février, passer en force au risque d’être retoqué par le Conseil d’Etat ou requérir la procédure d’urgence, qui exige un avis de la CCEN dans les soixante-douze heures. En l’absence d’estimation chiffrée, ce dernier sera défavorable. »
Leur point de vue
« La grande inconnue est le mercredi »
René Schaller, directeur coordonnateur de l’éducation d’Aix-en-Provence
« Nous estimons le coût annuel de la scolarité à 645 euros par enfant en école élémentaire et à 1 240 euros en maternelle. Nous avons travaillé sur les trois scénarios du ministère et sur trois autres hypothèses pour tenter d’évaluer le coût de la réforme : le surcoût serait d’environ 210 euros par enfant, soit 2,1 millions d’euros, car la ville compte 10 000 élèves scolarisés en primaire. Nous tablons sur 80 équivalents-temps plein pour encadrer les trente à quarante-cinq minutes de temps périscolaire supplémentaire pendant quatre jours. La grande inconnue est le mercredi : pour l’heure, à peine 1 000 enfants fréquentent l’accueil de loisirs. Allons-nous devoir organiser un repas et un accueil en centre de loisirs pour tous les écoliers ? »
« Qui sera responsable entre 15 h 30 et 16 h 30 ? »
Philippe Georges, maire de Saint-Aubin- Château-Neuf (500 hab., Yonne)
« Nous avons regroupé cinq communes dans la communauté de communes de l’Aillantais et mutualisé le centre de loisirs. L’obstacle principal à la réforme est le statut de l’heure de 15 h 30 à 16 h 30 : est-ce du temps scolaire ou non ? Qui en a la responsabilité juridique ? Quelles sont les règles d’encadrement ?
Sur les 130 enfants du regroupement pédagogique, seuls 30 fréquentent actuellement le centre de loisirs. Faudra-t-il désormais prévoir des activités pour les 130 enfants, entre 15 h 30 et 16 h 30 ? Et où trouver les intervenants nécessaires ? Quel sera leur niveau de qualification ? Peut-on recourir aux bénévoles associatifs ? Faut-il alors les agréer ? Il nous faut davantage de temps pour bâtir le projet éducatif territorial. »
« Vu l’enjeu, nous sommes volontaires pour 2013 »
Carole Delga, députée (PS) maire de Martres-Tolosane (2 200 hab., Haute-Garonne)
« Nous accueillons 332 enfants du village et de cinq autres communes, et 300 écoliers fréquentent l’accueil périscolaire et le centre de loisirs le mercredi. Aujourd’hui, le périscolaire nous coûte 147 000 euros et le centre de loisirs 145 000. Nous recevons 32 000 euros au titre de la prestation de service unique et 41 000 au titre du contrat “enfance-jeunesse” de la caisse d’allocations familiales. Nous attendons les informations sur les taux d’encadrement, le statut des plages d’activité avant la fin de la journée de cours et les négociations avec le conseil général sur les transports pour affiner une évaluation du coût de la réforme. Nous le situons à environ 50 000 euros. C’est une surcharge, mais l’éducation est notre priorité et nous appliquerons la réforme dès 2013. »