In 2RO, blog-notes de Corinne DANGAS :
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Un système stable et résilient… oui mais jusqu’où ?
Christine Vaufrey met en exergue – ce qui pourrait justifier de s’en tenir au modèle actuel – la grande solidité structurelle du système éducatif actuel, et sa capacité de résilience, puisque de faits il résiste à tout… En tout cas à tout ce qui a pu lui arriver jusqu’ici
Je ne partage pas complètement ce point, car personnellement je ne suis absolument pas sûre que cette solidité structurelle soit, aussi, à même de résister durant encore des années et des décennies, non pas aux innombrables réformes venues d’en haut du système vers le bas, mais bien plutôt au tiraillement, à la fissure, qui s’élargit toujours plus, entre l’intérieur du système, et le monde dans lequel il s’inscrit. Mondialisation, accélération des temps, capacité à absorber sans dysfonctionner les pressions structurelles sociales et sociétales…
Vue sous l’angle de l’innovation, l’article décrit l’école d’aujourd’hui comme « une machine efficiente plutôt qu’efficace », qui absorbe l’innovation, parce que c’est son rôle de le faire. Elle est « faite pour fonctionner comme elle fonctionne », et laisse une latitude à l’innovation, à condition que celle-ci se coule dans le moule. J’ai relevé à ce sujet deux phrases intéressantes :
– L’innovation a sa place à l’école, y compris au travers des usages faits des outils numériques. À condition qu’elle reste à sa place, c’est à dire à la place de l’individu, plus rarement au niveau des établissements.– Des dispositifs d’accompagnement à l’innovation existent dans la plupart des académies. Ils sont peu utilisés, et généralement au niveau d’un enseignant, d’un groupe d’enseignants sur une discipline, rarement au niveau d’un établissement. Cherchez l’erreur.
Refonder, ou ne pas refonder ?
La liberté pédagogique fondamentale (…) permet à qui le souhaite de développer des pratiques utilisant largement outils et ressources numériques. Ou pas.
Or à mon sens, tout est justement dans ce « ou pas ». Ce « ou pas », vaut aujourd’hui, dans un monde où le numérique peut encore être une option.
Mais cela sera-t-il encore vrai dans 10 ans, 20 ans ? Peut-on en termes politiques penser l’avenir du système éducatif sur la base de ce « ou pas » ? Peut-on en termes politiques *ne pas* penser l’avenir du système éducatif ?
Par ailleurs, l’école est faite pour fonctionner comme elle fonctionne, c’est certain. Pour autant, comme le souligne Christine Vaufrey , dans le système actuel, « plus on regarde les choses de haut, plus on simplifie et on formalise. » Et l’on voit qu’en procédant ainsi on ne parvient pourtant pas, de faits, à résorber les inégalités et résoudre les effets de bord du système, y compris dans l’allocation des moyens. Lisez par ex. à ce sujet cet article du Monde d’il y a quelques jours « Ecole : les moyens attribués renforcent les inégalités. » (je pourrais vous décrire quelques unes des raisons systémiques – et non pas seulement de politiques partisanes – qui produisent ce type d’effets, mais le propos a moins sa place ici.)
Numérique intégré, ou architecture numérique ?
Je pense pour ma part qu’il existe très probablement une voie structurelle médiane entre les deux propositions, entre un macro-système qui sur-étouffe innovation et équité de gestion des différences, des inégalités et des individualités, et le seul exemple anglais pris dans l’article, d’écoles indépendantes et livrées à elles-mêmes.
Pire, je pense que trop s’accrocher au premier est le meilleur moyen de continuer à ouvrir une voie royale aux secondes. (Car parmi les autres « possibles », pourquoi ne pas évoquer plutôt le modèle finlandais, par exemple ?)
Et le fait que l’innovation mobilise à des niveaux individuels, plus rarement d’établissements (Cf. les deux phrases relevées plus haut) me parait assez signifiant des directions à prendre : car si l’innovation ne mobilise qu’un ou deux enseignants d’un établissement, en revanche vue transversalement, elle mobilise de nombreux enseignants de plusieurs établissements.
Le 2.0 se pense en termes de modèles ouverts, « glocaux » (global + local) et d’architecture distribuée. Le numérique modifie les rapports à l’espace et au temps. Il ouvre, de faits, des portes sur l’extérieur et des routes latérales, qui, notamment, permettent de donner du champ à l’innovation, et de désensiler, donc d’offrir des moyens de mieux gérer la collaboration, la spécificité ou la différence sans nécessairement les tirer vers l’inégalité, la simplification ou l’uniformité.
Il s’agit donc d’exploiter le numérique non pas seulement comme « outils au service de l’usage individuel » (ce qui est une vision du numérique intégré, encapsulé, où le niveau de granularité dans lequel il s’inscrit est, par exemple, l’établissement), mais bien à son échelle réticulaire (vision du numérique reliant les différentes entités et acteurs, au sein de référentiels, de champs d’interactions et de cercles opérationnels, recouvrant un territoire donné – le département ou la région par ex. -).
Viser cette voie médiane entre le système actuel pyramidal, et sa complète atomisation, revient à concevoir l’éducation 2.0 dans une vision beaucoup plus orientée « territoires + numérique » (et conséquemment une plus grande autonomisation locale, des acteurs de terrain).
Le numérique, compris dans ses conceptions technologiques actuelles (SOA, cloud computing…) devrait s’intégrer non pas seulement dans le contenu et les outils de l’école, mais bien servir de composant, de matériau, à *l’architecture*, l’ossature-même du système scolaire.
Ossature qui devrait s’aplatir, et s’étendre d’articulations fines, sans s’arrêter aux niveaux intermédiaires ni se limiter au traitement des aspects administratifs. Et ossature dont l’Etat se devrait d’être garant afin d’exclure toutes inégalités à ce titre. Ce qui de faits, revient à viser l’inverse de l’actuelle répartition d’attributions « Etat / collectivités » pour ce qui concerne les moyens matériels.