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Dans le système éducatif français, le collège représente le premier cycle du second degré. S’inscrivant dans le prolongement de l’école élémentaire, il dispense un enseignement de quatre années aux élèves âgés de 10-11 ans (classe de sixième) à 14-15 ans (classe de troisième) [1]. L’organisation et la gestion de l’enseignement au collège relèvent de la compétence de l’État qui confie cette responsabilité au ministère de l’Éducation nationale (définition des programmes). Dans chaque région et département, l’administration de l’éducation nationale est présente à travers ses services déconcentrés (rectorat et inspection d’académie). Quant aux conseils généraux qui constituent les assemblées délibérantes des départements, ils ont la responsabilité de la construction, de la rénovation, des dépenses d’entretien et de fonctionnement des collèges publics. Ils ont également en charge l’organisation et le financement du transport scolaire des collégiens [2].
Depuis le 1er janvier 2005, une nouvelle compétence a été transférée à cette collectivité: la sectorisation des collèges publics. Les conseils généraux définissent ainsi l’affectation des élèves à un établissement en fonction du lieu de résidence des familles. La sectorisation scolaire a pour objectifs d’équilibrer les effectifs des collèges en fonction de leur capacité d’accueil, de favoriser la mixité sociale au sein des établissements et pour les territoires ruraux, de rationaliser les circuits de transport scolaire. Ainsi, les départements doivent gérer au mieux l’implantation et les capacités d’accueil des collèges (restructuration, construction, fermeture) en tenant compte des critères d’équilibre démographique, économique et social. Ce transfert de compétence amène donc la collectivité à s’interroger sur la géographie de ses collèges: ainsi la question de l’ouverture de nouveaux collèges se pose pour des espaces en forte croissance démographique tandis que la fermeture d’établissements est une hypothèse évoquée pour des espaces moins dynamiques.
Pour adapter leur offre scolaire aux évolutions démographiques et sociales, les conseils régionaux conduisent diverses études prospectives. Or, ces investigations reposent bien souvent sur une série de données dont les sources et les années de référence sont différentes (inspection d’académie, mairies, collèges, etc.). Par ailleurs, le recueil d’informations s’effectue manuellement, il est au mieux complété par des visites et des entretiens, et la démarche, très consommatrice de temps, peut entraîner des erreurs lors de la saisie et du croisement des données. L’inconvénient majeur, dans le cas d’études ponctuelles, reste que les observations se révèlent vite obsolètes.
Dans ce difficile exercice de la gestion des processus scolaires, les collectivités sont demandeuses d’outils d’aide à la décision, permettant à la fois d’éclairer les situations actuelles et de dessiner les futurs possibles. Ainsi, l’outil «Prospective scolaire» a été développé pour accompagner les conseils généraux dans leur compétence nouvelle [3]. Outil consultable en intranet, il permet de construire à la demande des utilisateurs des diagnostics territoriaux, d’élaborer des tendances d’évolution d’un espace ou encore de réaliser des scénarios d’évolution de l’offre scolaire (par exemple, quelles seraient les incidences de l’ouverture d’un nouvel établissement).
La genèse de l’outil «Prospective scolaire»
Que ce soit en France ou à l’étranger, les réflexions géographiques portant sur l’optimisation de la localisation des équipements scolaires ont abouti à une littérature assez riche. Antonio Antunes, Dominique Peeters et João Teixera (2007) ont dressé un tableau des principales approches en matière de planification scolaire. À chaque fois, les modèles visent à minimiser la distance entre le domicile de l’élève et le lieu de scolarisation; selon les auteurs, d’autres facteurs sont également retenus comme la minimisation des coûts (Antunes, Peeters, 2000) ou encore la mixité sociale au sein des écoles (Church, Murray, 1993). Plus récemment, Éric Delmelle, Dominique Peeters, Isabelle Thomas et Jean-Claude Thill (2012) intègrent une nouvelle variable: la date d’ouverture de l’école. Dans un contexte de baisse des effectifs scolaires, il semble, en effet, difficilement concevable et acceptable de fermer une école récemment ouverte.
Notre travail s’inscrit dans une démarche assez différente de celle de ces auteurs, mais il ne s’en éloigne pas totalement. L’outil «Prospective scolaire» est en quelque sorte l’aboutissement de plusieurs études menées sur le terrain et de nombreuses rencontres avec les techniciens des collectivités territoriales et des décideurs politiques locaux. En effet, depuis la loi de décentralisation de 2005 qui a confié aux conseils généraux la responsabilité de la sectorisation des collèges publics, nous avons été sollicités, en tant que géographes, à répondre à des problématiques variées (Caro et al., 2006a et b): fermeture d’établissements dans les territoires en baisse démographique ou alors construction de nouveaux établissements dans le cas d’une forte poussée démographique. La conduite de ce type d’études dans une quinzaine de départements nous a amenés, avec une équipe d’informaticiens spécialisés, à bâtir un outil qui assiste les collectivités dans cette compétence. Volontairement, l’outil ne repose pas sur un modèle d’optimisation de localisation des collèges (minimisation de la distance élèves/collège par exemple) et ne cherche pas à soumettre une géographie idéale des équipements scolaires. C’est aux utilisateurs [4], les techniciens des collectivités, de construire dans l’outil leurs propres simulations sur la base des diagnostics établis par ce dernier et de leur propre connaissance de terrain: ils peuvent modifier l’offre scolaire pour les prochaines années et visualiser les répercussions en matière de distances parcourues par les élèves ou encore les changements en matière de composition sociale des établissements. En partant du constat que la décision politique en termes d’offre scolaire est le fruit d’arbitrages parfois subtils, «Prospective scolaire» est un outil qui se veut véritablement ouvert, ne privilégiant aucun facteur de localisations. Cette souplesse était un préalable vivement souhaité par les acteurs politico-administratifs qui veulent explorer en amont toutes les pistes possibles d’évolution de l’offre scolaire.
Par ailleurs, il est important de préciser que le facteur «coût» n’est pas intégré dans l’outil, même si les collectivités s’en préoccupent fortement. Évidemment, l’aspect financier constitue une variable notable dans tout projet de réorganisation de l’offre scolaire. Mais très rapidement, il s’est révélé illusoire d’intégrer cette composante dans l’outil au regard de la grande variabilité des situations: les coûts de construction d’un nouveau collège sont difficilement estimables en amont (architecture du bâtiment, équipements annexes comme équipements sportifs, parkings, etc., [5]) et les répercussions financières d’un changement de carte scolaire sur le transport sont difficilement mesurables (possibilité de mutualiser le transport des collégiens avec celui des écoliers, refonte en partie des circuits).
Les données: intégration, mise en relation et actualisation
La gestion de la sectorisation des collèges publics doit prendre en considération plusieurs informations, provenant de divers organismes: le conseil général qui dispose de données relatives aux périmètres de recrutement des collèges (adresses, affectations à l’établissement), aux transports scolaires (points d’arrêt et horaires de ramassage) et aux bâtiments scolaires (nombre et type de salles, capacité d’accueil), l’inspection académique qui possède des informations à la fois sur les établissements (options dispensées, évolution des effectifs par niveau) et les publics scolaires (lieu de résidence, composition sociale), les municipalités (documents d’urbanisme, caractéristiques des projets de nouveaux logements) et l’INSEE (données relatives à la population et aux logements). De plus, «Prospective scolaire» permet l’intégration des données géographiques issues de l’IGN (couche communale, base adresse départementale, routes) et de l’INSEE (quartier et îlot).
1. Le croisement et le traitement des données pour construire une aide à la décision efficiente |
La figure 1 présente une vue synthétique des données utilisées pour construire l’application de l’outil; la mise en relation des informations délaisse l’approche sectorielle pour privilégier une entrée véritablement systémique des territoires scolaires. «Prospective scolaire» définit le type de relations entre les composantes du système. Par exemple, les projets immobiliers sont localisés dans une commune donnée, et cette dernière est rattachée à un collège public. Grâce aux relations mises en place, l’outil permet ainsi de connecter cette information immobilière à l’établissement scolaire: selon le calendrier de livraison et le type de logements prévus, de nouveaux élèves s’inscriront dans ce collège.
Ainsi, la démarche replace, de manière automatique, l’établissement scolaire dans son environnement géographique: contexte démographique et social, concordance entre le périmètre de recrutement du collège et le contour du bassin de vie des habitants, projets de nouveaux logements. La démarche permet dès lors de connecter en permanence les caractéristiques spatiales à l’établissement scolaire: l’outil met toujours le territoire au cœur des réflexions des décideurs.
Après chaque rentrée scolaire ou nouvelle année civile, les données doivent être actualisées. L’efficacité de «Prospective scolaire» repose, en partie, sur sa capacité à mettre à jour toutes les informations inhérentes à la problématique scolaire. L’intégration des informations dans l’outil s’effectue soit par importation, soit par saisie. Pour chaque type de données, un module d’importation est défini pour accompagner l’utilisateur dans cette tâche. Différents paramètres sont établis afin de vérifier la qualité des fichiers: lorsque ces derniers recèlent une erreur, un message affiche l’anomalie détectée (format du fichier, non-respect des colonnes ou des types de données). Cet accompagnement dans la mise à jour des données sécurise et stabilise dès lors l’ensemble de l’outil, sans quoi il perdrait tout son intérêt dans le processus d’aide à la décision. Mais, pour certaines informations, l’actualisation une fois par an se révèle insuffisante car des évolutions peuvent intervenir en cours d’année. Par exemple, les informations relatives aux nouvelles constructions de logements enregistrées à un instant t se révèlent vite obsolètes: de nouveaux programmes apparaissent régulièrement, le calendrier de livraison des projets auparavant identifiés est modifié, un programme a été annulé, etc. L’outil doit donc proposer à la fois une architecture solide, où chaque importation de données est contrôlée, et une certaine réactivité face aux évolutions soudaines.
Croiser les données pour bâtir des diagnostics scolaires et territoriaux
La base de l’outil structure et met en relation les informations portant sur des thématiques différentes qui sont rarement investies conjointement: l’élève et ses caractéristiques (lieu de résidence, appartenance sociale, âge, sexe, [6]), le collège (localisation, propriétés des bâtiments, options d’enseignement) et le territoire (âge de la population, profil de l’habitat ou encore projets d’urbanisation). «Prospective scolaire» autorise ainsi une vision globale et transversale de la problématique scolaire. En croisant ces multiples données (fig. 1), l’outil est en mesure de construire l’états des lieux à différentes échelles géographiques: la commune, le canton, le bassin de formation ou le département. L’utilisateur peut ainsi prendre connaissance de la dynamique des processus scolaires sur un territoire qu’il aura préalablement sélectionné.
2. Les aires de recrutement de deux collèges de Mantes-la-Jolie (Yvelines): un collège de quartier (collège A) et un collège de type «centre-ville» (collège B) |
Nb: Pour améliorer la lisibilité de la carte, le numéro des rues n’a pas été pris en compte. Chaque cercle présente le total d’enfants par rue et le cercle correspondant est positionné au milieu de chaque linéaire. En revanche, le numéro de rue est pris en considération dans le cadre des simulations (transfert de rues entières/numéros de rue d’un établissement vers un autre). |
La figure 2 cartographie le lieu de résidence des collégiens qui fréquentent deux collèges publics de Mantes-la-Jolie (42 000 habitants, département des Yvelines). Ce type de représentation cartographique est un élément important dans la conduite de politiques scolaires car il permet de visualiser le rayonnement géographique d’établissements aux profils bien distincts. Le collège A [7] est localisé au cœur même du quartier jugé sensible du Val-Fourré (21 000 habitants, ouest de la ville) et tous les élèves habitent à proximité de l’établissement (établissement classé «Ambition réussite»). C’est un petit collège par le nombre d’enfants scolarisés (250 en enseignement général) mais imposant par les bâtiments (capacité de 900 élèves). Le taux d’occupation relativement faible pose dès lors la question du maintien de l’établissement et de la nouvelle utilisation des bâtiments en cas de fermeture. Quant au collège B, il est localisé en centre-ville et opère un recrutement dans toute la ville. C’est un établissement de taille moyenne (450 élèves) dont près du quart des effectifs ne réside pas dans le secteur d’attribution. Les résultats scolaires, les options proposées et l’image du collège B sont les facteurs déterminants de son attractivité.
3. L’appartenance sociale des élèves des collèges A et B (Mantes-la-Jolie): deux profils bien distincts |
De plus, d’ici 15 ans, la ville de Mantes-la-Jolie connaîtra de profondes mutations urbaines avec une modification de l’habitat au sein du quartier du Val-Fourré: démolition de 500 logements sociaux et construction de 1 000 logements en accession à la propriété. Ces opérations de renouvellement urbain ne seront pas sans conséquence pour les établissements scolaires: les déplacements de population à l’intérieur de la ville et même au-delà vont modifier le nombre d’élèves par collège et probablement aussi la composition sociale des établissements. L’outil «Prospective scolaire» propose ainsi des indicateurs de veille qui permettent de mieux intégrer la question de la mixité sociale au sein des collèges, notion très débattue depuis quelques années et qui est la raison majeure de la série d’assouplissements apportés à la sectorisation scolaire [8].
La figure 3 revient sur la situation des collèges A et B de Mantes-la-Jolie en exposant le profil social de leurs élèves. Une fois encore, les disparités sont flagrantes. Près de 90% des élèves du collège A relèvent d’une classe sociale dite défavorisée et moins de 4% d’une classe dite favorisée [9]. Le collège B affiche, quant à lui, une répartition plus équilibrée même si les catégories sociales favorisées y sont toujours moins nombreuses qu’au niveau départemental. Grâce à sa base de données spatio-temporelles, l’outil peut retracer l’évolution du profil social de chaque établissement et connecter cette variation aux dynamiques urbaines et sociales des territoires. «Prospective scolaire» met dès lors en avant les interactions entre le collège public et son environnement géographique: cette démarche aide à considérer pleinement l’établissement scolaire dans les politiques urbaines.
Quelles évolutions futures des territoires scolaires?
L’outil élabore des diagnostics territoriaux et scolaires sur les situations actuelles, à l’aide d’indicateurs thématiques et cartographiques (la composition sociale des élèves ou les temps de transport scolaire par exemple). Ces photographies sont intéressantes car elles rendent les analyses plus objectives et évacuent certaines idées reçues. Mais, dans son objectif d’aide à la décision, l’outil doit adosser à ces clichés des éléments prospectifs qui esquissent les évolutions futures de chaque territoire scolaire.
Pour les collectivités, l’exercice d’évaluation des effectifs scolaires futurs, à moyen et long termes (5 à 10 ans) revêt un caractère presque obligatoire en vue d’élaborer un schéma cohérent de l’adaptation de l’offre aux besoins scolaires. La tâche est ici complexe car de nombreux paramètres interviennent en matière de démographie scolaire. Ainsi, pour chaque collège et territoire, «Prospective scolaire» scrute minutieusement les caractéristiques et les dynamiques en cours en interrogeant simultanément les diverses données qui alimentent l’outil:
- les effectifs par niveau scolaire des écoles et des collèges publics et privés sous contrat;
- les dérogations accordées pour chaque collège;
- les «départs» vers l’enseignement privé;
- les dynamiques démographiques de chaque secteur scolaire avec notamment la prise en compte des données relatives aux naissances (nombre par commune) et les flux migratoires;
- les projets de construction de nouveaux logements avec leurs caractéristiques: calendrier de livraison, habitation en accession à la propriété ou en location, taille (F1, F2, etc.) et type de logement (collectif ou individuel).
Pour chaque collège, «Prospective scolaire» autorise ainsi le calcul des taux de passage [10] qui constituent des indicateurs de référence pour les services statistiques de l’inspection d’académie. La démarche consiste ici à réaliser une sorte de suivi de cohorte des enfants (naissances, écoliers puis collégiens) pour en déduire leur nombre pour les prochaines rentrées scolaires. L’outil automatise cette procédure grâce aux liens préalablement définis par le modèle conceptuel de données (commune/collège, quartier/collège ou encore école/collège). Mais la méthode peut se révéler vite discutable lorsque les territoires affichent de grands projets immobiliers: les nouveaux logements sont alors intégrés dans la procédure de calcul en estimant l’apport de nouveaux élèves liés à chaque opération. Selon le type de commune (rural profond, périurbain ou pôle urbain) et les caractéristiques des logements (nombre de pièces, location/accession), les projets attirent plus ou moins de nouvelles familles avec des enfants en âge ou non d’être scolarisés.
Depuis 2010, le conseil général du Var utilise «Prospective scolaire» afin de connaître le plus finement possible les évolutions démographiques futures de ses 70 collèges publics. C’est un département relativement peuplé (près d’un million d’habitants) qui connaît un certain vieillissement de sa population sur le littoral et un essor démographique soutenu dans son arrière-pays. Le coût du foncier et de l’immobilier explique ces deux trajectoires divergentes. Sans surprise, la cartographie de l’évolution prévisionnelle des effectifs scolaires à moyen terme (2014) redessine cette opposition entre le littoral et l’arrière-pays varois (fig. 4). Sur la période étudiée, l’ensemble des collèges publics du département perdront environ 850 élèves, soit 2% des effectifs. Mais cette baisse masque des disparités spatiales sérieuses et les problématiques posées diffèrent sensiblement d’un territoire à l’autre.
4. L’évolution prévisionnelle des effectifs scolaires des collèges du Var (2009-2014) |
Comme la plupart des villes françaises, Toulon (165 000 habitants, 10 collèges publics) se caractérise par une forte érosion de ses effectifs collégiens depuis plusieurs années. Sur la base des projections de l’outil, le chef-lieu du département connaîtra encore une perte de près de 450 élèves en 5 ans, soit l’équivalent d’un collège public de taille moyenne. Ici, les coûts relativement élevés de l’immobilier et du foncier freinent l’installation de couples en âge d’avoir des enfants au collège. La croissance démographique se reporte logiquement vers l’arrière-pays rural où l’accession à la propriété est plus abordable. Dans la partie ouest du département, vers Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (14 000 habitants, +16,6% entre 1999 et 2006), Barjols (3 000, +25%) et jusqu’à Vinon-sur-Verdon (4 000, +25%), les gains de population sont parmi les plus élevés du Var.
Assez logiquement, cette dynamique a un impact sur la fréquentation des établissements scolaires. En effet, d’ici 2014, les deux collèges publics de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume accueilleront plus de 200 élèves supplémentaires et les effectifs de l’un des deux établissements dépasseront les 1 000 élèves! De plus, cette tendance semble s’inscrire dans la durée puisque plusieurs collèges afficheront des effectifs toujours plus élevés d’ici 2019. La commune de Barjols, située à 20 km au nord-est de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, se caractérise par une envolée pérenne de ses effectifs scolaires: à l’horizon 2019, son collège sera fréquenté par 200 élèves en plus, ce qui représente 8 classes de 25 enfants.
La plupart des collèges publics du Var ont été construits il y a plusieurs décennies (1960-1970); le choix de leur localisation et du dimensionnement des bâtiments a été effectué pour satisfaire les besoins de la période. Or, pour les prochaines rentrées scolaires, cette géographie de l’offre ne semble plus véritablement adaptée aux besoins futurs. La figure 5 met sur carte un indicateur fondamental dans la conduite des politiques scolaires: le taux d’occupation des collèges publics. C’est le résultat d’un calcul simple (effectifs/capacités d’accueil x 100) mais qui se montre plutôt efficace pour pointer les situations critiques. La définition de la capacité d’accueil d’un établissement scolaire se base sur le nombre de salles de cours, en distinguant notamment celles qui sont dotées d’équipements spécifiques (pour les disciplines comme les sciences de la vie et de la terre ou la technologie) de celles n’en disposant pas (pour le français ou l’histoire-géographie).
5. Les taux d’occupation des collèges du Var à la rentrée 2014 |
Souvent considéré comme un «signal d’alerte» par les acteurs en charge de la sectorisation des collèges, le taux d’occupation identifie les établissements sous-fréquentés (en vert sur la carte), c’est-à-dire ceux où les effectifs sont inférieurs aux capacités d’accueil, et les collèges au contraire en sureffectif (en rouge sur la carte). À la rentrée scolaire 2014, onze collèges varois accueilleront davantage d’élèves que leur capacité ne le permet. La situation deviendra très tendue pour certains établissements, en particulier pour le collège Matisse à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (manque de 180 places en 2014) ou celui de Barjols (déficit de 110 places). Sur cette partie du territoire, en matière de réorganisation de la sectorisation des collèges publics, la marge de manœuvre de la collectivité est réduite car la majorité des collèges présente des sureffectifs. Il est ici difficile d’alléger certains établissements scolaires en dirigeant une partie de leurs élèves vers un collège voisin. Au sud du département, les collèges toulonnais sont, au contraire, loin d’être saturés: si l’établissement Voltaire est en sureffectif depuis plusieurs années, tous les autres collèges de la ville présentent de grandes marges d’accueil. Avec seulement 345 élèves attendus en 2014, le collège Marquisanne est loin de remplir ses bâtiments prévus pour 900 places! Au total, les dix collèges publics toulonnais présentent une marge d’accueil de près de 3 000 places, ce qui correspond à cinq collèges de type 600.
Construire des simulations de modification de l’offre scolaire
Lorsque les effectifs scolaires d’un collège connaissent une forte baisse et que le taux d’occupation tend à diminuer, la collectivité peut élargir le périmètre de recrutement. La démarche consiste à transférer des rues, des quartiers ou des communes rattachés à un collège public vers l’établissement en perte d’effectifs. Dans ce cas, le conseil général doit veiller à ce que les temps de transport scolaire restent acceptables pour les enfants et à ce que les changements de périmètre scolaire ne pénalisent pas le précédent collège de rattachement. En dernière recours, la fermeture du collège peut être évoquée lorsque les effectifs sont jugés insuffisants par la collectivité. Cette dernière devra alors engager un important travail de concertation auprès des familles et de la communauté éducative.
A contrario, une forte hausse des effectifs sur un territoire peut amener le conseil général à prendre d’autres décisions: modification des périmètres de recrutement, extension des capacités d’accueil des collèges existants en construisant de nouvelles salles de classe ou en utilisant des bâtiments modulaires (préfabriqués). Lorsque la progression des effectifs ne peut pas être résolue par ces pistes, la construction d’un nouveau collège peut se révéler nécessaire. Plusieurs questions se posent alors à la collectivité: quelle doit être la taille de l’établissement (type 400, 600, 800…)? Quelle localisation? Quel périmètre de recrutement du collège? Quelle date de livraison du nouveau collège? Pour répondre simultanément à ces interrogations, tous les paramètres inhérents à la problématique scolaire doivent être pris en considération: démographie actuelle et future des collèges, capacité d’accueil des établissements, dynamique des territoires, distance/temps de commune à commune, etc. L’exercice est complexe et le conseil général devra être en mesure de répondre efficacement aux attentes voire aux contestations des usagers (les parents d’élèves), des maires ou encore des syndicats du personnel éducatif.
La figure 6 revient sur la démographie des collèges varois, en particulier ceux de la Provence Verte [11] (ouest du département). Plusieurs établissements ne seront pas en mesure d’accueillir tous les élèves à l’horizon 2014. Le conseil général doit alors anticiper cette poussée des effectifs en modifiant l’offre scolaire sur ce territoire. À l’aide du menu «Simulation», l’outil «Prospective scolaire» permet de réaliser, pour un même espace, une série de scénarios visant à adapter l’offre scolaire aux besoins futurs. Dans ce menu, l’utilisateur sélectionne d’abord le collège qui fait l’objet d’une ou de plusieurs simulations, il choisit ensuite le type de scénario envisagé (transferts de communes, ouverture d’un nouvel établissement, etc.). La figure 6 et le tableau 1 présentent les différentes mesures retenues par le conseil général du Var sur le territoire de la Provence Verte. Pour la rentrée 2017, il a été décidé d’ouvrir un nouveau collège à Carcès, d’une capacité de 600 élèves. Il aurait été certes préférable que le collège ouvre ses portes avant cette date mais la livraison d’un tel équipement public nécessite plusieurs années. D’ici 2017, la collectivité ajustera les périmètres de recrutement des collèges pour satisfaire au mieux cet essor des effectifs.
6. Un nouveau collège pour répondre à la croissance des effectifs scolaires sur le territoire de la Provence Verte (Var) |
Carcès, petite ville de 3 000 habitants, a été choisie comme commune d’implantation du nouveau collège car elle se situe à l’épicentre des futurs besoins scolaires et permet, de ce fait, d’«alléger» plusieurs établissements. Malgré l’ouverture de ce nouvel établissement, certains collèges continueront d’afficher des situations de sureffectifs: le conseil général a donc décidé de porter les capacités d’accueil des collèges de Barjols et de Saint-Zacharie de 600 à 700 élèves. Tous ces investissements permettront de résorber les situations de sureffectifs des collèges de la Provence Verte. De plus, le tableau des incidences de ces mesures (tableau 1) montre que les nouvelles capacités d’accueil ne désemplissent pas les collèges existants car en 2017, aucun établissement ne comptera moins de 500 élèves. Les collèges actuels ne sont pas fragilisés.
L’exemple varois illustre l’adaptation de l’offre scolaire aux évolutions démographiques. Ce cas porte sur la distribution spatiale des équipements scolaires, mais sans véritablement se soucier des formations dispensées par ce service public (options attractives comme le russe ou le chinois). À la demande de la collectivité, «Prospective scolaire» permettrait de travailler sur la couverture géographique de certaines filières, en désignant notamment l’inégale accessibilité à celles-ci; mais à ce jour, aucun conseil général n’a souhaité investir cette question difficile des inégalités spatiales de l’offre de formation scolaire. Leur préoccupation première est, d’abord, de rationaliser l’occupation des collèges.
7. L’historique d’une simulation: le prélèvement de deux communes du périmètre de recrutement d’un collège bordelais |
Avant qu’une proposition de modification ne soit réellement mise en œuvre, elle doit au préalable transiter par les traditionnels circuits administratifs et politiques. Dans ce sens, «Prospective scolaire» édite un suivi de l’état des simulations. La figure 7 présente l’historique du cycle de vie d’une proposition concernant un collège bordelais. Il est ici question de prélever deux communes à cet établissement car ses effectifs scolaires progressent fortement. En concertation avec le conseil général de la Gironde, une sorte de parcours type a été tracé pour chaque simulation. Dans un premier temps, la proposition retient l’attention du bureau d’études veille et prospective (BEVP, cellule du conseil général qui a pour mission la collecte de données, leur traitement et analyse). Dans un second temps, le BEVP peut choisir ou non de soumettre la proposition à la direction générale adjointe chargée de la jeunesse, de l’éducation, des sports et de la vie associative (DGAJ). À ce stade, la proposition reste dans le cercle administratif, les élus ne sont pas encore impliqués dans le processus. Ils le seront ensuite si la DGAJ valide la proposition: les propositions de modifications sont alors soumises à l’avis consultatif du conseil départemental de l’éducation nationale (CDEN). Cette structure consultative, présidée conjointement par le préfet et le président du conseil général, est composée des différents acteurs des affaires scolaires: les collectivités territoriales (maires, conseillers généraux et régionaux), les représentants du personnel de l’Éducation nationale et les usagers (parents d’élèves notamment). La proposition devient dès lors publique. Enfin, la dernière étape du processus est la validation par les élus qui siègent à la commission permanente (CP) du conseil général. Cette dernière gère en quelque sorte les affaires courantes de la collectivité en assurant une permanence de l’assemblée départementale. Comme le montre la figure 7, le cheminement de la proposition n’est pas toujours linéaire: l’outil autorise les marches-arrière et même le rejet de la proposition à n’importe quelle étape du parcours. En ce sens, l’outil est fidèle et s’adapte à la réalité parfois complexe du terrain et aux relations parfois tendues entre les acteurs.
Conclusion
Dans l’exercice difficile de la gestion de la sectorisation des collèges publics, «Prospective scolaire» se révèle être un outil précieux car il accompagne la collectivité de la phase amont du travail (collecte des données, organisation) jusqu’à l’étape finale (validation par les instances politiques d’une simulation). Outil de collecte et de sécurisation des données, d’élaboration de diagnostics et de cartographie, il investit aussi pleinement le champ de la prospective en automatisant les effectifs futurs de chaque collège et en construisant des simulations de modifications de l’offre scolaire.
Mais la conduite des politiques scolaires ne peut se satisfaire d’une approche quantitative, aussi pertinente et efficace soit-elle. Le travail et la connaissance de terrain, la perception des acteurs, les relations bâties avec les partenaires sont fondamentales. Là est l’enjeu de ce type d’outil: associer le volet qualitatif à la démarche quantitative. Ceci impliquerait dès lors un investissement encore plus fort de la collectivité dans la mise en œuvre. On serait ainsi dans une véritable démarche de co-construction de ce type d’outil.
Bibliographie
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