PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Vincent Peillon a annoncé le 9 octobre que la scolarisation des enfants de moins de 3 ans serait relancée « dès la rentrée 2013 dans les zones en difficulté ». « C’est dans ce très jeune âge que se nouent souvent des inégalités » a-t-il expliqué. Est-ce pour autant « la » bonne solution?

Depuis dix ans, la scolarisation de ces enfants fait l’objet de débats passionnés voire confus (cf. encadré). Pendant ce temps, les décisions politiques ont visé son extinction. Or la majorité des enfants de 2 ans est loin, aujourd’hui, de pouvoir bénéficier d’un mode d’accueil collectif (13 0/o en 2010 (1)) ou d’une primo-scolarisation (11,6% en 2011, mais 35,40% en 2000 (2))- Le quotidien des trois quarts d’entre eux dépend donc, par choix ou par nécessité, de leurs parents, de la famille élargie, ou d’une assistante maternelle agréée ou non.

Principes

Les chercheurs ont mis l’accent sur le caractère "déterminant" de la troisième année de vie pour ce qui concerne la consolidation des acquis psychomoteurs, l’enrichissement du langage, l’ouverture relationnelle et la socialisation, notamment par le jeu et la construction de l’identité. Parents, professionnels et élus en sont convaincus. Dès lors, le confinement contraint à domicile d’un jeune enfant avec un parent, le plus souvent sa mère, est-il propice à favoriser son « éveil »? Et à quelles conditions l’accueil dès 2 ans à l’école peut-il y contribuer? Sans vraiment répondre à ces questions, la loi d’orientation du 10 juillet 1989 sur l’éducation avait du moins redéfini les principes de scolarisation des jeunes enfants : "Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de 3 ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus prés possible de son domicile, si la famille en fait la demande. L’accueil des enfants de 2 ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne" (3).

Impact positif

Plusieurs études réalisées – en 1992, 1998 et notamment en 2001 (4) – par les services du ministère de l’Éducation nationale ont en effet mis en évidence l’impact relativement positif de la scolarité dès 2 ans, évalué sur quelques indicateurs de résultats scolaires (acquis cognitifs au CP, accès au CE2 et en 6ème sans redoublement). Le bénéfice s’en observait surtout dans les catégories sociales les plus favorisées et les plus défavorisées, et notamment chez les enfants "étrangers ou issus de l’immigration, auxquels elle apporte une appropriation plus rapide de la langue et de la culture françaises" (5). Toutefois, la différence de réussite entre les enfants scolarisés à 2 ans et les enfants scolarisés à 3 ans semblait assez faible. En outre, ces résultats ont été établis dans le contexte des conditions du moment (effectifs, encadrement professionnel, locaux, horaires, projets pédagogiques, etc.) de l’accueil scolaire des très jeunes enfants. Celles-ci ont progressé depuis vingt ans, et des expériences de décloisonnement avec des personnels et des services d’accueil municipaux ont été menées avec succès (sous forme de dispositifs ou de classes « passerelles », par exemple).

Plus pédagogiques

L’adéquation des structures scolaires aux besoins physiologiques et psychoaffectifs des enfants de 2 ans reste néanmoins le talon d’Achille des promoteurs de la scolarisation précoce. Plutôt que d’être caricaturée comme un "mode de garde" gratuit pour les parents et néfaste pour les enfants, l’école à 2 ans gagnerait à ce qu’on y repère les facteurs de bientraitance à consolider et développer. Ainsi faut-il favoriser tout d’abord l’accueil, la présence et la participation des parents, mais aussi la collaboration de professionnels du secteur municipal de la petite enfance. Il faut ensuite, bien entendu, obtenir des communes qu’elles adaptent les locaux, le mobilier et  les rythmes de vie de l’école aux caractéristiques des enfants. Mais l’essentiel repose sur l’encadrement et le projet pédagogiques. On a déjà pu observer (6) que, au sein d’une structure collective, les jeunes enfants établissent plus facilement une relation sécurisée avec un adulte si celui-ci constitue une figure de référence. Or ceci est moins fréquent à la crèche, du fait de la rotation des auxiliaires de puériculture, qu’à l’école, où l’enseignant et l’Atsem sont stables. Si beaucoup d’activités sort similaires, celles de l’école sont plus pédagogiques, alors que celles de la crèche favorisent les jeux libres. Mais les temps d’inactivité apparente sont plus nombreux à l’école ; pour les réduire et mieux les gérer, il faut que la formation des adultes, un meilleur ratio adultes/enfants ou la mise à disposition, par les communes, d’éducateurs de jeunes enfants permettent d’accroître les temps consacrés aux jeux, à l’expression et aux activités de groupe.

Efficience

Le renforcement du partenariat historique entre les communes, I’État et les CAF – par exemple dans le cadre du projet éducatif local – est au total indispensable pour que tous les parents qui le souhaitent, et les enfants de 2 ans qui le peuvent, bénéficient d’une scolarité de qualité. À défaut de quoi, en période de forte tension budgétaire et de tentation de maintenir ou de renvoyer au foyer les femmes ayant un faible accès au marché de l’emploi, l’Etat et les communes pourraient poser de nouveau une question formulée dès 2003 : "Un souci d’équité devrait conduire à développer prioritairement la scolarisation à 2 ans sur le territoire de l’éducation prioritaire, où sont concentrés les enfants des catégories sociales les plus défavorisées et les enfants d’origine étrangère ou immigrée. [ . .] Reste à envisager la question de savoir si une politique de développement de la pré-scolarisation à 2 ans – même très sélective – est plus intéressante, par rapport à son coût, c’est-à-dire plus efficiente, que d’autres mesures de politique éducative, comme par exemple une aide spécifique aux élèves en difficulté en début de primaire ou des mesures en direction de la formation des enseignants » (5).

Frédéric Jésu
Pédopsychiatre, consultant, vice-président de DEI-France

(1) L’offre d’accueil des enfants de moins de 3 ans en 2010,
Drees, n’ 803, luis 2012 (http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/er803.pdf).
(2) Note d’information DEPP/MENJVA, n° 11.26  "Les élèves du premier degré"
(http:/www.education.gouv.fr/cid58840/les-eleves-du-premier-degre.html).
(3) Article L113-1 du Code de l’éducation .
(4J Jean-Paul Caille : "Scolarisation à 2 ans et réussite de la
carrière scolaire au début de l’école élémentaire" Éducation
et formations, n°60, juillet-septembre 2001, P.7-18.
(5] Éducation et formations, n°66, juillet-décembre 2003, p.7-12.
(6) Agnès Florin, "La scolarisation à 2 ans", INRP, 2000

Des arguments contradictoires . . .
• « Scolariser les enfants de 2 ans comme ceux qui ont un an de plus, c’est comme si on les plongeait dans une piscine olympique au lieu d’une pataugeoire » (Danielle Dalloz, psychanalyste. Libération, 5 septembre 2003).
• « Pour la plupart des petits, la scolarisation dès 2 ans est enrichissante : bien que l’enfant soit dès la naissance doué de sociabilité, il a besoin de se construire par rapport à d’autres individus de son âge et à des adultes différents de ses parents » (Sylvie chevillard, conseillère pédagogique et chercheuse à Paris VIII. L’Express, 22 mars 2004).
• Dépêche AFP du 31 août 2005 : « La scolarisation des enfants de 2 ans en chute libre […] Un débat persiste à l’initiative notamment de la Défenseure des enfants, Claire Brisset, soutenue par des pédopsychiatres, sur d’éventuels effets néfastes d’une entrée trop précoce à l’école. Celle-ci se traduirait notamment par des réactions de solitude, d’inhibition, d’agressivité qui se développeraient à l’adolescence en conduites dépressives, addictives ou violentes ». Aucune étude ne vient prouver ces affirmations (1).
• Relevé de conclusions des services du Premier ministre à l’issue du Comité interministériel 6 septembre 2012 destiné à définir les éléments d’une stratégie d’ensemble pour « rétablir la sécurité dans l’agglomération marseillaise » : « Développement de la pré-scolarisation des enfants de moins de 3 ans dans les zones prioritaires. Objectif: passer en cinq ans de moins de 15 % dans les zones prioritaires à 30 % ». On s’interroge sur les liens entre scolarisation à 3 ans et sécurité publique . . .
(1) Il y a de consensus ni des pédopsychiatres, ni des psychologues, ni des chercheurs en sciences de l’éducation ni des enseignants pour soutenir de telles applications.

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