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L’accueil médiatique, syndical et associatif réservé au projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République[1] n’a pas mis l’accent sur une caractéristique forte de ce projet, souvent considérée comme une faiblesse par les commentateurs. C’est qu’il s’inscrit de bout en bout dans une logique de gouvernance, et qu’il ne privilégie aucune des formes de gouvernance, mais les associe en une approche systémique cohérente.
La forme de gouvernance à laquelle nous avait habitués le quinquennat précédent, était la gouvernance instrumentale, qui recherchait de manière prioritaire à optimiser la dépense publique : considérant les coûts salariaux de l’éducation nationale, qui représentent plus de 95% du budget alloué au ministère, comme une dépense de fonctionnement, on a donc, pendant cinq années, procédé au non remplacement d’un départ à la retraite sur deux.
Le projet de loi d’orientation accorde également aux moyens budgétaires une attention forte. On peut même dire que c’est la première fois qu’une loi dite de programmation énonce clairement pour les années qui viennent les engagements de l’Etat dans le rapport annexé qui énonce clairement les objectifs poursuivis et les moyens mobilisés au service de cet objectif : « 60000 emplois dans l’enseignement sur la durée de la législature », dont 54000 au ministère de l’éducation nationale. Le rapport indique où seront affectés ces investissements en ressource humaine : 26 000 postes consacrés au rétablissement d’une véritable formation initiale pour nos enseignants, 21 000 postes d’enseignants titulaires créés pendant le quinquennat, en plus des postes nécessaires à la réforme de la formation initiale : 14000 dans le premier degré, 7000 dans le second ; les 26 000 stagiaires effectuant un demi-service d’enseignement représenteront un apport de 13 000 moyens nouveaux devant élèves.
Ce trait mérite qu’on s’y arrête. Il s’agit ici d’une véritable programmation, et d’une sanctuarisation de l’investissement en emplois pour l’éducation sur cinq ans. Quand on place cet engagement dans le contexte économique et budgétaire national, européen et mondial, on en mesure mieux encore la portée. Et cette sanctuarisation est liée à des objectifs qualitatifs et quantitatifs clairement énoncés dans l’exposé des motifs[2] :
« faire en sorte que tous les élèves maîtrisent les compétences de base en français (lecture, écriture, compréhension et vocabulaire) et les compétences en mathématiques (nombre, calcul et géométrie) en fin de CE1, et que tous les élèves maîtrisent les instruments fondamentaux de la connaissance en fin d’école élémentaire ;
– réduire à moins de 10 % l’écart de maîtrise des compétences en fin de CM2 entre les élèves de l’éducation prioritaire et les élèves hors éducation prioritaire ;
– réduire par deux la proportion des élèves qui sortent du système scolaire sans qualification et amener tous nos élèves à maîtriser le socle commun de connaissances, de compétences et de culture à l’issue de la scolarité obligatoire ;
– réaffirmer les objectifs de conduire plus de 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat et 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur. »
La seconde forme de gouvernance concerne l’extension de la concertation, des pratiques participatives, marquée par la création d’instances de consultation, de délibération et d’évaluation. De ce point de vue, le projet de loi ne déçoit pas non plus le lecteur. On ne citera que quelques exemples. Au sein même de l’institution scolaire, la création d’un conseil école-collège destiné à renforcer la continuité pédagogique et éducative au sein de l’école du socle, d’un conseil supérieur des programmes garant de la progressivité des apprentissages et de la cohérence du socle commun de connaissances de compétences et de culture, d’un conseil national d’évaluation du système éducatif garant de l’indépendance du système d’évaluation attestent cet approfondissement de la gouvernance procédurale.
Mais cette forme de gouvernance doit permettre d’améliorer la coopération entre toutes les parties prenantes de l’éducation. C’est pourquoi diverses mesures inscrites dans le projet de loi visent cet objectif. A l’échelle de l’établissement, le renforcement de la présence de représentants du département au conseil d’administration des collèges et de la région à celui des lycées en est un exemple. Le rapport indique clairement : « Si l’éducation revêt un caractère national, les collectivités territoriales, qui financent 25 % de la dépense intérieure d’éducation, jouent un rôle déterminant dans le bon fonctionnement du système éducatif notamment sur des questions centrales : les bâtiments, le numérique, les activités péri-éducatives, l’orientation, l’insertion professionnelle…Ainsi, les contrats d’objectifs des EPLE doivent devenir tripartites, en renforçant le rôle de la collectivité territoriale de rattachement. La représentation des collectivités territoriales est rééquilibrée au sein des conseils d’administration des établissements publics locaux d’enseignement. »
A l’échelle des territoires, le projet de loi indique que « l’organisation d’activités périscolaires peut être formalisée dans le cadre d’un projet éducatif territorial », ce projet offrant pour la première fois un cadre législatif facilitant la concertation des acteurs impliqués dans l’éducation. L’objectif global est bien de « redynamiser le dialogue entre l’école et ses partenaires : parents, collectivités territoriales et secteur associatif »
Enfin, il n’est pas indifférent de noter l’attention portée aux fondements éthiques de la démarche politique d’éducation. L’article 3 reprend et précise l’article 2 de la loi d’orientation de 2005 : « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République, parmi lesquelles l’égale dignité de tous les êtres humains, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité et la laïcité qui repose sur le respect de valeurs communes et la liberté de conscience. » Il n’est pas indifférent de noter que ces précisions (soulignées par nous en gras dans la citation) ont l’avantage de ne pas se contenter d’invoquer les valeurs de la République sans plus de précision. On y retrouve bien la trilogie de la devise, et une utile précision de la valeur de laïcité qui s’inscrit strictement dans une approche fondée sur les valeurs communes définies précédemment et la liberté de conscience, à l’opposé de certaines interprétations exclusives qui ont eu cours ces dernières années.
La préoccupation éthique parcourt l’ensemble du projet. « Pour instituer un lien civique entre tous les membres de la communauté éducative, il convient au sein de l’école de prévenir toutes les formes de discrimination et de favoriser la mixité sociale et l’égalité entre les femmes et les hommes. » Une telle affirmation conduit par exemple à passer au crible de la promotion de l’égalité toute décision prise à l’échelle gouvernementale, ministérielle, académique ou locale. Et cette préoccupation éthique s’affirme aussi au sujet des contenus d’enseignement en mettant notamment l’accent l’éducation morale t civique (article 26) : « Elle assure conjointement avec la famille l’éducation morale et civique qui comprend obligatoirement, pour permettre l’exercice de la citoyenneté, l’apprentissage des valeurs et symboles de la République, de l’hymne national et de son histoire. »
On le voit, après la concertation, figure imposée du régime de gouvernance, le projet de loi s’inscrit dans une logique de renforcement d’une gouvernance démocratique et éthique.