Le fonds d’amorçage de 250 millions d’euros dégagé par le ministre de l’éducation nationale pour appuyer sa politique de réforme des "rythmes scolaires"1 est une occasion sans précédent qu’il ne faut absolument pas manquer pour promouvoir une démarche nouvelle en matière de gouvernance éducative. J’ai bien dit éducative et non pas simplement scolaire.
Avoir obtenu que les projets éducatifs locaux (PEL) soient inscrits dans la loi d’orientation est un premier pas important. Ce n’est toutefois pas suffisant car l’ambition que portent les PEL (que nous appelons de nouvelle génération parce qu’il ne s’agit pas de dupliquer ce qui a été fait jusqu’ici et n’a pas significativement changé la donne en termes de continuité et cohérence éducative à l’échelle territoriale) n’est pas clairement perçue de tous. Loin s’en faut. Les PEL sont malheureusement souvent assimilés, soit à des projets d’école ou d’établissement intégrant une dimension partenariale plus ambitieuse que d’ordinaire, soit à des CEL (contrats éducatifs locaux) intégrant une dimension scolaire plus affirmée que la simple mise en cohérence entre temps scolaire et temps péri-éducatif que promouvait ce dispositif précurseur.
Nous portons depuis l’appel de Bobigny la volonté d’installer dans le paysage législatif (condition absolument nécessaire même si elle n’est pas suffisante) une modalité de gouvernance qui reconnaisse une place et une responsabilité à tous les partenaires dans le processus de définition et dans la mise en oeuvre de l’action éducative commune à l’échelle d’un territoire.
De ce point de vue, certains termes ont leur importance. Je pense notamment que ceux d’éducation partagée et de coproduction éducative sont plus pertinents dans le contexte que les termes de co-éducation et de partenariat. Car il s’agit bien d’instituer un cadre permettant de définir ce qui relève du domaine de l’éducation partagée2, d’organiser et de mettre en œuvre la coproduction éducative. Ce qui ne correspond ni à l’extension du champ d’action (et/ou de compétence) de tel ou tel (école, municipalité, associations,…), ni à la simple addition des interventions (et/ou compétences) de chacun. On est dans la logique systémique du 1+1 = 3 qui doit permettre de faire émerger de nouvelles marges de manœuvre (y compris dans la mobilisation des moyens humains et financiers), de nouvelles potentialités et de nouvelles réponses, le plus souvent innovantes.
Le PEL tel que nous l’entendons, n’est pas un dispositif mais le cadre incontournable pour définir et mettre en œuvre sur des valeurs partagées, une politique éducative à l’échelle territoriale mobilisant l’ensemble des acteurs concernés et prenant en compte en les articulant entre elles, les différentes dimensions du développement du jeune.
Le PEL tel que nous l’entendons, privilégie les logiques de développement éducatif et de réussite éducative par rapport à celles de compensation et de réparation qui ont prévalu jusqu’ici. Il couvre la totalité du spectre des âges et développe une offre qui ne n’est pas limitée aux seuls publics en difficulté. A une logique de dispositifs qui est dépassée et contreproductive,3 il substitue une logique de parcours éducatif4 qui permet de traiter correctement la question de la continuité éducative à l’échelle territoriale.
A la condition enfin de lui donner une assise juridique adaptée5, le PEL pourrait constituer le cadre unique de contractualisation, de mobilisation, de gestion (optimisée et sécurisée) des crédits publics, de mise en œuvre et d’évaluation de l’action partenariale, permettant d’unifier le pilotage de l’action éducative à l’échelle territoriale, condition indispensable à la continuité et à la cohérence de l’action éducative à cette échelle. Ce faisant, on donnerait aux acteurs locaux les marges d’autonomie ainsi que les outils juridiques et comptable que requiert cette autonomie, tout en organisant la responsabilité collective du projet, de sa mise en œuvre du projet et de ses effets.
Pour avancer sur cette voie, il faut absolument proposer et obtenir que l’attribution de moyens au titre du fonds d’amorçage intègre un engagement de l’ensemble des acteurs concernés au niveau local, à mettre en œuvre, sur un échéancier à déterminer de l’ordre de 1 à 3 ans, un projet éducatif local de nouvelle génération. Ce qui exigera qu’au-delà de la loi d’orientation, on avance vers la création d’une entité juridique (EPLCE ? GIP Educatif ? Caisse des Ecoles modernisée ?) qui permettrait notamment de gérer les moyens du fonds d’amorçage qui pourraient être alloués pour mettre en œuvre ledit PEL.
Je suis convaincu que le PEL, tel que nous le portons, est la voie d’avenir pour dépasser les difficultés et les contradictions actuelles pour mettre en œuvre avec l’ambition nécessaire, une Refondation de l’action éducative où l’Ecole a toute sa place (mais n’est pas hégémonique) aux côtés des autres acteurs de l’éducation (collectivités territoriales, autres services publics, associations, acteurs économiques…).
Paris, le 23/11/12
Yves Goepfert
1 Rappel utile fait par Claire Leconte auquel je souscris totalement : Il faut arrêter de parler des « rythmes scolaires » car c’est une solution de facilité, qui fausse le débat. Le conseil économique et social a utilisé ce terme pour la première fois en 1979 pour exprimer, à la suite d’Alain Reinberg (Cf. Les rythmes biologiques), l’idée que l’emploi du temps scolaire ne respectait pas les besoins reconnus des enfants. Mais ce terme n’existe pas dans les textes officiels et dans les publications scientifiques. Continuer à l’utiliser revient à se focaliser sur le temps passé en classe. Refondons notre vocabulaire : parlons de l’aménagement des temps de vie de l’enfant ! Il faut aborder ce dossier en imaginant des projets éducatifs intégrant (sans les cloisonner) les temps scolaire, périscolaire et extrascolaire.
2 Définir ce qui relève du domaine partagé en matière d’action éducative est une nécessité absolue dans le contexte actuel où les chevauchements mal maîtrisés sont nombreux. Cela permettra de préciser utilement, ce qui relève des missions spécifiques (dont certaines ne peuvent être déléguées) de chaque partenaire et de lever ainsi de nombreuses ambiguïtés sources de tensions.
3 L’entrée par les dispositifs a montré ses limites, notamment parce qu’elle alimente des logiques de guichet qui concourent à la segmentation de l’action publique à l’échelle territoriale avec des écarts importants d’un territoire à l’autre.
4 Sans opposer toutefois l’individualisation du regard porté sur le parcours du jeune et la nature individuelle ou collective des modes d’intervention.
5 En s’appuyant sur l’expérimentation des structures juridiques dans le cadre du Programme de réussite Educative (loi n°2005-32 du 18 janvier 2005 de pour la cohésion sociale), la création d’établissement publics locaux de coproduction (ou coopération) éducative (EPLCE) est une piste à approfondir. Un projet de texte a déjà été rédigé et pourrait servir de base de discussion.