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Le chef de l’État a dévoilé, le 5 octobre, à l’occasion des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat, les principaux axes du projet de loi de décentralisation, qui devrait être présenté en début d’année prochaine. Laurence Lemouzy, Directrice des Etudes de l’Institut de la décentralisation et de la revue Pouvoirs Locaux, en propose une lecture.
Etat et Décentralisation :
quelle colonne vertébrale à la nouvelle réforme ?
Lors de son intervention à l’occasion des Etats généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat début octobre, le président de la République n’a pas manqué de mettre en lumière les acquis de la décentralisation, trente ans après la loi du 2 mars 1982 : « l’élargissement des libertés locales avec la suppression des tutelles, l’avancée démocratique avec l’élection des conseils régionaux au suffrage universel, la modernisation du pays à travers un transfert de compétences au bénéfice des collectivités locales, (…) des citoyens qui ont vu leur environnement changer en trente ans, quelles que fussent les sensibilités politiques des élus en charge des responsabilités locales. »
Trente ans de décentralisation, et après …
François Hollande souligne aussi combien « la République décentralisée [est] désormais notre bien commun ». Deux ans plus tôt, le 20 octobre 2009 à Saint-Dizier (Haute-Marne), son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, s’exprimait en des termes quasi identiques : "La décentralisation est devenue, comme la démocratie, un bien commun". Ce dernier présentait alors les grandes lignes de la réforme des collectivités territoriales qui devait être présentée dès le lendemain en Conseil des ministres et devenir la loi de réforme territoriale du 16 décembre 2010. Une loi dont certaines dispositions seront abrogées parmi lesquelles le conseil territorial dont l’élection était envisagée dès 2014 en lieu et place des conseillers généraux et régionaux. Le calendrier électoral avancé par l’actuel gouvernement prévoit le report à 2015 des élections régionales et départementales, 2014 étant déjà ponctué par trois rendez-vous électoraux : les municipales, les européennes et les sénatoriales. Ce calendrier permet aussi de traiter la question du mode de scrutin des élus départementaux. Bien qu’une concertation soit prévue avec l’Assemblée des départements de France, le Chef de l’Etat a indiqué sa préférence en considérant que le mode de scrutin opérant devait tenir compte d’un ancrage territorial et en même temps d’une exigence de parité.
Pour le reste, quel sera l’axe du nouvel acte de décentralisation ? La colonne vertébrale n’est pas visible à l’œil nu. Les mesures, même si elles ne manquent pas d’intérêt, sont avancées en rangs dispersés. Parmi elles, la création d’un Haut Conseil des Territoires qui deviendrait l’instance de concertation, d’évaluation et de négociation entre l’Etat et les associations d’élus et qui regrouperait le comité des finances locales, la commission nationale d’évaluation des normes et celle sur le transfert des charges. Le Haut Conseil des Territoires serait également saisi sur chaque texte intéressant les collectivités locales et avant chaque loi de finances. Le droit à l’expérimentation serait élargi et assoupli afin que les collectivités locales puissent mettre en œuvre des politiques nouvelles, des pratiques différentes ou même adaptent, comme il leur paraîtra souhaitable, des dispositifs existants.
Afin de sortir de la confusion des responsabilités entre l’Etat et les collectivités, mais aussi entre les collectivités elles-mêmes, l’objectif du gouvernement est d’aller jusqu’au bout de la logique des blocs de compétences. Aux régions seraient confiées l’ensemble des attributions qui sont encore celles de l’Etat en matière de formation professionnelle, d’orientation et de mise en cohérence des politiques d’accompagnement vers l’emploi au niveau territorial. Un même mouvement consisterait à transférer aux régions l’ensemble des politiques territoriales en matière d’aide et de soutien aux PME. Si les régions le font déjà depuis longtemps, elles devraient bénéficier d’instruments nouveaux pour conduire ces politiques, tels la Banque Publique d’Investissement ou encore la gestion en direct des fonds structurels européens. Pour leur part, les départements se verraient confier l’ensemble des politiques du handicap et de la dépendance, hors du champ de l’assurance maladie, un transfert qui imposera néanmoins, de définir un financement suffisant et pérenne aux Conseils généraux. Enfin, l’Etat devrait partager avec le bloc communal, la responsabilité de la transition énergétique.
En matière de gouvernance territoriale, le Chef de l’Etat a indiqué qu’il n’était pas prévu de remettre en cause la clause de compétence générale, présentée comme « un principe fondateur des collectivités locales depuis l’origine de la République ». L’objectif serait davantage d’étendre le principe du chef de file à tous les domaines de l’action locale. Ainsi, à chaque grande politique correspondrait une seule autorité qui fixerait les modalités et l’action qui peut être déléguée à d’autres collectivités. Cette organisation pourrait varier en fonction des territoires, des régions, des spécificités ou de la taille d’un certain nombre de collectivités. Quant à la gouvernance des agglomérations urbaines, est évoquée la création d’un statut de métropole qui irait au-delà des établissements publics actuels et pourrait exercer l’ensemble des responsabilités du développement urbain en bénéficiant des transferts de compétences de l’Etat ou de la Région.
Pour sa part, Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la fonction publique déclarait récemment que « la réforme de l’Etat sera présente dans chaque mot, chaque virgule du projet de loi dont l’exposé des motifs sera consacré à la redéfinition de la puissance publique au XXIème siècle » [1]. La modernisation de l’action publique devrait reposer sur trois piliers : « 1) amélioration de la qualité du service public sur tout le territoire pour mieux répondre aux besoins et aux attentes des citoyens et des acteurs économiques et sociaux ; 2) association des agents et de leurs représentants à l’élaboration et à la conduite des réformes ; 3) définition des priorités des administrations afin d’assurer l’adéquation de leurs moyens à leurs missions ». La ministre entend associer les syndicats de fonctionnaires à l’écriture définitive du projet de loi, rappelant que le suivi du chantier de la décentralisation figure dans l’agenda social présenté le 4 septembre 2012
Quel ordonnancement de la décentralisation ?
Quelle nouvelle colonne vertébrale pour nos territoires ? Nous le disions plus haut, les réponses sont éclatées et pourtant c’est à cette question primordiale qu’il convient de répondre ces prochaines semaines à l’occasion du débat lié au futur projet de loi sur la Réforme de l’Etat et la décentralisation. Quel est le risque ? Que la décentralisation, que l’on dit depuis longtemps « au milieu du gué », y demeure, incapable de s’installer sur l’autre rive, comme s’il était impossible de stabiliser ce qui a commencé, il y a 30 ans, le 2 mars 1982. Et pourtant la situation a de quoi inquiéter. Le temps presse et, cette fois-ci, l’immobilisme conduirait sans doute aucun à l’asphyxie de l’action publique territoriale. Le pire des choix serait de ne pas en faire et de continuer à adopter les mêmes stratégies d’évitement qui ont prévalu ces dernières années.
L’Institut de la décentralisation, par la voix de ces co-présidents [2], Jean-Pierre balligand (PS) et Michel Piron (UMP) affirme qu’il est impératif de sortir des vieilles problématiques en créant un nouvel ordonnancement des responsabilités territoriales. Est-ce au bénéfice de la région, du département, du bloc communal ? La question ne doit justement plus se poser en ces termes. Pour que le nouvel ordonnancement serve l’intérêt général, il faut sortir des querelles catégorielles dans lequel il n’en finit plus de s’enliser.
Cet ordonnancement s’appuierait sur une région devenue autorité organisatrice disposant d’un pouvoir réglementaire d’adaptation et dont les schémas seraient devenus prescriptifs. La région organiserait et ce, dans le respect d’un « pacte de gouvernance territoriale » que le Président du Sénat a présenté récemment comme « le cadre d’intervention contenant les grands axes de l’action de toutes les collectivités dans l’espace régional ».
Il va de soi que cet ordonnancement doit aller de pair avec une autonomie fiscale revivifiée qui prendrait la forme d’un partage des impôts nationaux. Il n’est pas absurde — compte tenu de la compétence régionale en matière de développement économique, de recherche-développement et de capital risque — qu’une part de la CVAE (avec une liberté de vote des taux encadrée dans une fourchette) soit dédiée à la région et selon le même raisonnement, une part de la CSG au département eu égard à son rôle en matière de solidarités.
Enfin, n’est-il pas temps de cesser de débattre du cumul des mandats en posant la question uniquement sur le terrain moral. Le non cumul entre un mandat parlementaire et un mandat d’exécutif territorial ne signifie pas nécessairement un mandat unique. Un parlementaire peut tout à fait demain briguer un mandat de conseiller régional, de conseiller général ou de conseiller municipal. Si la région disposait d’un pouvoir normatif, les partisans du cumul des mandats seraient privés de leur argumentaire : nourrir la production législative de la connaissance des réalités territoriales. La France a besoin d’un Parlement qui vote des lois cadres garantissant l’intérêt général et dont l’adéquation aux réalités territoriales serait garantie par un pouvoir réglementaire d’adaptation régional.
A notre interrogation première : quel est le sens de la décentralisation ? Une réponse s’impose : permettre une meilleure gouvernance territoriale à moindre coût. Il n’est plus temps de s’enliser dans de faux débats catégoriels, le changement en dépend. Trente ans de décentralisation ont appris qu’en matière de réforme territoriale, l’évidence n’était jamais sûre. Il est urgent qu’elle le devienne.
Laurence Lemouzy Directrice des Etudes de l’Institut de la décentralisation et de la revue Pouvoirs Locaux