Forum du Café du 6 octobre :
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Telle la poudre de perlimpinpin dans une formule magique, les Tice sont-elles investies du pouvoir de transformer à elles seules l’enseignement ? L’atelier « les Tice pour la réussite de tous » a rebattu dans ses échanges les cartes du changement, pour en tirer les cartes maitresses, celles qu’il faut redessiner et biseauter.
D’un constat apparemment partagé sur les effets bénéfiques des Tice sur la démocratisation de l’école, naissent des divergences sur les conditions mêmes d’initiation et de diffusion des pratiques. Développer l’usage des Tice nécessite la mise à disposition de matériels. Oui mais comment ? Est-ce uniquement à la collectivité locale de s’en charger ? Doit-elle le faire à partir d’un projet déposé par une équipe, une école ? Pour les tablettes ou les portables, est ce sous forme de prêt, d’achat ? Derrière ces questions apparemment triviales, se cachent des préoccupations profondes sur la gouvernance et le financement du développement des Tice. Présentée lors de l’atelier, la Ticothèque créée par le conseil général du Morbihan met à disposition à la demande des enseignants des équipements complémentaires, tablettes, tableau interactif, matériel d’EXAO… . Le CRDP de l’Académie de Nice propose un dispositif du même type, un « Learning center » mobile composé nous dit sa directrice. L’un est financé par le Conseil Général, l’autre par l’Etat mais la finalité est la même : mettre à disposition un équipement pour outiller les projets pédagogiques.
A la question de « qui met à disposition » se greffent deux questions subsidiaires. Tout d’abord, on se demande à qui fournit on les équipements : à l’établissement, à la classe, à l’enseignant, à la famille, à l’élève ? Les pratiques divergent selon les collectivités et induisent ainsi des inégalités territoriales. Alors, on se demande comment réduire ces inégalités. Doit-on repenser les répartitions d’attribution et faire des CRDP des agences co-pilotées par l’Etat et les collectivités territoriales chargées de l’équipement des établissements ? Doit-on mettre en place un système de péréquation avec une régulation au niveau nationale. L’acte III de la décentralisation clarifiera sans doute les choses, il restera à définir le cadre technique d’une politique d’équipement gommant les inégalités entre les territoires. On n’apprend pas pareil à Roubaix ou à Mont de Marsan, à Quillan ou à Vannes, cette différence ne pourra être totalement gommée mais pour une véritable école démocratique, elle devra s’estomper. Respecter les différences nées du contexte et des pratiques locales tout en garantissant un accès au savoir identique pour tous, la conjugaison de la refondation et de l’acte III de la décentralisation ne sera pas de trop pour définir les moyens d’atteindre cet objectif.
Lorsque l’école, la classe ou les élèves bénéficient de l’équipement, comment faire pour développer les usages ? Un certain consensus se dégage autour d’un accompagnement de proximité en fonction des projets et des besoins plutôt qu’une formation ponctuelle, un accompagnement par les usages que Bertrand Formet met en œuvre dans le Jura en tant que conseiller Tice. Il va même plus loin dans les propositions qu’il émet lors de l’atelier : il suggère que cet accompagnement de proximité s’enrichisse des apports de chercheurs. Pourquoi ne pas mettre en place aussi une équipe de scientifiques au niveau de l’Académie pour accompagner les enseignants ? Développer les usages pédagogiques avec les Tice amène des interrogations sur les pratiques, l’accès aux contenus, les méthodes d’apprentissage, des interrogations qui débordent la technique et nécessitent un autre éclairage, une prise de recul mobilisant différentes disciplines scientifiques.
La classe est équipée, l’enseignant accompagné, maintenant se pose la question des outils et des usages. Peut on utiliser des outils « commerciaux » doit-on former en s’appuyant sur des réseaux sociaux ou des moteurs de recherche développés par des sociétés loin d’être philanthropiques. Certains disent non de crainte que les données et images créées, mises en ligne en classe deviennent propriété de ces sociétés. Et bien si justement disent d’autres, l’usage de ces outils encadré par un enseignant permet une éducation à l’image, vectrice de bonnes pratiques. Les élèves utilisent les réseaux sociaux chez eux, parfois sans prendre les précautions de base, il vaut mieux leur apprendre pour les préserver des dangers et utiliser à bon escient les potentialités de ces outils. Une troisième voie se dégage de l’atelier : pourquoi pas des usages en classe mais ce n’est pas à l’institution, à l’Etat de prescrire l’utilisation d’outils commerciaux dans la classe. Autrement dit, une éducation aux médias est nécessaire mais le choix des outils doit rester dans la sphère de la liberté pédagogique de l’enseignant. Plus largement, utiliser les Tice, éduquer au média suppose un bon niveau de connaissances du cadre juridique. Une formation s’impose là aussi.
Egalité d’accès aux équipements, un accompagnement aux usages de proximité, liberté pédagogique dans les limites du cadre légal, les trois éléments débattus lors de l’atelier ont montré les divergences d’appréciation sur la répartition des rôles et les différents outils utilisables. « Avec ce sujet, on tombe facilement dans le manichéisme » nous disait un participant. « Ringards » contre « Inconscients », nous aurions pu craindre une pluie d’invective, un tombereau de paroles définitives. Et non, je me permets de contredire ce participant en constatant la diversité des arguments proposés, opposés mais qui dessine toutefois des pistes. Utiliser les Tice pour la réussite de tous nécessite une régulation nationale sur les moyens, un accompagnement de proximité et une sphère de liberté pour construire projets d’établissement et de classe.
Monique Royer