Quelle place pour l’orientation dans la réforme du collège ? Nulle ou presque ? Aucune réforme des procédures et presque rien sur l’éducation à l’orientation. La piste explorée ici est de reporter l’orientation à la fin de la seconde, afin de dégager le collège du rôle de sélection qui lui est dévolu, pourtant incompatible avec son objectif pédagogique de réussite de tous.
La question de l’orientation dans un système scolaire peut se reformuler ainsi : comment la circulation dans un système est-elle organisée ? Ce qui introduit immédiatement deux autres questions : comment le système scolaire est-il organisé, et quelles sont les règles de circulation ? Poser ainsi ces questions montre tout de suite que l’orientation est en relation étroite avec les objectifs éducatifs assignés à un système scolaire, et notamment celui de l’acquisition d’une compétence à s’orienter tout au long de la vie. Aussi une refondation devrait tout particulièrement se préoccuper de cette question. Qu’en est-il dans la dernière réforme ?
Silence sur les procédures
Pas d’évolution, pas de reprise de l’expérimentation de « l’orientation à la main des parents ». En février 2013, suite à un Comité interministériel à la jeunesse, le gouvernement décide d’expérimenter la possibilité de laisser aux parents le choix de la décision d’orientation en fin de 3ème. George Pau-Langevin, alors ministre déléguée auprès du ministre de l’Education nationale, chargée de la réussite éducative sera chargée de la mettre en place. J’écris un article sur mon blog Expérimentation des procédures d’orientation en troisième, après coup sans doute prémonitoire.
Je m’interrogeais : « Comment espérer qu’une décision d’une famille, différente de la décision de l’établissement ne soit pas vécue comme un désaccord conflictuel après toutes les étapes de la procédure ? Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il faudrait qu’une relation de conseil auprès de la famille, et inversement auprès de l’établissement puisse être instaurée. Bien difficile d’imaginer cela. Mais admettons qu’elle soit possible. Cela supposerait une relation de confiance mutuelle, de telle sorte que le constat d’un désaccord ne soit pas interprété sur le mode conflictuel. »
Voir également un deuxième article sur le sujet : Orientation : le retour de l’expérimentation.
Une conception conflictuelle
Dans la conclusion du rapport d’étape de l’Inspection générale (IGEN et IGAENR) publié par le ministère le 11 décembre 2014, on trouve ceci : « la bonne orientation, pour la plupart des équipes éducatives interrogées (NDLR : par les inspecteurs généraux) est celle qui correspond à la décision du conseil de classe ».
On est encore bien sur une conception conflictuelle basée sur une autorité professorale qui doit être suivie par ceux qui reçoivent les propositions. Continuer à « bidouiller » les procédures ne fera que renforcer le sentiment de « perte de pouvoir », de « perte de l’autorité » chez les enseignants.
C’est pourquoi je préconise la rupture complète et l’abandon des procédures d’orientation scolaire. Si nous voulons un système scolaire dont l’objectif serait la réussite de tous, alors il faut supprimer le pouvoir de distinction professoral que les procédures d’orientation ont transformé en devoir de distinction. Il est strictement impossible de se centrer sur la réussite de tous et en même temps d’être capable de séparer les élèves d’après leur réussite. C’est pourtant ce que le socle commun et les procédures d’orientation réclament de la part des enseignants du collège.
Quelques modifications de l’architecture du système scolaire
Ces modifications concernent la continuité primaire-secondaire, par la mise en place d’un cycle de trois ans englobant les deux dernières années du primaire (les classes de CM1, CM2) et la sixième. Un conseil école-collège est institué. Il a pour objectif de renforcer la continuité pédagogique entre le premier et le second degrés, notamment au profit des élèves les plus fragiles.
« Si parmi ces propositions, des échanges de pratiques et d’enseignants entre les établissements peuvent être conduits, ils seront utilement prolongés par une réflexion commune sur la continuité des apprentissages d’un cycle à l’autre. Le conseil école-collège est autre chose que les réunions d’harmonisation », souligne Canopé.
On peut ainsi penser que selon le principe du cycle il ne devrait plus y avoir de redoublement en fin de primaire. Le collège serait alors constitué de la fin du nouveau cycle institué, et d’un cycle de trois ans se terminant en cinquième, faisant ainsi sauter le palier à la fin de la quatrième.
Séparation des publics scolaires
Mais la fonction de l’autre bout du collège est maintenue, car l’architecture à deux voies persiste (générale et technologique d’un côté et professionnelle de l’autre). Le collège reste l’opérateur de la séparation des publics scolaires.
Bruno Magliulo, dans son article du 1er juillet 2015 sur ce site, Plaidoyer pour un cycle troisième-seconde, sans précipitation, recommande « la constitution d’un cycle « ?troisième/seconde », avec suppression de la seconde professionnelle (mais pas des CAP en deux ans), et le report à l’entrée en première professionnelle du commencement de la voie professionnelle. »
Son argumentation repose notamment sur l’évaluation de l’expérimentation « orientation choisie plutôt que subie ». Il en tire le constat suivant : « Si on laisse aux familles le soin de décider du choix entre seconde générale et technologique ou seconde professionnelle, il est certain qu’elles opteront très majoritairement pour la seconde générale et technologique, décapitant du coup les flux d’élèves vers l’enseignement professionnel ». Bruno Magliulo laisse ainsi entendre que le maintien actuel des procédures en troisième répond à ce constat et qu’il est urgent de ne rien modifier.
Pour une orientation en fin de seconde
Il propose néanmoins une évolution à long terme : « La constitution d’un cycle « troisième/seconde », avec suppression de la seconde professionnelle (mais pas des CAP en deux ans), et le report à l’entrée en première professionnelle du commencement de la voie professionnelle. »
Depuis longtemps, je défends cette évolution nécessaire de notre système, non pas pour protéger notre système de formation professionnelle (en passant, nous sommes un des rares pays à avoir intégré la formation professionnelle initiale au système scolaire), mais pour dégager le collège de son rôle de sélection. Tant que le collège aura pour mission de décider du destin scolaire de ses élèves, il ne pourra se consacrer réellement à une réussite de tous ceux-ci. Le maintien des procédures d’orientation fin de troisième place les enseignants et les chefs d’établissement dans un paradoxe épuisant ! Le pouvoir de séparation (s’il doit être maintenu ?) doit être exercé en dehors du temps de l’obligation scolaire !
Ambiguïté à propos d’éducation à l’orientation
Depuis une vingtaine d’année est apparue en France une autre préoccupation concernant l’orientation : l’éducation à l’orientation, non pas entendue comme aide à l’orientation scolaire, mais comme acquisition d’une compétence pour la vie. L’Europe soutient cet objectif, avec notamment l’adoption le 21 novembre 2008 de la résolution intitulée : « Mieux inclure l’orientation tout au long de la vie dans les stratégies d’éducation et de formation tout au long de la vie ». Elle recommande notamment aux États membres de « favoriser l’acquisition de la capacité à s’orienter tout au long de la vie ».
Elle s’appuie sur une définition de l’orientation établie lors de la Conférence PETRA, à Rome, en novembre 1994 : « un processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formation ». Remarquons au passage que cette définition n’a pas grand-chose à voir avec nos procédures d’orientation et ne se préoccupe pas de l’orientation scolaire au sens où, nous Français, nous l’entendons.
Depuis l’apparition de cet objectif ministériel en France au milieu des années 90, je constate une ambiguïté : quand on parle d’orientation dans l’expression « éducation à l’orientation » est-on sur l’orientation scolaire, ou sur la compétence d’un individu à s’orienter dans sa vie ? Jusqu’à présent la pratique observée suppose une interprétation du côté scolaire. Ce qui ne peut surprendre étant entendu le poids des procédures d’orientation dans notre système. Et pourtant l’autre sens est toujours évoqué par le ministère.
Le PIIODMEP et la réforme
En 2013, le PIIODMEP (Parcours individuel d’information et de découverte du monde économique et professionnel) remplace le PDMF (le parcours de découverte des métiers et des formations) de 2008, concomitant de la résolution européenne et qui lui-même prenait la place de l’éducation à l’orientation de 1996. Remarquons au passage l’évolution de la dénomination, devenue imprononçable et optant pour l’inventaire à la Prévert des activités. Que se passe-t-il dans une organisation lorsque les acteurs sont dans l’impossibilité de dénommer leur activité ? L’absence de verbalisation est souvent synonyme d’absence de réalisation. Tout simplement !
Dans la circulaire de préparation de la rentrée scolaire 2015, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, écrit : « Il s’agit donc d’engager une nouvelle dynamique pour renforcer la compétence à s’orienter, développer une culture économique et l’esprit d’entreprendre. » Et dans le texte « Collège : mieux apprendre pour mieux réussir », elle précise : « assurer un même niveau d’exigence pour que tous les élèves acquièrent le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, par une priorité centrale donnée à la maîtrise des savoirs fondamentaux. » Soit, et c’est un excellent objectif, mais alors comment l’atteindre si l’on maintient la fonction sélective du collège ! Rappelons que notre système de notation ainsi que nos procédures d’orientation participent à cette fonction sélective du collège…
Le préambule du projet de programme du PIIODMEP présenté par le CSP le 11 décembre 2014 rappelle que « Le parcours s’inscrit dans le projet global de formation défini par le socle commun de connaissances, de compétences et de culture et opérationnalisé par les programmes de cycle. » Ce parcours doit permettre à l’élève de découvrir le monde économique et professionnel ; développer chez l’élève l’esprit d’initiative et la compétence à entreprendre, l’initier au processus créatif ; permettre à l’élève d’élaborer son projet d’orientation scolaire et professionnel.
Et dans le socle commun ?
Deux mois plus tard, le 12 février 2015, une première présentation du projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture est publiée et formule ainsi cinq grands domaines de formation :
1- Les langages pour penser et communiquer
2- Les méthodes et outils pour apprendre
3- La formation de la personne et du citoyen
4- Les systèmes naturels et les systèmes techniques
5- Les représentations du monde et l’activité humaine
Lecture bien décevante. Les domaines « La formation de la personne et du citoyen » et « Les représentations du monde et l’activité humaine » ne font aucune allusion à l’acquisition de compétences à s’orienter tout au long de la vie. C’est une compétence qui doit être évaluée dans le socle, et qui ne s’y retrouve pas ! Le réflexe républicain aurait joué suite aux attentats de janvier en France.
Peut-être. Mais on peut se demander avec l’observation de la résistance à l’éducation à l’orientation, si au fond cet oubli ne procède pas de celle-ci. Les conséquences pour notre système scolaire d’une prise au sérieux de l’éducation à l’orientation sont trop révolutionnaires. Alors parlons-en, mais ne faisons rien !
Bernard Desclaux
Directeur de CIO retraité, ancien formateur
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