L’offensive contre la réforme du collège est forte, plus virulente même (oserait-on le mot violente ?) venant des médias et des « ?intellectuels? » que des enseignants eux-mêmes. Tous ne s’y opposent d’ailleurs pas. Pour Michel Develay, ce qui se joue là, c’est l’acceptation du nouveau rôle de l’enseignant, qui ne sera plus simple exécutant mais concepteur de son enseignement, professionnel en capacité de faire des choix individuels et collectifs et de prendre des initiatives.
L’exercice est périlleux pour quiconque veut réformer l’école. Des ministres s’y sont cassé les dents. L’école reste un sanctuaire à esquiver pour qui veut ne pas avoir sur le dos des syndicats d’enseignants, des associations de spécialistes, quelques intellectuels – ceux-là même qui légifèrent sur tout – et la plupart des médias en quête de sensationnel et de polémique.
Pour ces contempteurs, si les élèves échouent, à eux la faute, à leurs parents, à leur milieu, à la société même dans son ensemble. Sans doute y a-t-il du vrai dans tout cela. Mais l’excès est affligeant de la part des opposants à la réforme du collège qui pensent enseignement (l’activité du professeur) et peu apprentissages (l’activité de l’élève), si bien que certains hérauts en viennent à des excès, tels l’hebdomadaire Marianne qui dans son édition du premier mai titre : « École. Le massacre des innocents? » avec comme un des sous-titres : « la fin de l’élitisme républicain? ». Pas moins.
Dire que l’école va bien et qu’il n’y a rien à changer au niveau du collège après les résultats PISA, la connaissance de l’importance du décrochage, certains n’hésitent pas à franchir le pas. Symétriquement, imaginer que la réforme du collège permettra de tout résoudre est tout aussi osé. Aussi, suggérons un peu de sérénité et avançons quelques remarques à propos des principales critiques, tout en s’associant préalablement à quelques remontrances de langage utilisé. Toute profession use d’un vocabulaire que les autres trouvent ésotériques, alors qu’il se justifie techniquement par sa précision. Néanmoins ici, un toilettage serait utile pour ne pas obérer le fond. Nous montrerons chemin faisant que derrière les critiques qui affectent l’enseignement de l’histoire, des langues vivantes et anciennes essentiellement, existent deux enjeux plus importants concernant l’identité professionnelle enseignante et le statut du savoir.
A chaque réforme, les programmes d’histoire…
Comme pour chaque réforme, les contenus d’histoire sont discutés à l’envi, mais s’ajoutent en 2015 les langues vivantes et anciennes. Aucun dénigrement médiatique à propos des mathématiques, des sciences, des arts plastiques, de l’éducation musicale, de la géographie. Pourquoi ? Sans doute parce que la Culture à laquelle le collège doit initier l’élève est dévolue par les polémistes au latin et au grec et à l’histoire. Vision tronquée de la Culture qui ne s’intéresse pas à la culture scientifique et à la culture artistique. Vision étriquée de la Culture, qui ne nous paraît pas liée à des contenus quels qu’ils soient mais aux interrogations ontologiques internes à chaque discipline [1].
Concernant le programme d’histoire, la liste boursoufflée des dates et des notions à apprendre cède le pas à des sujets à traiter, certains obligatoires d’autres au choix et le programme réserve à l’année de 3e l’après Première guerre mondiale. Sur l’essentiel, le programme respecte la tradition scolaire, par exemple en s’interdisant d’aller au delà de 1970, ce que certains enseignants lui reprochent d’ailleurs. Ce qui est dénoncé, ce n’est pas tant la conception de l’histoire retenue que la possibilité laissée à l’enseignant de faire des choix. On invalide alors fréquemment, à cause de ces sujets au choix, la disparition d’un souci de la chronologie. Mais qui peut croire qu’un professeur d’histoire ne possède pas une conscience de sa discipline suffisamment réfléchie pour ne pas viser à travers les sujets obligatoires et les autres à replacer l’ensemble dans un espace de temps construit ? Vision raccourcie de l’identité professionnelle et de la conscience disciplinaire des professeurs regardés comme des exécutants, non comme des concepteurs capables d’initiations expertes.
Concernant l’enseignement des langues vivantes, jusqu’alors existaient des classes élitistes bilingues dans les établissements dès la 6e. Elles sont supprimées et une seconde langue vivante est enseignée dès la cinquième (elle ne l’était jusqu’alors qu’à partir de la quatrième). Quant aux langues anciennes, elles ne seront plus une option proposée en plus des autres matières, mais l’un des nouveaux enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), intitulé « ?Langues et culture de l’antiquité? ». Le latin et le grec ancien peuvent s’honorer par ailleurs d’être intégrés possiblement à l’enseignement du français. Même si les horaires ne seront plus tout à fait les mêmes [2], il demeure abusif de voir dans ce projet la fin des langues anciennes et la disparition de la langue de Goethe.
Notons encore que les contempteurs parlent peu de l’accompagnement personnalisé des élèves de 3?heures en 6e et de 1 heure les années suivantes, du travail collaboratif qui sera forcément de mise, de la part des élèves et des maîtres, de l’importance accordée à la communication orale simultanément à la communication écrite, des procédures d’évaluation sous forme de compétences. Ceci ne les intéresserait-il pas ?
Les enseignants, exécutants ou concepteurs ?
Ce que nous préjugeons, c’est que, au-delà des changements de contenus, ce qui est refusé par les délateurs de cette réforme du collège, c’est d’abord une philosophie de l’école qui accorde de l’autonomie aux établissements, donc aux enseignants et en dernier ressort aux élèves. Par cette réforme, les enseignants, loin d’exister comme des exécutants (d’horaires, de contenus) sont considérés comme des professionnels qui ont à faire des choix.
Pourquoi ce changement de paradigme, de l’enseignant comme personnel d’exécution à l’enseignant personnel de conception ? Parce que l’école ne peut plus être gérée de manière normalisée, standardisée. Il y a certes une École, mais elle s’actualise sur le territoire à travers des établissements aux antipodes en termes d’élèves, d’enseignants, d’environnement. La simplicité du centralisme administratif doit évoluer vers davantage d’adaptabilité et de créativité des acteurs dans les établissements. La notion de projet d’établissement l’a initié. La réforme du collège le reprend au niveau collectif et individuel. Accroitre les responsabilités des enseignants, faire vivre les initiatives locales en renouvelant les modes de gestion, faire confiance plus directement et plus concrètement aux acteurs d’un terrain éducatif, tel est aujourd’hui le défi d’un collège capable d’accompagner les enseignants, les responsables d’établissements et les élèves vers une autonomie responsabilisante.
Cette capacité à faire des choix explicités, justifiés, et à les assumer dans des pratiques, est refusée par les contempteurs, certains allant même jusqu’à considérer que la République est en danger avec cette réforme. Ce n’est pas une opposition entre Républicains et pédagogues qui se joue, car on peut être Républicain et pédagogue, et même envisager une décentralisation de l’éducation au niveau des régions assortie d’une définition des programmes et des exigences évaluatives au niveau national. Ce qui est en jeu, c’est un refus par les opposants à la réforme de considérer les enseignants comme des professionnels. Des professionnels capables d’une expertise pratique dans leur domaine, en autonomie et en responsabilité à travers des actes non routiniers et dans des situations complexes.
Interdisciplinarité et disciplines
Le deuxième paradigme qui nous semble tout autant rejeté par les opposants, c’est une approche dialectique entre le disciplinaire et les étanchéités auxquelles il conduit, et l’interdisciplinaire et les transversalités de projets qu’il implique. Il y a là une vision du savoir et de l’école qui donne forme à des étanchéités et des prés carrés. Vieilles oppositions qui renvoient à une conception de l’École déconnectée du monde social en général, dans lequel les savoirs s’interpénètrent au service de la compréhension d’une question à résoudre, d’une action à conduire. Évidemment que l’interdisciplinaire se nourrit de la maîtrise des disciplines, qu’il en justifie même l’existence. Et n’oublions pas que ces EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), en plus du sens qu’ils sont censés conférer aux activités des élèves, conduiront les professeurs à être créatifs et à travailler collégialement. Encore une dimension de la professionnalité enseignante refusée par certains.
Rappelons pour terminer que les trois entités sur lesquelles un ministre a prise pour espérer des changements concernent : les apprentissages dans la classe (et donc les contenus à enseigner, les méthodes et les modes d’évaluation), la formation (initiale et continue) des enseignants et de l’administration d’un établissement et la gouvernance (de l’encadrement de proximité aux procès de régulation et de décentralisation du système).
Une nouvelle identité professionnelle des enseignants est en gestation autour de la réforme du collège. On peut souhaiter qu’elle se poursuive en termes de formation et de gouvernance.
Michel Develay
Professeur émérite des universités
[1] Cf. Develay M. D’un programme de connaissances à un curriculum de compétences, De Boeck, Bruxelles, 2014.
[2] http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/29/le-latin-et-le-grec-vont-ils-vraiment-disparaitre-du-college_4624442_4355770.html
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