Généralisation ou amplification des programmes de réussite éducative (PRE), réorientation des contrats de ville pour promouvoir les valeurs républicaines et prévenir les phénomènes de radicalisation : les annonces du gouvernement fusent et se multiplient, suites aux attentats. Sur le terrain, les professionnels mettent l’accent sur la nécessité de mieux lutter contre les discriminations.
« Toutes ces annonces donnent le sentiment qu’il faut trouver une réponse dans l’urgence à des problématiques qui persistent depuis des décennies. On dirait qu’on découvre la politique de la ville, alors que cela fait des années que ces démarches sont en place », constate Sophie Ebermeyer, chargée de mission égalité et lutte contre les discriminations à Grenoble Alpes métropole, membre de l’IRDSU et de son chantier sur la lutte contre les discriminations.
« Ces annonces sont importantes mais semblent partir tous azimuts. Je suis surpris par le lien direct qui semble être fait entre la réussite éducative et des thématiques aussi complexes. La réussite éducative peut avoir un apport, mais au même titre que toutes les politiques en lien avec du public », nuance son collègue Khalil Ida-Ali, président du réseau champennois de l’IRDSU, chef de projet développement social à Vitry-le-François.
Définition – Aux dires des coordonnateurs de PRE, ce dispositif offre aux enfants et aux familles une ouverture d’esprit sur des choses qui seraient restées hors de leur portée.
« Nous pratiquons une certaine écoute qui peut apaiser des tensions, nous accompagnons les familles sans leur imposer d’injonction. Mais nous suivons aussi beaucoup moins de familles que ne doit le faire un travailleur social », décrit Audrey Brichet, présidente de l’ANARé. Elle poursuit : « Nous travaillons la relation aux autres, le respect de la parole d’autrui, le respect des règles, du cadre, comment être en société et, de fait, on peut dire que nous avons un impact sur le vivre-ensemble. Notre tâche vise à prévenir les fragilités et les difficultés des enfants et des familles ».
Il n’en reste pas moins compliqué, pour ces professionnels de la politique de la ville, d’avancer que cela va permettre de prévenir les radicalisations. Si l’ANARé milite pour que la réussite éducative rejoigne les politiques de droit commun, le réseau soulève aussi la question des moyens : comment généraliser les PRE en période de baisse des dotations ?
Egalité, laïcité et discriminations – « On se focalise sur les quartiers prioritaires, mais la radicalisation n’est pas qu’une histoire de quartiers. C’est un problème global et on le simplifie en le ramenant à une question de quartiers prioritaires. Les élus ont donc raison de défendre la République : il faut l’installer partout. Nous sommes en déficit de République, car nous n’avons pas réussi à assurer les mêmes droits à tous les citoyens sur l’ensemble du territoire », estime Khalil Ida-Ali.
Partant, la généralisation des PRE et l’infléchissement des contrats de ville constituent-elles des réponses pertinentes ? Pas si simple, plaident les professionnels, qui voudraient voir le lien fait entre les valeurs de la République, au coeur de leurs métiers, la défense de la laïcité, la lutte contre les discriminations et l’égalité.
Pour ces derniers, la politique de la ville s’est certes construite sur une analyse des inégalités sociales : dès son origine, la politique de la ville entendait faire plus pour ceux qui ont le moins. Mais, soulignent les professionnels du développement social et de la politique de la ville, ils sont défavorisés aussi parce qu’on leur oppose un traitement différencié.
« Dès le départ, on a oublié cette question, en la transférant sur des politiques d’intégration et de de réparation (DSU, PRE, ZUS…), avec l’idée que certaines populations seraient loin des valeurs de la République. Les professionnels se sont donc construits à l’aide d’un référentiel de l’insertion, de la lutte contre les exclusions et contre les inégalités sociales, mais ils ont du mal à penser les discriminations. Or, restaurer l’égalité républicaine dans les quartiers, c’est reconnaître que l’institution a organisé, de manière consciente ou pas, des discriminations », avance Céline Ziwes, responsable de la mission lutte contre les discriminations et accès aux droits à Rennes.
Elle développe : « Ce qui manque aujourd’hui, c’est l’affirmation d’une volonté politique en matière de lutte contre les discriminations. J’aimerais entendre réaffirmer le principe d’égalité et que la laïcité ne soit pas le prétexte à stigmatiser encore plus ».
Son collègue champennois, investi dans le même chantier de l’IR-DSU sur les liens entre laïcité et discriminations, poursuit : « Pour beaucoup, la laïcité est un instrument agressif, offensif, car les seules explications qui en sont données sont orientées contre la communauté musulmane. Il nous faut de vrais dispositifs de lutte contre les discriminations, qui concourrent à l’émancipation intellectuelle, économique, culturelle ».
A Rennes, Céline Ziwes reprend : « Quand ils sont étrangers ou perçus comme tels, les enfants et familles que nous accompagnons vivent des discriminations violentes de la part des institutions. La religion constitue un facteur de discrimination : les femmes voilées n’ont aucune chance d’accéder à un emploi, par exemple. Mais, attention, on peut être musulman et laïc. Nous discutons beaucoup avec les personnes de confession musulmane en ce moment : elles se sentent agressées, attaquées en permanence car on leur renvoie, en permanence, leur religion comme un défaut : c’est bien que la laïcité a failli ».
A Grenoble, Sophie Ebermeyer conclut : « On ne peut pas séparer la laïcité des questions d’égalité. Pour respecter la laïcité, il faut déjà respecter l’égalité. Or, nous ne disposons d’aucune politique nationale de lutte contre les discriminations ».
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