Comment percevez?vous le «plan global» de lutte pour la défense des valeurs de la République que le gouvernement vient d’annoncer ?
Je veux retenir l’engagement sur la formation des enseignants : elle s’impose aujourd’hui, tant dans le domaine de la formation initiale, où la réflexion pédagogique passe bien souvent à la trappe, que dans celui de la formation continue, complètement sinistrée… Pour le reste, le président de la République insiste sur la nécessité de se mobiliser autour de l’Ecole et dans l’Ecole afin qu’elle joue pleinement son rôle dans la formation aux valeurs républicaines et aux principes de la démocratie. Mais je ne vois pas encore comment, précisément, nous en prenons le chemin. En effet, trois conditions, étroitement solidaires, sont requises si l’on veut sortir des seules mesures à caractère sécuritaire : il faut que l’Ecole sache énoncer les valeurs et les principes qui la guident, afin qu’ils soient entendus et compris ; il faut qu’elle les fasse vivre au quotidien pour qu’ils soient vraiment intégrés par les élèves ; et il faut qu’elle les mette en œuvre dans le fonctionnement même de l’institution pour garantir leur crédibilité. L’énonciation, de manière formalisée et accessible en fonction de l’âge des élèves, est indispensable et je me réjouis, à cet égard, de la stabilisation d’un “enseignement moral et civique” dont je voudrais qu’il soit, encore plus clairement, adossé au Droit.
Nous vivons, en effet, dans notre pays, un étrange paradoxe : “nul n’est censé ignorer la loi”… mais personne ne l’enseigne ! Je voudrais que l’on fasse découvrir aux élèves que des principes comme “nul ne peut se faire justice soi?même” ou “nul ne peut?être, à la fois, juge et partie” ont été construits pour les protéger et contribuer à notre émancipation collective. De même, le travail annoncé sur le règlement intérieur doit s’effectuer en montrant précisément ce que les interdits autorisent et en quoi ils sont au service du bien commun…
Mais cette énonciation n’aura guère d’effets si elle ne s’accompagne pas d’un effort pédagogique, partagé par tous les enseignants, pour faire vivre au quotidien le “respect” et la solidarité qu’on veut promouvoir : on voit des avancées dans ce sens, sur la notation qui “ne doit pas blesser”, sur la pratique du débat argumenté qui permet de se dégager des préjugés et de sortir des affrontements violents, sur la maîtrise de la langue qui est une condition essentielle pour accéder à la pensée. Mais cela reste assez timide au regard de la promotion systématique des pédagogies coopératives dont nous avons besoin, pour construire des collectifs où chacun ait une vraie place, pour mobiliser l’attention des élèves et les impliquer dans leurs apprentissages, pour leur permettre de faire l’expérience fondatrice de la solidarité en actes…
Enfin, tous ces efforts doivent, évidemment, être relayés par le fonctionnement même de l’institution scolaire : on nous annonce une lutte plus efficace contre le décrochage, des dotations aux établissements proportionnelles aux difficultés sociales qu’il rencontrent, une relance de l’éducation prioritaire, le déblocage de fonds sociaux et l’intervention de volontaires pour constituer une “réserve citoyenne” auprès des établissements en difficulté : je veux croire que cela va vite se concrétiser, que tous les établissements – y compris de l’enseignement privé – prendront leur part en matière de mixité sociale, que les “zones d’éducation prioritaires” deviendront des d’excellence pédagogique” et qu’on ne continuera pas à priver les lycéens professionnels de la réflexion philosophique qu’ils réclament assez unanimement… Si les annonces actuelles n’étaient pas suivies d’effets et que les inégalités continuent à se creuser, nous pourrions, alors, craindre le pire. La parole tenue, en matière éducative, n’est pas un choix, c’est le principe même de toute action. […]
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