Table des matieres
Introduction
1. Comparaison des milieux de vie résidentiels et scolaires
2. Ségrégation urbaine et ségrégation scolaire
2.1. Mesure synthétique du lien entre la composition sociale des quartiers et celle des écoles
2.2. Différenciation socio-économique des quartiers de résidence
2.3. Différenciation socio-économique des écoles
2.4. Répartition résidentielle des nationalités
2.5. Répartition scolaire des nationalités
3. Flux inter-régionaux et ségrégation scolaire
3.1. Profil des sortants
3.2. Profil des entrants
3.3. Impact des entrants et sortants
4. Mobilité intra-régionale et ségrégation scolaire
4.1. Offre scolaire de proximité
4.2. Diversité des choix
4.3. Mobilité géographique
4.4. Mobilité sociale
4.5. Hétérogénéité des populations domiciliées dans un même quartier
4.6. Déterminants sociaux des choix
5. Mise en perspective
Bibliographie
Annexes
Annexe 1. Les mots piégés
Annexe 2. Données et variables
Annexe 3. Ségrégation en fonction des âges
Annexe 4. Effets des variables individuelles et de quartiers sur le type d’école fréquentée
Annexe 5. Quelques évolutions entre 2008 et 2011
Introduction
En dépit de travaux de recherche antérieurs portant sur Bruxelles ou la Fédération Wallonie-Bruxelles (Delvaux et al, 2008 Demeuse et al., 2010), la représentation dominante qui persiste à propos de la ségrégation scolaire est celle d’un phénomène résultant essentiellement de la ségrégation résidentielle. Cette représentation est encore plus prégnante dans l’enseignement fondamental tant subsiste l’image de familles choisissant massivement l’école fondamentale de proximité. Le raisonnement le plus répandu à propos de la ségrégation scolaire à ce niveau d’enseignement est dès lors à peu près le suivant : (1) il y a manifestement de la ségrégation scolaire au niveau de l’enseignement fondamental, certaines écoles concentrant les publics défavorisés tandis que d’autres concentrent les publics favorisés ; (2) ce phénomène s’explique essentiellement par la ségrégation résidentielle puisque les familles choisissent en majorité une école de proximité ; (3) tenter de réduire la ségrégation scolaire par des régulations internes au système éducatif est dès lors largement illusoire ; c’est au plan résidentiel qu’il faudrait avant tout une plus grande mixité sociale ; cela favoriserait naturellement une plus grande mixité dans les écoles. Or, il s’avère que la seconde affirmation de ce raisonnement n’est pas correcte, ce qui remet potentiellement en cause la troisième affirmation, à portée normative.
L’objectif principal de ce texte consiste donc à remplacer cette affirmation erronée par une affirmation ou un ensemble d’affirmations plus nuancées et davantage fondées sur des données empiriques. Les quartiers et les écoles dont nous voulons comparer les profils constituent deux des milieux de vie dans lesquels grandissent les enfants. Les populations qu’ils abritent l’un et l’autre définissent pour partie l’identité de l’enfant (il est l’enfant d’une école et d’un quartier connotés plus ou moins positivement). Ces populations sont aussi celles avec lesquelles il est aussi susceptible d’interagir et par rapport auxquelles il doit se situer. Pour autant, ces milieux de vie scolaires et résidentiels se différencient sur de nombreux points, notamment leurs frontières (bien plus nettes et circonscrites dans le cas de l’école), la variété des tranches d’âge présentes (bien plus élevée dans le cas des quartiers) et la densité des interactions avec les membres des milieux de vie (habituellement plus forte dans le cas des écoles). Les interactions internes à l’un et l’autre de ces milieux ne se distribuent pas nécessairement de manière homogène : au sein des écoles, la classe est souvent un élément structurant les réseaux de relations tandis qu’au niveau des quartiers, des sous-espaces peuvent se
structurer autour d’une rue, d’une portion de rue ou d’un sous-quartier. Pour autant, il nous paraît intéressant de considérer l’un et l’autre de ces milieux de vie comme des unités et de mettre en comparaison leur composition sociale.
Nous le ferons sur un terrain (la région bruxelloise), à propos d’une population (celle des enfants inscrits dans l’enseignement fondamental ordinaire et spécialisé) et sur la base exclusive de données statistiques. Notre étude ne concerne que la région de Bruxelles-capitale. Nous n’ignorons pas que les observations faites sur le terrain de la plus grande agglomération belge ne peuvent être automatiquement extrapolées aux autres territoires. La Région bruxelloise
se distingue en effet notamment par la densité de l’offre scolaire et par la grande diversité de ses populations. Si nous l’avons privilégiée, c’est parce qu’il s’agit d’un des territoires belges où la ségrégation urbaine est la plus marquée et où l’affirmation liant ségrégation résidentielle et scolaire a dès lors potentiellement le plus de conséquence sur les politiques mises en place.
Bien qu’elle s’insère dans le cadre plus large d’une recherche financée par Innoviris 3 et comportant un volet qualitatif centré sur trois quartiers, le présent texte développe exclusivement une approche statistique. Il repose sur une base de données que nous avons pu constituer en intégrant des données des Communautés francophone et flamande, fait rare puisque les études relatives à la ségrégation scolaire se limitaient jusqu’à présent à l’une des deux Communautés.
La fusion de ces deux ensembles de données ne permet cependant pas de couvrir l’ensemble des enfants bruxellois scolarisés dans l’enseignement fondamental puisqu’environ 6 % des résidents fréquentent des écoles privées, européennes ou internationales. Toutefois, en agrégeant les informations de deux principaux systèmes scolaires bruxellois et en tenant compte, quand cela est possible, de ces 6 %, il est possible de dresser une carte bien plus complète que précédemment des ségrégations résidentielles et scolaires affectant les enfants bruxellois en âge d’école maternelle ou primaire.
La recherche « Ségrégation résidentielle et scolaire dans un contexte de pression démographique. De l’action publique fragmentée au fédéralisme de coopération » a été financée par Innoviris dans le cadre du programme « Prospective research for Brussels ». L’enseignement fondamental est ici considéré comme un tout, sans distinction des écoles francophones ou néerlandophones, des niveaux maternel et primaire, ni même des enseignements ordinaire et spécialisé. Nous considérons en effet qu’une étude consacrée à la ségrégation ne peut partir de l’a priori que les enfants inscrits dans l’enseignement spécialisé le sont exclusivement sur la base d’une évaluation objective de leur handicap. Nous partons au contraire de l’hypothèse que l’inscription d’élèves dans les écoles spécialisées résulte d’une volonté
de les séparer d’autres enfants, volonté qui ne peut être naturalisée et dont le caractère socialement construit et discutable saute aux yeux lorsqu’on voit comment évolue au fil du temps la part d’enfants orientés vers l’enseignement spécialisé4 ainsi que les discours et pratiques visant à intégrer dans les écoles ordinaires d’enfants catégorisés comme « handicapés ».
L’avantage majeur de notre base de données est de ne pas être basée sur un échantillonnage mais de concerner l’ensemble des élèves des deux principaux systèmes d’enseignement. De plus, le fait de disposer de ces informations pour
quatre années consécutives (2008 à 2011) et de les traiter indistinctement 5 permet d’éviter les trop faibles effectifs lorsqu’on s’intéresse à des sous-populations 6. Mais une telle base de données présente aussi des limites. La plus importante tient au petit nombre de variables et à l’adéquation limitée de certaines d’entre elles à la problématique traitée. Une autre limite tient à l’information incomplète dont nous disposons pour les enfants qui résident à
Bruxelles sans y être scolarisés, et pour ceux qui y sont scolarisés sans y être domiciliés.
Les premiers représentent 2,1 % des résidents bruxellois et les seconds 12,7 % des enfants scolarisés à Bruxelles 7. La proportion d’élèves inscrits dans l’enseignement spécialisé varie en effet sensiblement selon les périodes. Ainsi, en Fédération Wallonie-Bruxelles, le pourcentage d’élèves du primaire inscrits dans l’enseignement spécialisé est passé de 4 à 5,1 % entre 1995-1996 et 2010-2011. En Communauté flamande, sur une période plus courte (2002-2003 à 2010-2011), ce pourcentage est passé de 6,2 à 6,9%. Les catégories de handicap dont les effectifs varient le plus sont celles qui sont le plus à la limite de la frontière entre « handicap » et « normalité », à savoir les types 1 (retard mental léger) et 8 (troubles instrumentaux).
Les variables, décrites plus en détail à l’annexe 2, concernent trois niveaux d’observation : l’élève, l’école 8 et le secteur statistique de résidence 9. Celles que nous mobilisons dans cette étude sont essentiellement (1) les variables géographiques, qui permettent de situer les lieux de résidence et de scolarisation de chaque enfant ; (2) les variables socio-économiques, fondées sur l’indice socio-économique synthétique de chaque secteur statistique ; (3) les variables « communautaires », que les bases de données ne nous permettent d’appréhender que via la nationalité ; (4) les variables culturelles, construites sur la base du diplôme de la mère ; (5) les variables académiques, fondées sur le retard scolaire.
C’est sur les variables (2) à (5) que nous fonderons notre analyse des ségrégations résidentielle et scolaire. Nous caractériserons en effet les secteurs de résidence (au nombre de 685) et les écoles (au nombre de 455) à partir de quatre
indicateurs de composition sociale : l’indice socio-économique moyen, la proportion d’enfants porteurs d’une des nationalités de l’Europe des 15 (Belgique y compris), la proportion d’enfants dont la mère est détentrice d’un diplôme de l’enseignement supérieur et la proportion d’enfants de 3e et 4e primaire ordinaire étant à l’heure ou en avance.
En calculant ces indicateurs pour les quartiers et les écoles, il est possible de comparer la distribution des enfants entre
les divers types de quartiers et d’écoles. De cette comparaison que nous effectuerons dans le point 1, nous tirerons la conclusion que la distribution scolaire des enfants s’écarte de la distribution résidentielle de ces mêmes enfants sur deux points essentiels : d’une part, la ségrégation scolaire est plus marquée que la ségrégation résidentielle ; d’autre part, il y a plus d’enfants dans les écoles « favorisées » que dans les quartiers « favorisés ». Ce sont ces constats que nous tenterons ensuite d’expliquer en analysant successivement en quoi cette ségrégation scolaire résulte de la ségrégation résidentielle (point 2), des flux inter-régionaux entrants (enfants de la périphérie scolarisés à Bruxelles) et sortants (enfants bruxellois scolarisés hors de Bruxelles) (point 3) et de la mobilité intra-régionale (point 4).
1 Nous utiliserons fréquemment cette notions très discutable de « défavorisé ». Ainsi que nous l’explicitons à l’annexe 1, nous sommes conscients que, ce faisant, nous participons à la légitimation d’une certaine approche des inégalités. Il s’agit donc d’un usage par défaut, par manque de substitut indiscutable.
2 Dans la suite du texte, nous utiliserons indifféremment les notions de quartier et de secteur statistique. Toutes les données statistiques reposent sur l’unité « secteur statistique » et non sur le découpage par quartier appliqué pour le monitoring des quartiers de la région de Bruxelles-capitale.
3 La recherche « Ségrégation résidentielle et scolaire dans un contexte de pression démographique. De l’action publique fragmentée au fédéralisme de coopération » a été financée par Innoviris dans le cadre du programme « Prospective research for Brussels ».
4 La proportion d’élèves inscrits dans l’enseignement spécialisé varie en effet sensiblement selon les périodes. Ainsi, en Fédération Wallonie-Bruxelles, le pourcentage d’élèves du primaire inscrits dans l’enseignement spécialisé est passé de 4 à 5,1 % entre 1995-1996 et 2010-2011. En Communauté flamande, sur une période plus courte (2002-2003 à 2010-2011), ce pourcentage est passé de 6,2 à 6,9%. Les catégories de handicap dont les effectifs varient le plus sont celles qui sont le plus à la limite de la frontière entre « handicap » et « normalité », à savoir les types 1 (retard mental léger) et 8 (troubles instrumentaux).
5 Nous avons pris cette option du fait que les phénomènes que nous voulions observer avaient peu évolué durant la période considérée.
6 La base de données compte en effet, sur l’ensemble des quatre années scolaires, 563.623 élèves fréquentant l’enseignement fondamental ordinaire et spécialisé des Communautés francophone ou flamande tout en étant domiciliés ou scolarisés à Bruxelles.
7 Chiffres ne tenant pas compte des élèves des écoles privées, européennes et internationales.
8 Est considérée comme une école la ou les implantations situées à une adresse commune ou très proche et qui, en outre, dépendent d’un même pouvoir organisateur. Plus d’informations à l’annexe 1.
9 Les secteurs sont ceux définis par l’organisme fédéral en charge des statistiques. Il s’agit de la plus petite unité territoriale utilisée pour la publication des statistiques. Plus d’informations à l’annexe 1.
Categories: 4.6 L' Europe et au-delà